Lion d'Or à la Mostra de Venise 2022
Évocation du travail de la photographe Nan Goldin, en même temps que de son engagement politique, ce documentaire – lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise 2022 – est aussi une ode à la beauté de la marge, à la contre-culture et aux anticonformistes de tous genres qui, en revendiquant leur simple droit d’exister, font aussi, et heureusement, bouger les lignes de la société
Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au cœur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion.
Regards croisés sur la vie de la cinéaste, son travail artistique et ses luttes politiques, le documentaire de Laura Poitras (réalisatrice de Citizenfour, portrait du lanceur d’alerte Edward Snowden) est une formidable porte d’entrée vers l’œuvre de la célèbre photographe qui est intimement liée à sa vie, sa personnalité et le milieu underground new-yorkais qu’elle a fréquenté. Le film revient sur son enfance en banlieue et le drame originel qui façonna toute son identité : le suicide de sa grande sœur alors que celle-ci n’a que 19 ans. Structuré en chapitres, dont chaque titre évoque un fragment de son œuvre, le documentaire rassemble à la fois les photographies de Nan Goldin, ainsi que des images d’archives, reflets du monde marginal où elle évoluait.
Parce qu’elle naviguait au sein de la communauté queer des années 1980, stigmatisée à l’époque, et qu’elle illustrait leur mode de vie, son travail était déjà par essence subversif et donc, profondément politique. En témoigne l’exposition qu’elle mit en place en 1989 et où elle invita des artistes atteints du Sida à y présenter leurs œuvres. Attachée dans sa chair à révéler les sujets tabous, réprouvés par le monde dominant comme la transidentité, les drogues, la violence conjugale, la maladie mentale ou le Sida, Nan Goldin a marqué son époque comme l’une des grandes représentantes de la scène underground. En 2014, devenue accro à l’OxyCotin suite à une prescription médicale, elle s’intéresse de plus près à ce fléau qui ravage les États-Unis. À l’origine d’un demi million de décès, ce puissant antidouleur participe aussi à enrichir les Sackler, famille de milliardaires américains par ailleurs connue pour financer les plus grands musées du monde. Nan Goldin, artiste exposée dans ces musées, est alors bien décidée à faire cesser ce mécénat cynique, aberration ordinaire de notre système capitaliste. Son nom, l’envergure de son œuvre, et la détermination du collectif – PAIN – qu’elle a créé, a magnifiquement et, pour une fois, pu faire changer les choses. C’est aussi ce militantisme artistique absolu que le film célèbre.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux