En inscrivant sa fiction dans un centre fermé pour mineurs délinquants, Zeno Graton filme le caractère incandescent d’une histoire d’amour entre deux garçons, avec beaucoup de sensibilité et d’audace poétique
Joe, 17 ans, est sur le point de sortir d’un centre fermé pour mineurs délinquants. Si son juge approuve sa libération, il ira vivre en autonomie. Mais l'arrivée d'un nouveau jeune, William, va remettre en question son désir de liberté…
S’intéresser à une jeunesse en besoin d’amour mais privée de liberté dit tout de suite beaucoup de la maturité d’un film. Présenté au festival de Berlin, Le Paradis se distingue par son inventivité et son absence totale de compromis, une démarche qui porte souvent la signature de premiers essais personnels et pleins de fougue. Cette histoire d’amour compliquée ne se déroule donc pas à l’air libre, dans une chambre d’ado traditionnelle, dans la cour de l’école ou lors d’une soirée entre potes et cela la rend encore plus romantique, voire écorchée. Pour son premier long métrage, Zeno Graton fait preuve d’un jusqu’au-boutisme particulièrement touchant, dans cette façon de ne jamais céder la dimension poétique au sujet de société. C’est un film de cinéma qui a les allures d’une chanson d’amour mélancolique et rageuse, où les notes s’écriraient en se juxtaposant pour créer une mélodie complexe et entêtante. C’est le moment présent qui fait sens, les perspectives futures des personnages sont floues, alors autant ressentir l’instant dans son paroxysme. La tension surgit de la puissance des émotions provenant de l’enlacement des corps, du besoin d’être côte à côte en défiant les règles, de vivre une histoire d’amour impossible à réfréner.
Notre attirance est tout de suite portée vers les deux personnages principaux, vers leur vitalité, leur fragilité, leur besoin permanent de contact au point de se coller au mur mitoyen de leur chambre pour s’entendre, avec le fantasme absolu sans doute de le voir s’effondrer pour mieux se retrouver. Dans ce milieu carcéral austère, auquel s’intéressent souvent les médias pour de lourds sujets de société, Le Paradis décide de mettre de la couleur et de la chaleur, sans jamais poser de regard moralisateur. Au-delà des rapports charnels que le cinéaste filme avec élégance et une extrême tendresse, il faut mentionner la place qu’il accorde à l’écriture et à l’art en général. Clairement, le besoin de liberté passe aussi par l’esprit et l’imaginaire, ce qui donne lieu à de superbes scènes d’évasion mentale. Dans ce huis clos, ce qui se joue passe dans la fulgurance et la puissance des choses, jamais dans le tiède car le cœur des adolescents — on le sait — bat toujours plus vite. Face à l’amour, les murs de cette institution carcérale semblent craquer de toute part comme si seuls les sentiments forts étaient capables de les faire tomber. Le Paradis est un film sur la souffrance d’une jeunesse qui ne peut vivre comme elle le désire, entre déception et espoir permanents, et que l’on stigmatise si souvent. Tout cela peut directement faire écho à l’état anxiogène de notre société et donner une dimension plus politique et universelle encore au film. Car Le Paradis évoque tout bonnement ce besoin de liberté et d’amour qui fait le sel de toute existence. La fureur de vivre, tout simplement.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux