Ce vaudeville policier de François Ozon sur le mythe du faux coupable assume, dans un esprit théâtral fantaisiste, son ancrage dans les années trente pour mieux se connecter aux réalités contemporaines et aux rapports de pouvoirs entre les hommes et les femmes
Dans les années trente à Paris, Madeleine Verdier, jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Aidée de sa meilleure amie Pauline, jeune avocate au chômage, elle est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité éclate au grand jour…
Après l’intensité tragique et écorchée de Peter Von Kant, un film sombre tiré d’une pièce de Fassbinder et qui faisait écho aux affres de la création et au statut de la muse, François Ozon poursuit dans l’adaptation théâtrale. Au passage, il prouve à quel point chacun de ses films formule presque toujours une réponse au précédent. Avec Mon Crime, il fait encore référence au monde du cinéma, mais en adoptant cette fois une posture diamétralement opposée, légère et ludique, qui a tous les atouts pour séduire un large public. Le récit se déroule dans les années trente et son caractère vaudevillesque, tout comme les décors qui restituent la couleur de l’époque, pourraient l’y enfermer définitivement.
Derrière son allure de comédie policière de boulevard d’un autre temps, Mon Crime se révèle bien plus contemporain et somme toute politique qu’il en a l’air de prime abord. Ozon s’amuse à déjouer la tentation du simple registre nostalgique pour donner une vraie tonalité moderne post-#MeToo à son film, sur la question du statut de la femme, en particulier des actrices dans le monde du cinéma et du rapport de classes et de pouvoir qu’il installe entre les hommes et les femmes. Ce regard sur la société, Ozon le pose sans jamais paraître solennel et opportuniste, tout se glisse malicieusement au cœur du divertissement global. Concentré dans des espaces intérieurs restreints qui assument leur théâtralité par goût de la fantaisie, le film accumule les séquences à un rythme très soutenu, sans monter à la tête.
Mon Crime a des allures de petite musique de chambre qui, sans faire mal aux oreilles, se laisserait aller par instant à une orchestration symphonique plus imposante, quand l’enquête rebondit et l’excitation est à son comble. Les dialogues sont déclamés avec cette rapidité et cet esprit qui rappellent la signature des comédies hollywoodiennes stylées des années trente-quarante, les screwball comedies. C’est un genre clé pour François Ozon dans lequel la mise en scène, discrète et efficace, est d’abord là pour mettre en avant les personnages et leurs échanges, l’intrigue demeurant un prétexte.
François Ozon a réussi le parfait mariage entre deux jeunes comédiennes débutantes confrontées à une galerie de célèbres comédiens qui assument des rôles secondaires particulièrement savoureux. On n’a pas le temps de s’ennuyer dans ce film plein d’esprit et de décontraction qui démontre, encore une fois, l’inspiration débordante d’un des cinéastes français les plus passionnants de sa génération, qui construit une filmographie cohérente, personnelle et inventive, pleine d’amour pour le cinéma, ses actrices et acteurs.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux