Ce premier film roumain primé à Cannes raconte, avec sobriété et sensibilité, la fin de l’innocence sous la dictature de Ceaușescu à travers le portrait d’une jeunesse sacrifiée pour avoir écouté du rock clandestinement
Bucarest, 1972. Ana a 17 ans et rêve d’amour et de liberté. Un soir, elle rejoint ses amis à une fête au cours de laquelle ils décident de faire passer une lettre à Metronom, l’émission musicale que Radio Free Europe diffuse clandestinement en Roumanie. C’est alors que débarque la police secrète de Nicolae Ceaușescu, la Securitate...
Lucidement et avec une belle sensibilité, Radio Metronom révèle l’amertume et le désespoir d’une jeunesse qui subit la violence d’un pouvoir dictatorial. Cette jeunesse a dû vivre secrètement ses émotions musicales et sentimentales pourtant intenses, au péril de sa vie et alors qu’elle avait encore tout à découvrir. Le film sublime le cérémonial de l’écoute d’un disque en groupe, dans l’attention et le respect, les regards aux bords des larmes (de joie et de peine) qui s’échangent pour exprimer un moment tellement intense qu’on le sait déjà en voie de disparition. Il y a encore ces corps qui bougent lentement, se serrent pour oublier, brièvement, la gravité de la situation et les périls à venir. Dans une démarche réaliste et intimiste, le réalisateur filme caméra à l’épaule, laisse la vie s’installer dans de longs plans-séquences qui font la réputation du cinéma roumain et à laquelle on adhère totalement. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le film a reçu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes (section Un certain regard).
L’atmosphère est à la désillusion car elle sonne la fin de l’innocence de manière précipitée. Elle montre la façon avec laquelle il faut vivre tout en ayant une blessure au fond de soi, jusqu’au bout de sa vie, avec le constat, renversant, de passer de la case jeune à la case adulte en mode express. Il faut voir ces scènes d’interrogatoires que subissent des jeunes punis d’avoir simplement écouté du rock occidental pour comprendre la violence psychologique exercée par un régime autoritaire qui empêche toute liberté de penser et qui détruit tout, jusque dans le noyau familial. On pense à ces scènes fortes où le père d’Ana, professeur respecté par le pouvoir, conscientise sa fille et la pousse à rentrer dans le rang.
Radio Metronom pourrait n’être qu’un énième teen movie sur une bande de jeunes qui écoutent de la musique rock en cachette, loin des parents, qui découvrent leurs premiers émois artistiques et sentimentaux, le tout dans un petit appartement enfumé. Ce serait déjà très beau, mais le film va plus loin, tellement plus loin. S’il parle d’amour et de politique, il rappelle l’importance de l’art dans l’émancipation de chacune et chacun, à quel point il peut jouer un rôle-clé si l’on cherche à oublier, à survivre. La musique rock, parce que c’est d’elle dont il est question ici, libère les consciences et c’est ce qui la rend éternellement jeune et dérangeante.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux