Découvert à Cannes, ce récit initiatique sur l’adolescence et les premiers émois amoureux flirte avec le cinéma de genre tout en rappelant, par sa touche arty et sa mélancolie, le cinéma indépendant américain des années 1990
Quelque part au Canada, une petite maison en bois, isolée au bord d’un lac et au milieu de la forêt. Un groupe se retrouve pour l’été et, parmi eux, il y a Chloé et Bastien, deux adolescents en pleine vacance sentimentale. Ils vont se rencontrer, se comprendre et peut-être s’aimer. Derrière l’hédonisme d’ensemble, l’inquiétude rode, surtout dans la nature (le pitch de départ évoque, inévitablement, la base de tout bon film d’horreur). Si l’histoire se passe aujourd’hui, elle ressusciterait presque les années 1970 et cette forme d’abandon et de liberté qui leurs étaient propres, en situant son action si loin du monde moderne et par l’ambiance éthérée (image granuleuse grâce à la pellicule 16 mm, bande originale lancinante) qui ne donne pas envie de retomber les deux pieds sur terre.
Charlotte Le Bon (ancienne Miss Météo sur Canal +, comme Louise Bourgoin ou Doria Tillier) assume une approche atmosphérique, tout en délicatesse et pudeur. Elle filme avec authenticité la vie et les rites d’un groupe d’ados, axée sur la rivalité et la complicité. Mieux encore, elle enregistre la puissance évanescente de ces instants que l’on expérimente avec la fureur et l’abandon propres à celles et ceux qui se fichent pas mal (et fort heureusement) de ne pas tout connaître de la vie, de ne pas encore tout contrôler. On pense particulièrement à la façon d’exprimer, avant tout par l’image, des instants fondateurs où tout n’est qu’apprentissage en temps réel, ces instants de doute sexuel et existentiel qui font l’objet de très beaux moments dans le film. Cette douceur d’ensemble est intelligemment contrariée par un climat naturel angoissant (on nous parle de fantômes) qui donne au film une identité volontairement protéiforme et insaisissable de laquelle surgit cette inquiétante étrangeté qui maintient tendue la corde du récit, toujours à deux doigts de basculer d’une ambiance à l’autre. Sur un sujet que le cinéma travaille depuis la nuit des temps et qui pourrait sembler si convenu, Charlotte Le Bon affirme une belle maîtrise formelle et un juste regard sur cette mélancolie adolescente qui rendent, au contraire, son film entêtant.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux