Festival de Berlin, Ours d'or
Ours d’or du Festival de Berlin, cette fiction espagnole, épurée et naturaliste, nous emmène au cœur des vergers catalans. Elle questionne le statut social des paysans, dont le métier est en voie de disparition, à travers le récit choral d’une famille accrochée à ses terres, envers et contre tout
Depuis des générations, les Solé passent leur été à cueillir des pêches dans leur exploitation à Alcarràs, un petit village de Catalogne. Mais la récolte de cette année pourrait bien être la dernière, car ils sont menacés d’expulsion. Le propriétaire du terrain a de nouveaux projets : couper les pêchers et installer des panneaux solaires. Confrontée à un avenir incertain, la grande famille, habituellement si unie, se déchire et risque de perdre tout ce qui faisait sa force...
L’intrigue, ténue mais captivante, nous permet de voir émerger la présence, de plus en plus concrète, d’une invasion, celle d’un mode de fonctionnement agressif et industriel sur des terres rurales appartenant à des familles modestes depuis plusieurs générations. Ici, c’est une agriculture propre et artisanale que l’on fragilise, ce sont ces terres cultivables que l’on est prêt à détruire au profit de projets purement commerciaux, à l’aune d’une rentabilité immédiate. Le réalisateur ne s’impose pas de personnage principal, n’héroïse rien, ce qui serait finalement contradictoire avec sa vision humaine et politique des choses. Il élargit son récit à un groupe qui englobe toutes les générations, du grand-père au petit-fils, et qu’il filme avec énormément de respect. Ici, dans cette région catalane (sous le soleil, très exactement), on travaille dans sa propre coopérative, à son rythme et avec amour. Mais jusqu’à quand sera-t-il possible de tenir ?
Aux portes du documentaire, cette fiction se glisse, doucement, dans ces petits interstices qui la séparent du réel. Elle capte des moments comme en plein vol, simples et intimes, des détails de la vie quotidienne qui resteraient clairement insignifiants sans un regard d’auteur derrière la caméra. Des gestes, des mouvements, celui du corps du père usé par des années de travail dans les champs et qu’un membre de la famille soulage par de délicats massages dorsaux. Tout un symbole. Il y a aussi ce fils qui, au désespoir du père, privilégie le travail à la coopérative à ses études, ce qui montre par là toute la nuance du propos. Perdu dans sa solitude, le jeune homme se cache au milieu des champs familiaux, cultive secrètement ses plants de cannabis et fume pour se changer les idées. On sent que quelque chose va arriver et le talent du réalisateur est d’installer une tension sourde avec si peu. Il nous fait ressentir la sensation du vide et la timidité d’un désespoir que l’on contient au fond de nous pour ne pas contaminer tout le monde. L’humeur de cette famille (le suspense se situe là) semble dégénérer petit à petit, la faute à cette fichue crise économique qui détruit le travail, les certitudes et peut-être même jusqu’au simple plaisir de passer du temps ensemble. Mais le film touche d’autant plus qu’il reste solaire et qu’à travers sa dénonciation politique, il réenchante à sa façon le fameux combat du pot de terre contre le pot de fer. La résistance est ici une valeur cardinale qui coule dans les veines de la famille. Le message est clair.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux