Prix du Jury au Festival de Cannes 2022
Derrière la plénitude d’une vie réduite à sa plus simple expression, le film de Felix Van Groeningen (Alabama Monroe) et Charlotte Vandermeersch met en lumière la dimension élégiaque d’une amitié victime des épreuves de la vie. Cette chronique spirituelle sur le retour à la nature s’inscrit dans de sublimes paysages italiens et indiens, et a remporté le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes
Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie, à la mort…
Symboliquement, on peut voir la trajectoire de ces deux jeunes comme les facettes opposées d’un seul être pétri de désirs contradictoires, dont les tiraillements intérieurs sont la conséquence de la quête d’un bonheur parfait, mais si difficile à atteindre. Vivre à rebours de la vie matérielle, en prenant le risque de subir la violence d’un milieu naturel a priori indomptable, sans pitié, est une épreuve terrible, tant physiquement que mentalement, où tout ne tient qu’à un fil. Adapté du roman éponyme de Paolo Cognetti, le film impressionne par son ampleur narrative, domptée de façon concise et efficace, et sa capacité à assumer un souffle lyrique de façon décomplexée, jusqu’aux portes des clichés, mais sans jamais y fracasser la caméra. Sans moralisme ni solennité, et surtout sans aucun cynisme, les cinéastes filment la destinée des deux personnages dans un énorme huis clos en plein air.
Se jouant des modes, ils redonnent du sens à un cinéma épique et intime qui part à l’aventure en assumant une veine mélodramatique à l’ancienne qui s’épanouit dans la durée et se connecte à la réalité la plus brûlante. Témoins de leur temps, les réalisateurs parlent de jeunes adultes perdus qui veulent donner un sens à leur futur, revenir aux fondamentaux et retrouver une forme de pureté. Le film dégage en cela le romantisme tragique d’un désir absolu de plénitude qui fait écho à l’état de nos sociétés. Il se situe dans un entre-deux, entre la joie d’y croire et la crainte de se perdre en chemin, et révèle des sentiments forts dans leur plus belle nudité.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux