Cinéaste de l’intime et de l’ordinaire qu’elle transcende pour leur donner une épaisseur romanesque, Mia Hansen-Løve a installé discrètement mais solidement son écriture dans le paysage de l’art et essai francophone. Avec Un beau matin, elle offre à Léa Seydoux l’un des plus beaux rôles de sa carrière, celui d’une femme à l’intersection de grands bouleversements : le deuil d’un père et celui d’une renaissance amoureuse
Sandra, jeune mère qui élève seule sa fille, rend souvent visite à son père malade, Georg. Alors qu’elle s’engage avec sa famille dans un parcours du combattant pour le faire soigner, Sandra fait la rencontre de Clément, un ami perdu de vue depuis longtemps…
L’intrigue peut sembler fine dans ce genre de synopsis, trop ténue pour qu’on s’y intéresse, pas assez spectaculaire ou fictionnelle. Cette critique, on l’entend régulièrement vis-à-vis du cinéma d’auteur français, un peu trop captivé selon certains à filmer « des gens qui ont des rhumes dans un appartement ». Pourtant, quand la cinéaste a une sensibilité développée et le talent pour la mettre en scène, c’est la vie même – dans ce qu’elle a de plus déchirant – qui s’engouffre dans ce genre de récit. Comme le chagrin de voir un parent (ici, Georg) nous échapper parce qu’une maladie dégénérative colonise peu à peu sa mémoire. Une mémoire dont l’effacement progressif demeure un drame sans nom pour cet homme dont l’exercice de la pensée a circonscrit la vie. Comme aussi l’euphorie des sens dans laquelle peut nous projeter une histoire d’amour naissante et la détresse indomptable qui nous assaille quand nos projections sentimentales butent sur la réalité. Clément est amoureux de Sandra mais est marié à une autre, avec tout ce que cette situation implique d’émotions contrariées.
Si l’univers de la cinéaste est un univers raffiné, élégant, parisien, où on lit beaucoup et où on écoute Schubert, ses personnages n’échappent jamais aux contraintes matérielles qu’induit le quotidien. Et c’est presque avec une précision documentaire qu’elle filme la complexité qui existe à trouver un Ehpad décent à Paris. Malgré tout ce que cet horizon peut avoir d’ingrat, elle parvient à y insuffler de la poésie – notamment grâce au tournage en pellicule qui donne un certain grain à l’image – et donc, à le sublimer. On est touchés de bout en bout par ce que traverse le personnage de Sandra, ses joies, ses peines, qui sont aussi les nôtres et auxquelles on peut aisément s’identifier.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux