Prix d'interprétation féminine pour Zar Amir Ebrahimi au Festival de Cannes 2022
Inspiré d’un fait réel sur un tueur en série commettant des féminicides, ce polar urbain, au suspense intense, pose un regard politique sans concession sur les dérives de la société iranienne et la violence faite aux femmes, là-bas comme partout ailleurs
Iran, 2001. Une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad afin d’enquêter sur une série de féminicides. Elle s’aperçoit rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées…
De loin, le film ressemble à un bon petit polar qui aurait retenu par cœur les codes du cinéma hollywoodien pour les appliquer efficacement. De plus près, on se rend vite compte que c’est un peu plus complexe, malgré d’évidentes familiarités avec ce style américain spectaculaire. Le réalisateur déjoue certaines conventions du genre, par exemple en n’abordant pas la part énigmatique du personnage du serial killer et en ne rendant pas son image sulfureuse avec tout ce que cela sous-tend souvent d’ambigu (le risque de la fascination). Il choisit plutôt de plonger dans son existence banale de citoyen très religieux, a priori respectable, et montre en quoi, et c’est là toute la dimension politique du film, la pensée du serial killer a été complètement gangrenée par les dérives d’une société misogyne dont il est un pur produit.
Inspiré d’un fait divers, Holy Spider nous emmène dans un Iran poisseux, corrompu et en extrait toute la violence de façon frontale, avec un sens du rythme particulièrement maîtrisé, notamment dans le caractère répétitif des séquences qui renforce l’angoisse. Le film captive aussi particulièrement par la virtuosité de sa mise en scène qui s’approprie habilement la puissance visuelle des décors nocturnes et des quartiers louches, comme dans les films noirs. Il y ajoute une bande-son très dense faite de nappes synthétiques lancinantes qui soutiennent cette histoire haletante de course-poursuite et dans laquelle — et l’image est forte — c’est une femme (Zar Amir Ebrahimi, Prix d’interprétation féminine à Cannes) qui part à la recherche du tueur.
Holy Spider est un film d’action dont le propos politique sous-jacent sur l‘obscurantisme religieux ne manque pas de courage. On ne peut s’empêcher de garder en tête cette séquence où des citoyens expriment clairement leur soutien au criminel, car, selon eux, les femmes sont forcément coupables… Le reflet du symptôme d’une société, et plus largement d’un monde, qui n’en a toujours pas fini avec sa misogynie et la violence qui en découle.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux