Film de genre au scénario particulièrement retors, Speak No Evil s’inscrit directement dans la lignée d’un certain cinéma nordique, à la fois déroutant, provocateur et terriblement malaisant
Lors de vacances en Toscane, une famille danoise se lie d’amitié avec une autre famille de touristes, venue des Pays-Bas. Plusieurs mois plus tard, ces derniers les invitent à venir leur rendre visite chez eux…
Plus que l’aspect purement horrifique qui traverse le film, ce qui semble parfois davantage intéresser le réalisateur, Christian Tafdrup, est le détournement des conventions sociales, et comment celles-ci peuvent devenir le moteur d’une atmosphère angoissante qui, s’amplifiant progressivement, finira par nous laisser complètement abasourdis.
Le couple danois a tout de la famille moderne irréprochable : ils sont beaux, courtois, à l’écoute des besoins de leur fille. Ils sont aussi végétariens et conscients de leur empreinte carbone. Ils sont en quelque sorte la caricature du couple bourgeois-bohème instagramable, figure agaçante qui nous a tous un jour plus ou moins contrariés parce qu’elle nous renvoie à notre impuissance à être exemplaires.Nous en venons à penser que, derrière cette invitation suspecte, le couple hollandais cherche simplement à bousculer la bienséance de ses voisins. Si ce n’est que, derrière les innocentes bousculades, un malaise pesant se fait bientôt sentir… Serait-il dû au côté sans-gêne du père, à l’autorité déplacée de la mère envers ses hôtes ou à la discrétion démesurée de leur fils qui, pourtant, gémit bruyamment la nuit ?
On retrouve dans l’ambiance trouble et inconfortable du film les influences de cinéastes tels que Lars von Trier, Michael Haneke, ou encore plus récemment Ari Aster (Hérédité, Midsommar). Christian Tafdrup se révèle extrêmement doué pour intensifier l’inquiétude latente, l’horreur sourde qui palpite dans tous les recoins de cette maison et à laquelle le spectateur s’avère tout à fait perméable. On pourra peut-être regretter un manque d’explication finale mais, quand le cinéma nous fait autant frissonner, est-il vraiment opportun de rouspéter ?
ALICIA DEL PUPPO, Les Grignoux