Époustouflant thriller psychologique, Las Bestias est aussi une magnifique leçon de cinéma. De la mise en scène hyper maîtrisée et source d’une tension folle à l’intelligence du scénario, en passant par la direction sensationnelle des acteurs, Rodrigo Sorogoyen (Madre, Il Reino) démontre qu’il fait partie des réalisateurs européens contemporains les plus stimulants
Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de Français qu’on pourrait aisément qualifier de bobos, sont partis s’installer dans un petit village de Galice pour vivre leur rêve néorural. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout serait idyllique sans leur opposition à un projet de construction d’éoliennes qui crée un grave conflit avec leurs voisins. Les paysans du coin, n’ayant jamais quitté leur terre que pourtant tous les jeunes désertent, menant une vie de dur labeur depuis plusieurs générations sans sortir de leur précarité, comptaient sur l’apport financier de ce projet pour envisager une retraite plus douce, portant peu d’attention au discours anticapitaliste d’Antoine qu’ils considèrent comme prétentieux et donneur de leçons, lui qui n’est rien qu’un citadin venu se donner bonne conscience à la campagne alors qu’eux y crèvent depuis des années…
Deux frères en particulier sont complètement remontés contre lui, Xan et Lorenzo, deux éleveurs bornés, bourrés de frustrations, et que rien ne peut détourner de l’hostilité qu’ils éprouvent contre ces « Français ». Une animosité telle qu’aucun mot, aucun dialogue ne peut l’apaiser. Une haine si féroce qu’elle les aveugle au point qu’ils soient prêts à la violence la plus sourde. Une violence qui a le goût de la terre, du travail et du profond sentiment d’injustice qu’ils éprouvent face à ce monde néolibéral qui les a depuis longtemps oubliés. Outre l’intelligence du scénario qui dessine l’impossible communication entre deux milieux qui ne parlent pas le même langage, la virtuosité du film tient dans la tension qu’il installe à mesure que l’intrigue avance. Rarement un film nous a autant tenus en haleine, parvenant même à créer du suspense à l’intérieur d’un plan-séquence fixe entièrement dialogué.
Voilà un film qui nous a bluffés au plus haut point, dans lequel chaquechoix d’échelle de plan, d’angle de vue, chaque réplique semblent toujours à la bonne place, participant à l’écriture au cordeau de ce thriller suffocant, et chatouillant sans cesse notre pur plaisir de cinéphilie.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux