Grand Prix du Festival de Cannes 1973
Invisible ou presque depuis trop longtemps, ce film culte du cinéma d’auteur des années 1970, chef-d’œuvre intimiste, terriblement sensible et sans concession de Jean Eustache, ressort en copie restaurée et c’est un véritable événement !
Alexandre est un jeune dilettante oisif. Il vit chez Marie, sa maîtresse, et flâne à Saint-Germain-des-Prés. Un jour, il croise Veronika, une jeune infirmière. Il entame une liaison avec elle, sans pour autant quitter Marie…
Présenté au Festival de Cannes 1973, La Maman et la Putain y obtint le Grand Prix du Jury même si sa présidente, Ingrid Bergman, avait été choquée par les propos crus des dialogues. Il s’agit du film le plus célèbre de Jean Eustache, enfant doué de la Nouvelle Vague, auteur d’une œuvre en marge du cinéma dominant. La durée du film, exceptionnellement longue pour un récit intimiste, ne comprend pourtant aucun plan de trop et se justifie pleinement par l’évolution psychologique des personnages principaux, dont Alexandre, cet éternel adolescent à qui Jean-Pierre Léaud prête son caractère lunaire et volubile, à l’image de l’Antoine Doinel de Truffaut auquel on ne cesse de penser pendant ces trois heures trente. Il y a un côté proustien dans cette durée, ne serait-ce que par la figure de l’ancien amour, prénommée Gilberte, qui ouvre l’histoire et devient un élément récurrent de la narration, longue série de dialogues, souvent en plans séquences et fixes, depuis des retrouvailles dans un café à une déclaration en mariage.
Car l’on parle beaucoup dans La Maman et la Putain, même si la composition des plans est prépondérante, comme si Eustache synthétisait les démarches de Rohmer avec celles de Godard ou Pialat. On y parle de ses états d’âme et des problèmes de l’air du temps, mais avec des conventions de langage d’un autre siècle : le vouvoiement est de mise entre Alexandre et Marie (Bernadette Lafont), entre Alexandre et Veronika (Françoise Lebrun), mais les deux femmes, pourtant rivales, se tutoient, comme si la complicité féminine l’emportait sur les rapports de conflit amoureux avec un dandy indécis. La sexualité, dont l’avortement (encore interdit pendant un an à la sortie du film), y est abordée en toute liberté, ce qui rattache ici le film à tout un courant du cinéma français de l’époque, de La Grande Bouffe aux Valseuses.