Échec commercial et critique devenu culte au fil du temps, cette adaptation de Philip K. Dick au propos incroyablement visionnaire aura façonné la science-fiction moderne
Dans les dernières années du XXe siècle, des milliers d’hommes et de femmes partent à la conquête de l’espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d’esclaves voit le jour : les répliquants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l’être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d’un vaisseau, les répliquants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés « hors la loi ». Quatre d’entre eux parviennent cependant à s’échapper et à s’introduire dans Los Angeles. Un agent d’une unité spéciale, un blade runner, est chargé de les éliminer. Selon la terminologie officielle, on ne parle pas d’exécution, mais de retrait...
« Visionnaire », Blade Runner l’est en grande partie pour ses créations urbaines futuristes qui ont, à des degrés divers, influencé à peu près tout ce qui s’est fait depuis dans ce domaine au cinéma, alors que lui-même tient d’un ancêtre beaucoup plus lointain : Metropolis (1927). Comme Fritz Lang avant lui, Ridley Scott a tâché (avec le concours du designer industriel Syd Mead) de matérialiser un possible de la concentration urbaine, assemblages monumentaux pour un conglomérat humain, tandis que les annonces de colonies extraterrestres laissent imaginer un spectacle à peine plus respirable ailleurs. Cependant, là où Lang dresse ses accessoires futuristes comme un décor matériel avec lequel interagit sa fable sociale, Scott s’ingénie à en faire une ambiance, un arrière-plan tout aussi visible, mais qui enveloppe le récit, l’enlumine, plus qu’il ne le supporte – un récit mêlant film noir et conte mythologique, où un discours social tel qu’on pouvait en lire dans Metropolis n’est qu’évanescent. La mégalopole de Blade Runner existe certes par ses multiples détails matériels, mais cette matière vaut moins pour sa présence concrète que pour ses contours, ses textures, ses éclairages. Les effets lumineux sont nombreux, la brume et les clairs-obscurs transforment la captation de ce monde en une peinture impressionniste où la vision semble sans cesse embuée avant d’être épurée, éblouie avant d’être assombrie, où le concret est vu par le filtre du fantasme. Blade Runner convoque en son sein le film noir, les mythes de Pygmalion et de Frankenstein, le poète William Blake, une licorne et même le cinéma d’épouvante, avec notamment cette chasse à l’homme à travers un immeuble désaffecté traversé de saisissants clairs-obscurs.