La beauté et le succès des films de Ryūsuke Hamaguchi, cinéaste japonais à qui l’on doit Drive My Car et Contes du hasard et autres fantaisies, tous deux sortis cette année, ont convaincu leur distributeur de sortir également son film précédent, pépite romanesque entre Proust et Rohmer qui conte avec délicatesse et poésie les variations d’un cœur amoureux à travers le temps
Lorsque son premier grand amour, prénommé Baku, disparaît du jour au lendemain, Asako est abasourdie et quitte Osaka pour changer de vie. Deux ans plus tard à Tokyo, elle tombe de nouveau amoureuse et s’apprête à se marier… à un homme qui ressemble trait pour trait à son premier amant évanoui.
Parce qu’un jour Baku apparaît. Parce qu’Asako est une grande amoureuse.
Parce que Ryûsuke Hamaguchi n’a probablement rien à apprendre des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, indétrônable, éternel. Et parce que chaque mot d’Asako à Baku résonne avec une acoustique rare : celle d’un cri d’amour murmuré. Tout cela annonçait la couleur d’une sidération lorsque le fantasque Baku, sans crier gare, disparaît du jour au lendemain… Sans cette absence, Asako aurait été indemne, hermétique à sa propre com- préhension.
Avec Asako I (elle aura été) & II (elle sera), Hamaguchi signe tout sauf une simple bluette. Soit une œuvre incroya- blement aboutie dans les standards du cinéma moderne, où s’instille une décennie de recherche autour des réper- cussions intérieures des bouleverse- ments extérieurs… La mise en scène,puissante, décrypte le réalisme des illusions.
On suit donc le parcours d’Asako, de l’adolescence à l’âge adulte. Sur le fil de la vacillation, sans pour autant s’abandonner. Elle reste d’autant plus ce qu’elle est qu’elle assume de dépas- ser le cadre sociologique et politique d’une société (japonaise) aseptisée. Et ne perd pas la face après l’avoir fait (ce que la bien-pensance aurait au moins espéré d’elle). Quitte à paraître « sale », comme cette rivière à la fin, à cause des intempéries. Sauf qu’aucun phéno- mène naturel ne peut disqualifier une rivière : seul le regard humain le peut. Et « c’est beau » d’être vivace, ambivalent, d’échapper au conditionnement de son environnement, de laisser ses propres phénomènes naturels traverser le corps, l’esprit, la torpeur. Le film permet de for- muler tout cela. D’affronter, à son tour. Et peut-être permettra-t-il à ceux qui savent l’interpréter d’apprendre à être sereins et conquis, en amour… Tout du moins : d’oser rester fidèle à soi.