Comme la peinture, le cinéma américain a ses paysagistes, dont les œuvres trouvent leurs racines dans des territoires d’élection, prolongeant avec grâce les géographies imaginaires de l’artiste. Pour son quatrième documentaire, qui a l’ampleur d’une fresque, Jean-Baptiste Thoret a parcouru les espaces mis en scène par l’auteur de La Porte du paradis
Ce voyage, Jean-Baptiste Thoret l’a d’abord effectué en compagnie de Michael Cimino, en 2010, puis à l’hiver 2020, sillonnant le Montana, l’Idaho, le Missouri ou l’Ohio. C’est à l’est de ce dernier état que Michael Cimino avait tourné les deux tiers du Voyage au bout de l’enfer, à Mingo Junction, une bourgade sidérurgique alors prospère ; à présent devenu un spectre urbain haché de friches et de désespérance sociale. Près de la moitié du film est consacrée à la rencontre avec ses habitants, pour lesquels Voyage au bout de l’enfer n’est pas un jalon essentiel de la culture nationale, mais avant tout un album de famille que l’on feuillette pour se remémorer le bon vieux temps ou en versant des larmes au souvenir des copains morts au turbin.
Diffractant le portrait d’un réalisateur génial mais fâché avec les contraintes matérielles, Thoret donne longuement la parole à Quentin Tarantino, Oliver Stone et James Toback, dont la sincère admiration pour l’œuvre n’élude pas un jugement sévère sur le comportement autodestructeur de l’homme, seul responsable de son ostracisme. Entrecoupé d’envoûtantes séquences routières, où le ruban d’asphalte flanqué de plaines ou de sommets enneigés, à l’heure magique, n’est pas sans évoquer certaines toiles de Georgia O’Keeffe, Michael Cimino, un mirage américain est un road movie sur un pays-psyché, dont le cinéma, selon Cimino, « a inventé la nostalgie d’un passé qui n’a jamais existé ».