Tourné en Écosse dans des paysages majestueux, le nouveau Bouli Lanners est un grand film d’amour qui fend le cœur, à la pudeur et au lyrisme rentrés, impressionnant de maitrise
Phil s’est exilé dans une petite communauté presbytérienne sur l'île de Lewis, au nord de l'Écosse. Une nuit, il est victime d'une attaque qui lui fait perdre la mémoire. De retour sur l’île, il retrouve Millie, une femme de la communauté qui s'occupe de lui. Alors qu’il cherche à retrouver ses souvenirs, elle prétend qu'ils s'aimaient en secret avant son accident...
En partant tourner en Écosse, loin de cette terre wallonne qu’il connaît si bien et qu’il a jusqu'ici filmée et transcendée à travers un geste à la fois ample et mélancolique qui façonne si joliment son style, Bouli Lanners n’a rien perdu de sa personnalité d’artiste, bien au contraire. En déjouant l’attendu ou en prenant des risques, c’est comme on veut, il réussit à emmener son cinéma encore plus loin, dans cette façon si authentique de révéler les choses cachées dans les détails et les non-dits. Comme un peintre impressionniste qui, touche après touche, dévoile la richesse de scènes de la vie quotidienne en apparence anodines. Ou comme un compositeur de musique de chambre qui exprime de grandes émotions avec peu de notes.
L’histoire simple de cet homme solitaire, exilé sur ce bout de terre reculé (on pourrait se dire que l’action se passe fin du XIXe siècle, comme tirée d’un roman classique anglais), possède une double tonalité. Elle se situe dans une sorte de dialogue permanent entre la vie et la mort, à la gravité vertigineuse et obsédante. Phil est en quête d’une renaissance personnelle, loin de chez lui, de cette Belgique qu’il semble avoir quittée sans laisser de trace, sans un mot pour ses proches, et mène en même temps un combat contre la mort suite à ce foutu problème de santé persistant. Dans le rôle de ce cowboy plein de cicatrices intérieures, Bouli Lanners est exceptionnel. Il dit tout avec peu de mots et de gestes, il dégage une présence forte au cœur des plans, sans faire de vagues, et il est impossible de ne pas être sensible à son timbre de voix doux et posé.
Comme toujours chez Bouli Lanners, les grands espaces naturels jouent leur propre partition dans l’intrigue et apportent un souffle poétique qui contamine autant les personnages que les spectateurs. Le cinéaste n’est cependant pas tombé dans le piège du lyrisme pompier. L’émotion est forte mais rentrée, digne, grave et belle comme dans un film de John Ford. Grand film d’amour, Nobody Has to Know impressionne par sa maîtrise, son propos que l’on imagine personnel, par le portrait de cet homme mystérieux qui, plan après plan, nous devient de plus en plus proche. Quand le cinéma arrive à révéler cela, c’est aussi magique que bouleversant.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux