Après Au Bonheur des dames, documentaire sur le quotidien d’aide-ménagères en région liégeoise, Agnès Lejeune et Gaëlle Hardy abordent la question de l’euthanasie par le prisme de l’intime et capturent des instants d’une intensité bouleversante
Le dispositif filmique est simple, presque minimaliste : une caméra fixe posée sur un pied à l’angle d’un bureau autour duquel sont disposées plusieurs chaises. Cet espace, c’est la salle dédiée aux consultations sur la fin de vie du CHR de Liège, menées par le Dr François Damas. Les patients qu’il reçoit se questionnent, ou voudraient faire une demande d’euthanasie. Certains se savent condamnés, d’autres arrivent au bout d’une maladie qui ne leur laisse plus assez d’autonomie, d’autres encore réfléchissent déjà à ces éventualités. Le Dr Damas est là pour les écouter, les aiguiller, mais aussi déterminer avec eux la pertinence et l’accessibilité de leur demande.
Par un champ-contrechamp, la caméra enregistre le dialogue entre les patients et le docteur, mais capte aussi les visages, les regards de ces patients alors qu’ils expriment quelque chose d’assez inconcevable pour le commun des mortels : leur volonté de disparaître. « Je veux bien décéder », dira l’une d’entre eux, une dame âgée souffrant d’une maladie dégénérative. On ne comprend d’ailleurs pas de suite – a-t-elle dit « décider » ? –, tant cet usage nous est peu familier. L’objectif s’attarde également sur le regard des accompagnants (quand il y en a), souvent discrets, à l’écoute de la personne qu’ils aiment et assistent dans cette ultime requête. Ces regards en disent souvent énormément sur le parcours douloureux qu’ils et elles ont traversé.
Il fallait pour les réalisatrices trouver la juste distance, et pouvoir effacer leur présence pour capter ces moments chargés d’une grande intensité où l’on évoque sa mort, l’au revoir à ses proches.
Le film soulève aussi énormément de questions périphériques sur la pratique de l’euthanasie : face aux patients venant de France où celle-ci est interdite, lors des réunions interdisciplinaires entre médecins où ceux-ci discutent des protocoles, mais aussi parfois des motivations des personnes qui en font la demande.
Chaque intervention – qu’il s’agisse des patients, médecins ou accompagnants – interpelle vivement, soulève en nous de profonds questionnements sur notre rapport à la vie, à la maladie, et à la mort, pourtant si commune, mais qui demeure une grande impensée de nos sociétés occidentales.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux