En fin connaisseur de l’œuvre de Simenon, Patrice Leconte réussit une excellente adaptation d’une enquête du célèbre commissaire, incarné par celui pour qui le rôle était taillé, Gérard Depardieu. Un voyage poignant dans un Paris populaire et fantomatique, à la poursuite d’une jeune morte
Lors d’une visite chez son médecin, le commissaire Maigret se voit conseiller d’arrêter de fumer la pipe, plus généralement de faire attention à sa santé. Les années passent sans faire de cadeau à ce corps qui, quelle que soit la volonté de l’âme, ne rajeunit pas. C’est ainsi un Maigret soucieux qui se retrouve à enquêter sur la mort mystérieuse d’une jeune fille. Tout le monde s’affaire, mais rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, pire : personne ne semble se souvenir d’elle, comme si elle n’avait jamais existé. Le commissaire rencontre une délinquante qui, étrangement, ressemble à la victime et réveille en lui le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et surtout plus intime…
Patrice Leconte est un cinéaste parmi les plus passionnants de sa génération, voyageant dans des genres diamétralement opposés (la série des Bronzés, Le Mari de la coiffeuse, L’Homme du train…), tel un auteur hollywoodien à l’ancienne, capable de plaire au plus grand nombre sans renier sa vision personnelle. Il y a une trentaine d’années, il nous avait déjà proposé une relecture très moderne d’un roman « dur » de l’écrivain liégeois, Monsieur Hire. Avec son adaptation de Maigret et la jeune morte, il cerne à nouveau très bien l’univers de Georges Simenon, son écriture quasi-cinématographique et la personnalité de son commissaire.
D’ailleurs, personne d’autre que Gérard Depardieu ne pouvait aussi bien incarner Maigret aujourd’hui, sa grande et lourde carcasse, ses yeux tendres et durs, son air bougon, son sens de l’empathie total quand il est face à des êtres fragiles, sincères et foncièrement humains dans leur normalité. Leconte filme un corps vieillissant, celui de Maigret comme celui de Depardieu, tout fusionne de manière troublante tant l’incarnation est totale. Un corps impressionnant qui impose une démarche lente dans ces petites rues parisiennes que Maigret traverse l’œil aiguisé tout en laissant la place suffisante à la rêverie, elle aussi source de mystère et de révélation.
Comme Simenon, Leconte s’intéresse moins à l’intrigue policière qu’à l’étude des personnages dans toute leur complexité et à la peinture sociologique d’un milieu, ici essentiellement le Paris populaire et de la nuit, qu’il filme avec un beau sens du minimalisme et qu’il raconte avec cette concision chère à l’écrivain. Par les thèmes traités (la place de la femme dans la société, les rapports de classe et le mépris de la bourgeoisie), le film rappelle la modernité d’une œuvre complexe qui traverse le temps, l’œuvre d’un auteur qui aura toujours eu l’art de parler fondamentalement de nous, d’aller du particulier à l’universel, en recourant à un style hors des modes, d’une épure et d’une limpidité exceptionnelles.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux