Carine Tardieu, la réalisatrice d’Ôtez-moi d’un doute, reprend le scénario posthume de Sólveig Anspach, décédée en 2015, que celle-ci avait écrit pour rendre hommage à sa mère. Une romance à contre-courant des idées reçues, pleine de tendresse, et dont le murmure bruisse longuement en nous après le générique de fin…
Shauna (Fanny Ardant), 71 ans, libre et indépendante, a mis sa vie amoureuse de côté. Elle est cependant troublée par la présence de Pierre (Melvil Poupaud), cet homme de 45 ans qu’elle avait à peine croisé des années plus tôt. Et contre toute attente, Pierre ne voit pas en elle « une femme d’un certain âge », mais une femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer. À ceci près que Pierre est marié et père de famille…
Cette histoire d’adultère dont le synopsis ne laisse présager aucune sortie de route est pourtant incroyablement contestataire dans le fait même qu’elle inverse le schéma habituel d’un homme trompant sa compagne avec une femme plus jeune (un film sur ce sujet n’aurait d’ailleurs intéressé personne). Dans une société où les femmes âgées sont invisibilisées, il faut une certaine fougue et du courage pour écrire, filmer et incarner ces personnages qui sortent de l’ordinaire, mais qui, on l’espère, participeront à redessiner les contours de nos futurs fantasmes en les rendant plus inclusifs.
Outre l’aspect politique du film qui n’est en soi jamais revendiqué, mais qui se révèle en creux du récit, c’est d’abord à une sensible histoire d’amour que nous invite Carine Tardieu. Shauna est une ancienne architecte reconnue qui a toujours mis sa carrière au premier plan et qui pense ne plus avoir grand-chose à attendre de la vie, aucune surprise, aucune pulsion qui pourrait faire renaître du désir dans son corps et l’émouvoir au plus profond de son être. De son côté, Pierre est un père de famille heureux, formant avec sa femme Jeanne (Cécile de France) un couple solide, assez en tout cas pour que chacun se sente protégé des écarts de conduite qui surgissent parfois dans les relations de longue durée.
La beauté du film réside dans cette manière fine et délicate de décrire l’éclat existentiel qu’une telle rencontre peut faire naître, et les déflagrations que celle-ci va inévitablement susciter dans l’entourage des protagonistes. Les personnages secondaires sont d’une force inouïe, le scénario prend le temps de les faire exister, leur donnant une épaisseur à part entière. À commencer par Jeanne, cette épouse démunie qui observe désespérément son mari s’éloigner de ce qu’il a construit jusque-là avec elle, mais qui a assez d’empathie pour essayer de le comprendre. Ou Cecilia (Florence Loiret-Caille), la fille de Shauna, quadra célibataire qui devine les turbulences émotionnelles que traverse sa mère alors même que celle-ci a honte de les lui révéler.
Les Jeunes Amants est une belle réussite, un film à la fois grave et léger qui épouse les tremblements de la vie et nous laisse dans une douce mélancolie.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux