En adaptant Le Quai de Ouistreham, le livre de Florence Aubenas, le cinéaste et écrivain Emmanuel Carrère (L’Adversaire, La Moustache) propose une immersion totale dans le monde des travailleuses de l’ombre, plus particulièrement celles que l’on appelle pudiquement « agents d’entretien »
Dans le bureau d’une agence de placement, Marianne (Juliette Binoche) tente de décrocher un job. Pas facile quand on a un C.V. qui indique que notre dernière expérience remonte à 23 ans, lorsqu’on était serveuse dans un bar... Tant bien que mal, Marianne essaye de se justifier : mariage, enfants, ménage, etc. Pas forcément convaincue, la préposée aux placements lui propose une formation en nettoyage, ce métier idéal pour tous les laissés-pour-compte.
Marianne, c’est en fait Marianne Winckler, une auteure reconnue, installée incognito à Caen pour se plonger dans l’univers des travailleuses de l’ombre et en faire un livre. Engagée par une société de nettoyage, elle se confronte vite aux conditions de travail imposées par des patrons peu scrupuleux : horaires impossibles, shifts à un rythme soutenu, irrespect, grossièreté. Elle rencontre aussi Christelle, une jeune femme à qui la vie n’a fait aucun cadeau et qui cumule les jobs ingrats pour joindre les deux bouts. Au fil des semaines, une véritable amitié se crée entre les deux femmes et les journées de travail se prolongent bien vite par d’authentiques moments de camaraderie. Scrupuleusement, Marianne retranscrit tout ce qu’elle vit dans son carnet. Avec Christelle, elle tient son sujet : son histoire a un prénom. Ses notes, toujours plus intenses, prennent encore une autre dimension quand elle rejoint les équipes qui nettoient les ferries qui font escale entre Caen et l’Angleterre.
La force du film, c’est d’avoir misé sur un casting non professionnel. Certes, Juliette Binoche est là, mais on a vite fait de s’attacher aux femmes qui l’entourent et dont on sent qu’elles jouent leur propre rôle (certaines sont celles que Florence Aubenas a rencontrées). Jusque dans sa narration, Ouistreham reste proche du documentaire, ce qui renforce aussi son côté engagé et militant. Un parti pris assumé par le cinéaste qui précise que « le film est fait pour ces invisibles, pour nous tous. Pour avoir un peu plus de conscience. et de respect.
LAURENCE HOTTART, les Grignoux