Ce premier documentaire est un impressionnant voyage sensoriel à dimension politique, inspiré par le cinéma de science-fiction, au cœur d’une Chine en pleine transformation, et où la modernité écrase tout sur son passage
La petite ville de Datong se transforme, suivant la voie de la grande histoire chinoise. Les jeunes y travaillent dur en visant le ciel, la tradition disparaît face à l’urbanisme moderne et rien n’arrêtera la progression du pouvoir. Ainsi, la Chine deviendra « un grand pays socialiste, beau, moderne, prospère, puissant, démocratique, harmonieux et hautement civilisé »…
Par la grâce d’une exploration audacieuse des potentialités du langage cinématographique, les deux jeunes réalisateurs donnent à leur film cette puissance sensorielle qui offre au spectateur une immersion très forte dans le quotidien des protagonistes. Leur geste est autant artistique que politique car, en travaillant la forme, il fait encore mieux ressortir ce qui se joue. La quête de modernité imprimée par le pouvoir détruit les briques et efface le passé pour édifier une réalité qui ne repose, elle, sur aucune fondation, une réalité fantomatique à l’architecture futuriste. Ayant traversé sept cents ans d’histoire, toutes ces maisons traditionnelles occupaient une place centrale dans la vie de populations issues des classes populaires et littéralement victimes d’expulsions forcées (les autorités qui coupent l’eau et l’électricité, recherchent les propriétaires…). Par un montage habile qui mêle plus les choses qu’il ne les sépare, le film fait dialoguer ces plans nocturnes de la Chine urbaine, dignes de films de science-fiction à la Blade Runner (plans décadrés sur les façades vitrées des immeubles, bande sonore synthétique…), avec ceux de la vie rurale, abandonnée et détruite. Deux mondes englobés dans ce même mouvement dynamique et fluide recherché par le film.
Veillant à ne pas rendre leur projet expérimental et déshumanisé, à ne pas figer un regard distancié et théorique sur les choses, les réalisateurs rencontrent cette population délaissée et victime de ces choix politiques radicaux pour leur donner la parole. Il y a, par exemple, ces jeunes étudiants motivés par la réussite de leurs études pour rechercher une vie meilleure. Il y a aussi cette vieille dame qui n’a pas récupéré ses affaires et ses meubles avant la démolition de sa maison. Maintenant, elle vit dans un appartement avec vue sur d’autres immeubles. Le décor est sans âme, sans beauté, dénué d’horizon et de respiration. China Dream traduit très bien le climat inquiétant d’une société déshumanisée où l’individu disparaît dans des décors grandiloquents. Une nouvelle économie est en marche et les réalisateurs en captent le mouvement contradictoire qui, en plus de l’humain, met en danger la nature. On pense particulièrement au plan d’un arbre, incarnation de cette vie qui résiste malgré tout, au milieu de cette subite transformation qu’elle n’a jamais demandée.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux