Bad Luck… est une farce hilarante autour de la question de l’obscénité qui éparpille nos sociétés contemporaines façon puzzle. Ours d’or à Berlin en 2021
Nul temps mort dans le nouveau Radu Jude. On est d’emblée plongé dans le corps du délit : la sextape d’une enseignante roumaine qui, en fuitant sur Internet, va mettre à la mal sa réputation. Ces ébats qui surgissent frontalement donnent le la d’un film insaisissable, dans lequel on se perd d’autant plus volontiers qu’il y a à la barre un metteur en scène qui sait, lui, où il va. La journée en enfer de cette prof refusant de se soumettre au diktat de l’humiliation se divise en trois parties aussi antinomiques que complémentaires. Une déambulation dans Bucarest où insultes, agressions et tensions en tout genre créent un climat d’autant plus étouffant que tout semble saisi sur le vif en caméra cachée. Puis un intermède azimuté où Jude passe en revue une série de concepts (colonialisme, sexisme, racisme, ubérisation…) au tamis d’un absurde grinçant. Et, enfin, l’apothéose : le tribunal stalinien auquel l’enseignante doit se soumettre face aux parents d’élèves et qui encapsule tous les maux de notre époque (révisionnisme historique, complotisme roi, dérives du puritanisme…) dans un geste d’une férocité renversante. Ce puzzle ovniesque, qui place le spectateur dans un état d’instabilité permanente, a cependant une cohérence. À chaque instant, Jude y questionne la notion d’obscénité qui dépasse évidemment les rives de la pornographie et raconte la banalité du mal en se montrant tout à la fois glaçant et hilarant.