Adapté du roman de Karine Tuil, Les Choses humaines, film de procès autour d’une accusation de viol, décortique brillamment les rouages psychologiques, sociaux et philosophiques qui interviennent dans un tel cas judicaire.
Le synopsis du film peut, à notre époque, laisser songeur : un jeune homme est accusé d’avoir violé une jeune femme, mais est-il vraiment coupable ?
S’agirait-il d’une désespérante tentative de la part d’Yvan Attal, réalisateur et producteur français bien loti, de défendre l’idée que, non, tous les hommes ne participent pas à la culture du viol ? On vous rassure, il ne s’agit pas de cela. Certes, le cinéaste marche sur des œufs en abordant cette thématique contemporaine extrêmement délicate. Néanmoins, comme le fait le livre, il l’appréhende avec précaution, et d’une manière intellectuellement stimulante pour le spectateur qui, à l’instar des personnages, ne détient pas la vérité, mais doit s’en faire une idée sur base de ses convictions, son regard sur le monde et la complexité humaine (d’où le titre, très juste) en jeu dans ce type de procès.
Alexandre (Ben Attal) est un jeune homme brillant, étudiant dans une université américaine prestigieuse et promis à un bel avenir. Il est de passage à Paris pour quelques jours, le temps de rendre visite à son père (interprété par Pierre Arditi), célèbre animateur télé, et à sa mère, Claire (Charlotte Gainsbourg), essayiste féministe reconnue. Le monde dans lequel il gravite est un monde d’intellectuels hautement privilégiés qui a fait de lui un garçon ambitieux, naturellement sûr de lui. Ce soir-là, sa mère lui propose d’inviter Mila (Suzanne Jouannet), la fille de son compagnon Jean (Mathieu Kassovitz), à une soirée où il a prévu de se rendre. Le lendemain, Mila porte plainte contre Alexandre pour viol.
À partir de cette accusation, c’est toutes les certitudes de cette intelligentsia parisienne très aisée qui sont ébranlées. Celles du fils, niant d’abord avec condescendance les faits qui lui sont reprochés ; celles du père, présentateur-star qui a pris l’habitude qu’on lui mange dans la main ; celles de la mère, que l’opinion publique ne manquera pas de calomnier pour avoir élevé un fils violeur bien loin des idées qu’elle défend dans ses essais. S’ajouteront à cela les faits (l’examen médical de la victime), le discours des différents témoins, la version de Mila et celle d’Alexandre, et les plaidoyers de leurs avocats respectifs.
Que faut-il condamner dans ce genre de procès : les actes pour lesquels on manque parfois de preuves, l’intention, le système qui permet à certains hommes puissants d’agir violemment sans mauvaise conscience ? Quel type de peine cette condamnation requiert-elle ? L’enjeu de ces questions, du procès et de sa mise en scène est bien entendu moral, et c’est dans cet interstice que le film est impressionnant, parce qu’il oblige à chaque minute le spectateur à remuer les fondements de sa propre moralité.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux