Pour la première fois, Nanni Moretti met en scène un scénario qu’il n’a pas écrit. Tre piani (« trois étages ») est l’adaptation du roman de l’auteur israélien Eshkol Nevo, dont il a transposé l’histoire à Rome. Un film différent des précédents longs métrages engagés du cinéaste, même s’il brasse des thèmes qui lui sont chers : la famille, la filiation et la parentalité
COUP DE COEUR DE L'ÉTÉ 2022
Une nuit à Rome. Une seconde qui va bouleverser la vie des habitants de cet immeuble de trois étages. Une voiture lancée à toute allure s’encastre dans la façade, tuant une femme au passage. La scène se déroule sous les yeux de Monica, la locataire du 3e étage, en partance pour la maternité. Au volant, Andrea, le fils de Vittorio et Dora, couple de magistrats. Andrea est ivre. La voiture a fracassé la baie vitrée du rez-de-chaussée, et s’arrête à quelques centimètres de la petite Francesca, la fille de Lucio et Sara, un couple de trentenaires.
Sur une période de 10 ans, le cinéaste va passer d’une famille à l’autre, se glissant dans les étages, décortiquant les relations qui se tissent et se distendent entre ces habitants aux destins croisés.
Nanni Moretti est un chirurgien de l’âme et n’a pas son pareil pour livrer une fine analyse des personnages, ne négligeant aucune de leurs facettes et ne tombant jamais dans une dichotomie facile qui verrait les mauvais se ranger d’un côté du palier et les sympathiques de l’autre. Chacun traîne ses casseroles, ses erreurs et ses errances. Certes, quand Vittorio sort ses quatre vérités à Andrea, on est estomaqué par la violence de ses propos, mais on ne peut s’empêcher, dans un coin de notre tête, de comprendre ce père blessé qui voit dans le comportement de son fils celui d’un lâche et d’un égoïste.
Tre piani est certes de facture classique, mais le film nous touche profondément parce que, s’ils sont confrontés au deuil, à la solitude ou à la culpabilité, les habitants de cet immeuble le sont essentiellement à travers leur rôle de parent : un des plus difficiles qu’il nous est donné de jouer.
LAURENCE HOTTART, les Grignoux