S'inspirant librement d’un fait divers qui a secoué la Belgique il y a quelques années, Stephan Streker livre un thriller haletant qui nous plonge dans les tréfonds de l’âme humaine, avec un exceptionnel Jérémie Renier
Un célèbre homme politique est accusé d’avoir tué son épouse retrouvée morte, une nuit, dans leur chambre d’hôtel. Est-il coupable ou innocent ? Personne ne le sait. Et peut-être que lui non plus…
La réussite du film de Stephan Streker est de contourner le piège d’une (vaine) adaptation factuelle avec ce que cela induit automatiquement de redondant, en préférant transcender le fait divers et voir comment, avec les moyens du cinéma, il est possible de raconter quelque chose d’autre en ne gardant que le substrat de cette affaire complexe. Cela aboutit à une réflexion plus large et universelle sur un être humain à la dérive, où notre place de spectateur est évidemment centrale (le cinéaste nous invite à nous questionner en permanence). L’histoire se passe dans cette ville d’Ostende, digne d’un grand décor de cinéma, dont ressort toute l’atmosphère poétique, particulièrement la nuit. Une ville-horizon où tout échoue, d'où tout repart, où le mystère se faufile en rue, dans les discothèques, sur la digue et la plage jusqu’à disparaître.
Stephan Streker sonde l’homme derrière le masque, dans toute sa nudité, un homme aux portes de la folie qui n’a plus que son ombre pour l’accompagner. Le film opère un mouvement qui nous conduit directement dans l’intimité de cet être coupé du monde, et le geste cinématographique, très adroit, a presque quelque chose d’expérimental : tout épurer pour aller à l’essentiel. La chute du personnage est racontée sans recourir à l’arsenal psychologique cher à de nombreux biopics dramatiques, et on y croit d’autant plus que Jérémie Renier livre une performance exceptionnelle de justesse, assez hallucinée. C’est cela qui fait que l’on accepte d’être à ses côtés sans malaise, de la première à la dernière minute. Le réalisateur s’attache aux gestes, aux mouvements de son personnage qui traverse tous les décors à la dérive, le regard ailleurs… On est tout simplement emporté dans un tourbillon d’émotions contradictoires, comme dans ces films noirs américains où des personnages finissent par être pris dans les rouages d’une sombre histoire qui les dépasse et qu’ils ne semblent pouvoir accepter que par fatalité.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux