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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux
et consacré à
Rocks
un film de Sarah Gavron
Grande-Bretagne, 2020, 1h33

Ce dossier pédagogique consacré à Rocks suggère plusieurs approches du film. Il s'attache notamment au processus de réalisation du film, qui est né d’un travail collaboratif avec des adolescentes a priori étrangères au monde du cinéma. Dans cette perspective, l’on s’interrogera sur le choix de la réalisatrice de privilégier un casting majoritairement féminin, populaire et multiethnique. On reviendra également de façon plus détaillée sur le travail de mise en scène cinématographique et les effets qu’il induit plus ou moins directement sur les spectateurs et spectatrices. Dans une dernière partie, on s’interrogera de façon un peu plus approfondie sur les motivations des personnages féminins, qui varient évidemment en fonction des événements qu’elles vivent mais qui restent le plus souvent implicites et intuitives.

L'extrait ci-dessous est tiré de la partie consacrée à au travail de mise en scène.

Sensibiliser à la mise en scène

Le cinéma, comme tous les médias, comme tous les arts, repose sur une interaction complexe entre la forme et le sens, entre notamment la mise en scène et les multiples significations qu’elle induit. Cette interaction est très généralement perçue de façon intuitive par les spectateurs, et elle mérite à ce titre une analyse et une réflexion notamment avec les plus jeunes.

Objectifs

  • Construire du sens, notamment les sens inférentiels : actions ou sentiments non explicites, présupposés, ellipses, ironie, ambiguïtés, liens logiques non explicites...
  • Exercer son esprit critique
  • Identifier les éléments spécifiques du langage audiovisuel
  • Élaborer des significations et construire une réflexion
  • Faire appel à sa mémoire
  • Exprimer ses propres représentations, les confronter à celles d’autrui

Déroulement

Dans un film de fiction, le travail de mise en scène cinématographique consiste à raconter une histoire en images et en sons. On peut apprécier, évaluer, juger le travail d’un cinéaste en observant comment il traduit en images et en sons des idées, des sentiments, des atmosphères,… tout ce qui ne se dit pas en paroles. Pour sensibiliser au travail de mise en scène, nous proposons deux approches :

  1. La première consiste à examiner comment Sarah Gavron a mis en images et en sons des éléments narratifs qui sont bien identifiables.
  2. La seconde procède de la démarche inverse : qu’est-ce que la cinéaste veut dire ou faire ressentir quand elle filme telle ou telle chose ?

Partir du sens

Concrètement, demandons aux élèves s’ils se souviennent de la manière dont s’y prennent les cinéastes notamment pour :

  • nous faire découvrir les raisons du départ de Funke, la mère de Rocks et d’Emmanuel ;
  • nous présenter les services sociaux ;
  • nous faire percevoir le caractère de Shola (le véritable prénom de Rocks)  ;
  • nous faire sentir le temps de l’intrigue ;
  • nous montrer les ruptures et les pardons dans les relations d’amitié des jeunes filles(Rocks/Sumaya et Rocks/Agnes) ;
  • décrire les adultes et interpréter leurs actions.

Le départ de Funke

Nous savons peu de choses au sujet de Funke, la mère d’Emmanuel et Shola. Nous assistons à la scène du déjeuner où elle semble à la fois absente et émue par ses enfants. Elle regarde ses enfants, avec des yeux emplis de douceur. image du filmElle étreint Shola à son départ et semble rassurée de la voir échanger avec Sumaya. Ce sont les seules images directes que nous aurons. Dans la chambre d’hôtel, Rocks visionne avec nostalgie des vidéos de sa mère. Le téléphone apparaît comme porteur de souvenirs – comme les photos que l’on croise dans l’appartement. Ces scènes banales démontrent que la mère est appréciée et que la famille vivait une vie normale et plutôt heureuse malgré un niveau de vie relativement bas. Nous découvrons, en même temps que Rocks, le mot griffonné et raturé que Funke laisse, expliquant qu’elle a laissé de l’argent, qu’elle a besoin de se changer les idées, qu’elle aime ses enfants. Elle promet de revenir et laisse la responsabilité d’Emmanuel à Rocks. Au détour d’une conversation entre Shola, Emmanuel et Sumaya, nous apprenons que ce n’est pas la première fois qu’elle laisse ses enfants se débrouiller seuls. Nous découvrons qu’elle a perdu son travail deux semaines plus tôt.

Les raisons de son départ nous échappent mais nous sommes persuadés qu’il s’agit d’une bonne mère, parce que Rocks le dit – notamment à sa grand-mère –, parce que la voisine le déclare aux services sociaux, parce qu’on sent que Rocks et Emmanuel ont été élevés avec attention. Indiscrète, la caméra capte des bribes de conversation d’adultes : la voisine explique aux services sociaux que c’est « une très bonne mère mais qu’elle est parfois déprimée » ; la dame des services sociaux interprète le départ de Funke : « elle s’est peut-être sentie dépassée par le traitement psychologique ». Nous n’en saurons pas plus.

Toutes ces indications permettent cependant au spectateur, en sortant de la séance, d’imaginer que la promesse de Rocks à Emmanuel (« On sera bientôt ensemble avec maman mais ne le dis à personne ») pourrait être tenue.

 

Les services sociaux

Shola n’explique jamais son sentiment (de peur ? de rancœur ?) envers les services sociaux. Persuadée que sa mère sera bientôt de retour, elle ne veut pas alerter les services sociaux, malgré les conseils de Sumaya. image du filmNous apprenons à la fin que la mère était déjà partie mais nous ne savons pas si les services sociaux étaient intervenus.

Dès que Rocks voit un homme devant la porte de l’appartement, elle se méfie. Elle décide de se sauver avec Emmanuel chez Sumaya. Le lendemain, elle fuit de nouveau en voyant un homme devant l’école de son frère, les obligeant à se cacher (et, pour Rocks, à subtiliser de l’argent).

La scène où les fonctionnaires sociaux viennent chercher Emmanuel est violente et brute. Comme Rocks, nous découvrons du mouvement, du bruit, des cris. Nous la suivons à la poursuite d’un homme (dont nous ne voyons pas le visage) pour récupérer Emmanuel et savoir « ce qu’ils font ». La scène est filmée par morceaux : une épaule, un morceau de visage, un vêtement, etc. À part la responsable qui tente de parler et d’expliquer à Shola, les fonctionnaires ont le regard fuyant. Nous les découvrons furtivement, tout comme Rocks. Elle monte finalement dans la voiture. La scène est poignante. Pour la première fois, Emmanuel, jusqu’ici enjoué, pleure et demande sa maman. Pour la première fois, le paysage d’intermède est pluvieux (tout le film se passe sous beau temps à part cette scène). Rocks et Emmanuel sont finalement séparés car aucune famille ne peut les prendre en charge tous les deux. Emmanuel semble heureux. Shola est dans une famille dont la dame – une des seules adultes, avec la professeure de gymnastique que nous voyons parler et échanger avec Rocks – semble attentionnée. L’intervention des services sociaux a donc séparé la fratrie mais permet – du moins momentanément – à Rocks et Emmanuel de retrouver un équilibre et une stabilité dont ils ont besoin.

 

Le caractère de Shola

Shola est une adolescente solide, ce qui lui vaudra son surnom de Rocks, comme une pierre qui résiste envers et contre tout (et tous !). Ce surnom, donné par Sumaya, lui vient de l’école – elle le raconte à Roshé dans le bus. image du filmSumaya et elle étaient harcelées. Rocks a résisté et a protégé Sumaya. On sent de la part de ses copines un attachement pour Shola, qu’elles admirent notamment pour ses talents de « tchatche », de danse, de chant et de maquillage. C’est une meneuse. C’est ce que les images principales nous montrent.

De manière plus marginale, la caméra capte des images qui nous montrent une personnalité plus nuancée, plus riche aussi. Elle est attentive et perspicace. Ainsi, lors de la première scène dans l’appartement avec la mère, Shola demande avec douceur à sa mère comment elle va. Toute la relation qu’elle entretient avec Emmanuel est construite sur l’amour, l’attention.

Malgré la carapace qu’elle se construit et qu’elle fait paraître, elle a une sensibilité très fine. On le sent dans les regards qu’elle pose sur Emmanuel ou Sumaya. On sent également une certaine fragilité. Dans des moments joyeux, de danse ou de chant, filmés par un smartphone, la caméra montre parfois des moments plus intimes où l’adolescente semble au bord des larmes. Ainsi, lorsqu’Emmanuel lui demande pourquoi la mère est partie, elle dit « c’est à cause de moi ». Elle tente peut-être de protéger Emmanuel, en ne révélant pas la vérité.

C’est peut-être également un signe d’une certaine culpabilité face au départ de la mère.

 

Ruptures (et pardons) dans les relations d’amitié entre les jeunes filles

Deux disputes viennent émailler cette belle histoire d’amitié entre les amies. Nous pouvons également citer la dispute avec Roshé, extérieure au groupe d’amies et qui ne comporte pas de pardon – Roshé la dénonce sur les réseaux sociaux. Cette dispute est une occasion de plus de montrer la cohésion et l’entraide dans le groupe d’amies initiales qui sont mises au courant et défendent Rocks auprès des autres.

Rocks se dispute avec Sumaya. Avant qu’il y ait rupture entre les deux adolescentes, la cinéaste parvient à mettre en scène, avec finesse, l’amitié des deux amies. Là où Rocks apparaît comme une meneuse protectrice pour Sumaya, cette dernière agit de façon maternante vis-à-vis de Rocks (elle nettoie son intérieur, la conseille, la supporte, l’écoute, prend soin d’Emmanuel – ce qui contraste très fort avec les paroles de Roshé à la sortie du salon de beauté : « On s’est débarrassé du nain », « plus de mioche »). Shola demande à passer la nuit dans la famille de son amie, qui s’active à la préparation du mariage du fils. On sent, au cours de la soirée passée chez l’amie, une tristesse (voire une jalousie) dans le chef de Rocks. La caméra quitte à plusieurs reprises le personnage qui parle ou chante pour se focaliser sur la mine triste de Rocks et Emmanuel. Une fois dans la chambre de Sumaya, Rocks minimise les peines de son amie (dont la sœur part étudier dans une autre ville et dont le frère se marie et quitte le cocon familial). Le ton monte. Pour montrer la fracture et l’incompréhension entre l’une et l’autre, chacune campant sur ses positions et avec ses arguments, la caméra filme en alternance l’une et puis l’autre.image du film Elles n’apparaissent pas dans un plan ensemble. Chacune pleure de son côté dans deux pièces différentes – avec des tons et une lumière totalement distincts – suite à la dispute. À son retour à l’école, après son placement en famille d’accueil, c’est Sumaya qui appelle Rocks dans la cafétéria pour qu’elle se joigne à elles, malgré les regards soutenus et les propos injurieux et réprobateurs des autres élèves. Sumaya partage son repas. La caméra capte des regards, des sourires (un peu gênés) entre les deux adolescentes. La joie de se retrouver est palpable. La scène suivante montre une conversation entre les deux, qui parlent comme si rien ne s’était passé. Leur amitié profonde n’a pas été altérée à long terme. Le pardon n’est pas verbalisé, il est consenti par les deux.

La dénonciation d’Agnes (ou plus probablement de sa mère vu la manière dont les images montrent une désunion entre Agnes et la mère) mènera également à une rupture. Avant de se rendre chez Agnes, Rocks se fâche sur Emmanuel qui pose des questions sur la loyauté de son amie (« je la connais depuis la primaire. Arrête ça ! »). Agnes cache les deux jeunes. Tout comme Sumaya, elle s’inquiète de ce que va faire Rocks et soutient qu’elle ne peut plus se battre seule. Le lendemain, Emmanuel et Rocks sont emmenés par les services sociaux. Une invention visuelle subtile apparaît alors : Agnes donne le sac à Rocks, assise dans la voiture et tente de capter son regard pour pouvoir discuter (s’excuser ? argumenter ?) ; Rocks demande, à deux reprises, que l’on ferme la fenêtre. Au moment où la fenêtre remonte et marque visuellement la rupture entre les deux amies, le reflet d’Agnes apparaît. Cette mise en scène soignée permet de capter le désarroi d’Agnes qui vient d’assister à une scène violente et bouleversante. La réconciliation se fera lorsque Rocks et ses amies récoltent de l’argent pour aller voir Emmanuel. Agnes possède la somme la plus importanteet la met dans la cagnotte – Rocks et Sumaya se regardent, les amies vérifient la véracité du billet (« traitre un jour, traitre toujours » ; « la reine brille »). Au moment où il faut décider si toutes accompagnent Rocks, Agnes répète, à destination de Rocks : « Toutes ? ». Rocks acquiesce. Le pardon n’est pas aussi franc qu’avec Sumaya – Rocks garde les yeux baissés – mais Agnes est de nouveau intégrée dans la bande et fait partie du voyage au même titre que les autres.

 

Temps de l’intrigue

S’il n’est pas capital de mesurer exactement le temps de l’intrigue, il est important de capter la manière dont la cinéaste démontre que la situation dure et s’installe. Le seul indice temporel est la rentrée scolaire, au moment où débute l’histoire (Rocks prend le petit déjeuner avec sa mère et Emmanuel, puis part à l’école). C’est ce soir-là que Rocks découvre la lettre de sa mère. image du filmEnsuite, les journées s’enchaînent, même si elles ne se ressemblent pas. Rocks et son frère se rendent à l’école puis rentrent. On les voit s’avancer dans l’allée de leur immeuble toujours suivant le même point de vue de la caméra – en haut de la rampe, côté gauche – et échanger (une fois Emmanuel parle de son anniversaire, une fois il pose des questions sur les dinosaures).

Les problèmes interviennent au fur et à mesure, dans un temps apparemment court : acheter de la nourriture, manquer d’argent, subir une coupure de courant, etc. La voisine s’inquiète de ne plus voir la mère. On peut donc imaginer que quelques jours sont passés. Nous assistons ensuite aux péripéties des jeunes : trouver un hôtel, se faire expulser de l’hôtel, trouver refuge chez Agnes, être embarqués par les services sociaux, être accueillis dans des familles d’accueil, recommencer l’école et aller voir Emmanuel. Certains moments sont volontairement étirés : à la fois les scènes de joie où les amies se rencontrent mais également la scène passée dehors la nuit où Shola « cherche une solution »et se réfugie finalement chez Agnes. De la même façon, la scène où Emmanuel pleure est longue et bouleversante. L’allongement de ces scènes peut être interprété comme un moyen de traduire, pour les scènes heureuses, l’envie que dure ce moment de partage entre amies, et, pour les scènes de rupture, la détresse des personnages qui cherchent des solutions et subissent un drame. Nous subissons, comme elles, comme eux, la difficulté de trouver un refuge ou la détresse d’être seuls. De manière générale, l’insistance de la caméra sur de tels instants peut sans doute être interprétée comme le signe d’une volonté de placer les émotions au cœur du film au détriment des événements eux-mêmes, qui prennent de ce fait une dimension relativement anecdotique.

 

Le point de vue des adolescents

On ne voit du monde des adultes que ce que Rocks veut bien nous en dire, nous en montrer. Périphérique à l’action, il est réduit au minimum des interactions – souvenons-nous par exemple de cette caissière qui demande des nouvelles de Funke à Rocks, la caméra ne la filme pas.

Les personnages adultes se découvrent peu à peu, au hasard de certaines scènes, de certaines « indiscrétions » de la caméra (voir photos B1, B3, B14, par exemple). Ainsi le départ et les raisons du départ de la mère ne sont pas interrogés par Rocks, qui a déjà subi la même situation dans le passé, et qui tente d’y réagir à vif, sans penser aux implications et aux solutions sur le long terme. Elle réagit de manière instinctive, à l’instar d’une jeune de son âge. Elle lit la lettre, s’énerve mais n’a pas d’autres choix que de continuer. Là où un adulte aurait réfléchi, cherché à comprendre, elle tente de trouver des solutions dans l’action.Nous la suivons dans son cheminement : elle fonce pour trouver sa mère au travail et téléphone à sa grand-mère pour tâter le terrain – mais comprend vite que sa grand-mère ne pourra rien pour eux et tait le départ de la mère. Rocks n’a alors pas d’autre choix que de prendre les choses en main. Ce n’est qu’au détour de conversations que nous découvrons les raisons du départ de la mère. Lorsque Rocks téléphone à sa grand-mère, on se trouve tout comme elle dans cet appartement de banlieue londonienne. La caméra ne filme pas la grand-mère dont on ne connait que la voix au téléphone et dont on découvrira furtivement la photo, au moment où Rocks la regarde. Nous n’avons pas d’autres éléments de réponse que Rocks.

Image du filmLe rythme du film, donné par la fougue et l’obstination de Rocks, est soutenu. Les quelques moments de grâce et de calme se passent avec ses amies et son petit frère Emmanuel (le jeu avec Emmanuel dans l’hôtel ou les scènes de danse sur le toit de l’immeuble). Le temps y semble suspendu. Dans ces moments de partage, elle semble pouvoir vivre l’insouciance propre à son âge. Cette confrontation entre moments de responsabilité et moments d’insouciance est représentative du passage de l’enfance au monde adulte.

La caméra suit Rocks et se met littéralement de son côté ; elle s’intéresse peu aux autres (notamment les autres filles qui se trouvent dans la même école et constituent des groupes distincts, le monde des adultes ou le monde masculin). Cette manière de cadrer, de filmer montre, par l’image, que le point de vue défendu est celui des jeunes, qui ont construit le propos. La distinction entre monde adulte et monde des jeunes est mise en scène comme une fracture. Les jeunes sont soudés, malgré des différences d’âge (Emmanuel, plus jeune, est choyé par les copines), les différences d’origine (les sept protagonistes ont des origines ethniques et des religions différentes), des conditions distinctes (elles vivent des réalités différentes)… Rien ne semble les éloigner et les disputes se règlent de façon naturelle. Ce groupe s’oppose aux quelques adultes qui sont en marge, représentés seuls (un prof, une mère) ou peu unis (les services sociaux). La famille de Sumaya constitue une exception.

Le monde des adultes auquel les adolescents sont confrontés est compliqué et, malgré l’obligation de le prendre en compte, les ados sont parfois dépassés. Elles ou eux sont encore incapables d’appréhender et d’assumer tous les aspects de cette vie adulte (le mariage et le départ d’une sœur pour Sumaya, les rapports avec de jeunes délinquants pour Roshé, la responsabilité d’une mère pour Rocks...).

L’adolescence est un moment de transformation radicale, tant physiquement que dans la manière de voir et d’appréhender le monde. Dans cette tranche d’âge, l’amitié a une place centrale. Nous le verrons, les scènes d’ouverture et de clôture du film mettent l’accent sur la stabilité et la force de l’amitié, malgré des hauts et des bas (voir p. 22-23). La construction et l’écriture collaborative ont certainement mené à un pareil résultat. La force d’avoir écrit le film avec des adolescentes et de les avoir mises en scène, en définissant les rôles en fonction des relations privilégiées qu’elles ont développées pendant la phase d’écriture du film, c’est de coller au plus près à la manière dont se construit une amitié avec ses joies et ses revers. Le fil rouge du film (et sa réussite) repose sur l’amitié, la cohésion et la complémentarité du groupe.

De la même manière, les hommes sont peu représentés et, s’ils le sont, le portait n’est pas flatteur (on voit passer un professeur qui la met dehors, un homme qui chante dans la famille de Sumaya « et se prend pour Mariah Carey », les deux amis délinquants de Roshé, les hommes des services sociaux qui « traquent » Rocks et son frère, l’employé de l’hôtel qui la met dehors et l’injurie). Même l’homme de la famille d’accueil de Rocks est ignoré par la caméra, pour ne s’intéresser qu’à la femme. Seul Emmanuel sort du lot. Cette absence d’homme correspond peut-être au regard de Rocks qui a perdu son père jeune, et qui donc n’a pas de modèle masculin. Cette remarque renforce l’idée que la caméra ne filme que ce qui intéresse Rocks. Cette absence d’hommes peut également s’expliquer par la construction strictement féminine du film. À 15 ans, le groupe d’amies est le pilier d’une existence. Les amies évoquent les garçons (notamment au tout début, lorsque Shola parle avec humour d’un petit ami – imaginaire – qui l’emmène au sommet du Gherkin) mais n’en font pas l’objet central de leurs préoccupations – contrairement peut-être à Roshé, extérieure au groupe – comme c’est souvent le cas dans les films de teenagers, partiellement à tort et surtout, avec un angle de vue masculin.

 

Partir des images et des sons

[Ces commentaires sont disponibles dans le dossier imprimé.]

Affiche du film


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