Medias
Journal & grilles Appli mobile Newsletters Galeries photos
Medias
Journal des Grignoux en PDF + archives Chargez notre appli mobile S’inscrire à nos newsletters Nos galeries photos
Fermer la page

Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Mississippi Burning
d'Alan Parker
USA, 1988, 2 h 05

Le dossier réalisé par le centre culturel Les Grignoux et consacré à Mississippi Burning revient d'abord sur le contexte historique du film, puis sur la situation des Noirs aux États-Unis aujourd'hui. Il propose ensuite des pistes d'analyse du film. C'est un extrait de cette analyse qui est reproduit ci-dessous.
L'ensemble du dossier (qui date de 1989 et qui n'a pas été actualisé) s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec leurs élèves (entre quatorze et dix-huit ans environ). Contrairement à d'autres dossiers plus récents réalisés par les Grignoux, celui-ci ne comporte cependant pas de propositions d'animation directement utilisables en classe : il s'agit essentiellement d'un travail de vulgarisation historique, sociologique et cinématographique.

Mississippi Burning
quelques pistes d'analyse

Les indices de la réalité historique

Cinéaste «commercial», Parker a choisi de traiter l'histoire non sur le mode du documentaire, mais sur celui de la fiction: il a reconstitué l'enquête policière de façon tout à fait libre, et a repoussé la réalité historique à l'arrière-plan comme un contexte (et souvent comme un temps mort) de l'action principale. De ce fait, cette réalité historique n'apparaît que sous forme d'indices clairsemés qu'il faut savoir décoder dans l'instant même de leur apparition.

Il y a dès lors deux lectures possibles de Mississippi Burning , l'une «naïve» qui voit le film de Parker comme n'importe quel autre policier, et l'autre plus «instruite» (instruite de la réalité historique) qui renverse la structure apparente du film et fait venir au premier plan un ensemble d'indices que Parker livre au spectateur, mais qu'il n'expose pas explicitement.

Nous nous proposons d'en examiner quelques-uns.

C'est à une lecture approfondie que nous invitons les élèves: rien n'est innocent dans Mississippi Burning, chaque détail est révélateur d'une situation historique, chaque «temps mort» (du point de vue de l'action) est l'occasion pour Parker de souligner un aspect de la ségrégation ou de la subordination des Noirs. Ici, il faudra nécessairement procéder dans le désordre (puisque ces indices sont livrés dans le désordre) et se fier aux souvenirs des élèves et aux interrogations qu'auront pu susciter chez eux certaines scènes ou certains détails du film. On pourra également s'appuyer sur les informations données dans le premier chapitre de ce dossier sur l'histoire des Noirs aux États-Unis.

1) Dès la première image Parker rappelle la réalité de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis: il nous montre deux fontaines séparées, l'une réservée aux Blancs, l'autre aux gens de couleur. Un Blanc s'approche de la fontaine de gauche, boit, puis s'éloigne; un jeune Noir s'approche et boit à la fontaine de droite: les deux hommes ne se sont pas rencontrés. On peut en outre remarquer l'aspect sale et vieilli de l'endroit: ce n'est pas l'image habituelle que nous avons des États-Unis, pays en pleine expansion économique.

Mais cette image d'expansion est surtout celle du nord et de l'ouest des États-Unis: le Sud, très agricole, est en retard du point de vue économique sur le reste du pays (du moins dans les années 60), et ce retard (dû notamment à la guerre de Sécession) explique, parmi d'autres facteurs, le ressentiment des “Sudistes” à l'égard des hommes du Nord. A plusieurs reprises dans le film, Parker soulignera l'aspect vieillot de la vie dans le Sud, notamment lorsqu'il nous fera pénétrer dans le salon de coiffure (pour hommes) ou dans le tripot clandestin.

2) L'opposition entre le Nord et le Sud est un des facteurs déterminants de cette époque. La guerre de Sécession qui les avait mis aux prises, était encore dans les mémoires: le Sud défait et humilié avait répliqué en instaurant la ségrégation et en privant les Noirs de leurs droits civiques (cfr. Chapitre I). Mais la Cour Suprême, instance fédérale installée à Washington, c'est-à-dire dans le Nord, va juger cette ségrégation et ces mesures anticonstitutionnelles: les hommes du Nord vont alors obliger le Sud à mettre fin à ces pratiques.

Parker marque particulièrement bien ce caractère conflictuel des rapports entre le Nord et le Sud. Dans les interviews réalisées par la télévision, les hommes et les femmes du Sud soulignent plusieurs fois que les militants pour les droits civiques sont venus du Nord: on leur impose à eux, les hommes du Sud, des décisions et des réformes qu'ils n'ont pas voulues et qui viennent de l'État fédéral.

Or les principaux représentants de cet État fédéral (qu'ils rejettent et dont ils ont voulu faire sécession) sont les agents du F.B.I. qui vont entrer en conflit avec la police locale (c'est-à-dire «sudiste»): le Nord vient faire la police dans le Sud et cette intrusion est inacceptable (pour les Blancs du Sud).

Parker livre à ce propos un petit détail significatif: le choix des costumes. Ward (Willem Dafoe) et les homme du F.B.I. qu'il appelle à la rescousse portent des costumes noirs, très stricts, alors que les hommes du Sud portent des vêtements plus clairs, et sont souvent en bras de chemise. Ainsi, lorsque Ward pénètre pour la première fois dans le bureau du shériff, et qu'il s'adresse à l'adjoint, en lui déclarant qu'il est un agent du F.B.I., celui-ci lui réplique: «Vous n'êtes pas incognito comme vous êtes sapé là!».

Cette différence de costumes est révélatrice de différences de moeurs (comme le révèle la première discussion entre Ward et Anderson qui, lui, est originaire du Sud): les hommes du Nord sont plutôt des employés, des intellectuels, des hommes de bureau, installés en ville, alors que ceux du Sud sont des hommes de terrain, de la campagne, des travailleurs manuels qui «tombent la veste». Il ne s'agit bien sûr que d'une tendance générale traduisant des différences de développement économique entre le Sud et le Nord.

Dernier détail à propos de ce conflit entre le Nord et le Sud: quand les hommes du Klan arrivent en voiture au centre ville, on peut remarquer à côté de la plaque d'immatriculation un petit drapeau de l'ancienne confédération sudiste. Les hommes du Klan n'ont pas oublié l'histoire et se réclament fièrement de ce Sud qui a voulu faire sécession de l'Etat nordiste.

3) Parker livre par ailleurs plusieurs indications sur la situation des Noirs dans le Sud des États-Unis à cette époque. Victimes de la ségrégation (voir la première image du film, la scène dans le restaurant puis au tribunal), les Noirs occupaient l'échelon le plus bas de l'échelle sociale, et servaient de main-d'oeuvre à bon marché pour les Blancs.

Lorsqu'on examine la répartition des lieux dans Mississippi Burning, on constate une nette bipartition de l'espace entre d'une part le centre ville où ne semblent résider que des Blancs et où les Noirs ne sont admis que pour travailler ou consommer (au restaurant par exemple), et d'autre part la périphérie où se trouve un ghetto noir, et la campagne où les Noirs occupent, semble-t-il, des maisons isolées. La ségrégation s'inscrit donc aussi dans la répartition de l'habitat.

En outre, les différences socio-économiques sont nettement marquées entre les quartiers. Si, comme on l'a dit, le centre ville dégage un charme vieillot, les maisons des Noirs par contre sont de pauvres cabanes de bois sans luxe ni décoration. La première scène d'interrogatoire est à cet égard fort significative. Après s'être rendu au bureau du shériff, Ward et Anderson se rendent sur les ruines d'une église incendiée par le Ku Klux Klan, puis interrogent une vieille femme noire, témoin du méfait: la scène débute par un gros plan sur le visage de cette femme, visage ridé et marqué par la vieillesse, et l'on entend, sans le voir, la voix de Ward posant des questions; puis la caméra recule et révèle l'ensemble du décor: la vieille et son mari vivent dans un taudis misérable et pourri. Chaque fois que le spectateur aura l'occasion de pénétrer dans des habitations de Noirs, la caméra révélera un décor similaire, misérable, même s'il n'est pas toujours aussi sordide.

Mais beaucoup d'indices sont nettement moins visibles. Il faut par exemple être fort attentif pour remarquer que Hollis, le Noir avec qui Ward essaie de discuter au restaurant et qui est enlevé par le Ku Klux Klan, se retrouve enfermé dans une cage au milieu d'un champ de coton (la «cage» servant elle-même sans doute à entreposer le coton). Il s'agit évidemment d'un rappel de l'importance de la culture du coton dans le sud des États-Unis, qui a fait des Noirs des millions d'esclaves puis une main d'oeuvre à bon marché.

On retrouve le même genre d'allusion lors de l'arrestation finale du chef du Ku Klux Klan, qui, menottes au poings, est emmené par les policiers devant ses ouvriers noirs éberlués: c'est encore une fois pour Parker l'occasion de signaler que la ségrégation raciale se doublait d'une exploitation économique.

4) Enfin, on remarquera les nombreuses allusions que Parker fait à l'histoire du combat des Noirs pour la reconquête de leurs droits civiques dans les années 60. Outre le sujet même du film (l'assassinat de trois militants pour les droits civiques), il y a dans Mississippi Burning toute une évocation du climat effervescent qui régnait en Amérique à cette époque-là: en soulignant le rôle de la presse omni-présente, Alan Parker montre bien que cette assassinat n'était pas une «affaire» locale, et que tous les États-Unis se sentaient concernés par cette disparition. La lutte pour les droits civiques traversait et divisait l'Amérique.

Ainsi, le shériff local ne peut s'empêcher, devant Ward et Anderson, de faire un mauvais jeu de mots sur le nom de Martin Luther King (en le transformant en Martin Luther King Kong): avec ce jeu de mots, le shériff s'en prend (maladroitement) au leader incontesté du mouvement pour l'égalité des droits dont il ressent la pression (au moins morale) jusqu'au fond du Mississippi. Par ce détail, Parker indique bien que les trois militants n'ont pas seulement été assassinés pour ce qu'ils étaient, mais surtout pour ce qu'ils représentaient: l'émancipation possible des Noirs dans l'ensemble des États-Unis qui était en train de se réaliser à cette époque.

Semblablement, Ward (Willem Dafoe) informe Anderson au début du film qu'il était à l'Université du Mississippi pour protéger James Meredith, le premier étudiant noir à s'y être inscrit (cf. chapitre I) et qu'il y a en outre reçu une balle dans l'épaule... Cette courte allusion (qui ne peut être comprise que si l'on connaît le nom de James Meredith) permet encore une fois à Alan Parker d'indiquer que le meurtre des trois militants ne fut pas une affaire isolée (même si elle fut particulièrement grave) et qu'elle s'incrivit dans tout un contexte de lutte politique qui concernait tous les États-Unis.

Par chacun de ces détails, le réalisateur essaie de montrer — ne serait-ce qu'allusivement — qu'il ne s'agissait pas là d'un «fait divers», mais d'un épisode particulièrement dramatique d'un combat beaucoup plus large et plus important. On signalera encore à ce propos l'allusion au fait que «dans ce comté, il y a 5.000 nègres qui n'ont pas leur carte d'électeur...» (c'est un des membres du Klan qui affirme cela à Anderson dans le bar clandestin): sans carte d'électeur, les Noirs ne pouvaient pas voter. C'est là évidement un rappel de l'enjeu historique des événements que relate Mississippi Burning.

Parker ne fait pas seulement un film policier, ou plus exactement, il essaie, à travers une intrigue policière, d'évoquer tout un contexte historique nécessaire pour comprendre cet événement apparemment isolé. Anderson souligne d'ailleurs à plusieurs reprises le rôle «néfaste» de la presse dans le déroulement de l'enquête: «Tout a foiré, dit-il, quand on en a fait un show pour les médias». Auparavant, il avait en outre affirmé à Ward que faire appel à l'armée (fédérale), c'était déclencher une guerre civile.

L'armée, la presse représentent une intrusion du pouvoir fédéral, de l'opinion publique américaine (perçus comme «nordistes») au Mississippi: celui-ci n'est pas un État isolé, mais ressent au contraire la pression que lui fait subir le reste des États-Unis, et y réagit par une violence désordonnée. L'enquête policière constitue ainsi un enjeu dans une lutte politique et sociale beaucoup plus large, à savoir la capacité pour l'État fédéral d'imposer à chaque État local la fin de la ségrégation et des discriminations raciales.

Une réalité fragmentaire et reconstituée

Par sa façon d'aborder la réalité historique, Mississippi Burning diffère sensiblement d'un quelconque film policier. L'histoire réelle interfère avec la fiction, des images d'actualités authentiques viennent s'insérer dans des images de cinéma, de multiples indices du contexte politique et social de l'époque viennent se greffer sur la trame policière.

Nous nous proposons d'analyser dans ce paragraphe ce qui différencie Mississippi Burning d'un simple film policier. Outre les indices historiques dont on vient de faire un relevé, il y a dans la construction même du film de Parker des éléments qui ne relèvent pas de la simple logique policière.

Il nous paraît utile d'attirer l'attention des élèves sur ces éléments, par exemple par un jeu de questions réponses: qui sont en définitive les assassins? Qui est responsable des épisodes de lynchage et d'incendie? Que faut-il penser des condamnations à la fin du film? Est-ce que l'image que donne la presse de l'époque de cette affaire est exacte? La presse a-t-elle été manipulée? Si oui, par qui? Est-ce que toute l'affaire est éclaircie pour le spectateur à la fin du film? Reste-t-il des zones d'ombres? Si oui, à quoi sont-elles dues?

Ces quelques questions devraient permettre de montrer que Mississippi Burning a un aspect fragmentaire dû au fait qu'il traite d'une matière historique reconstituée et, de ce fait, partielle.

Même si Alan Parker met cette intrigue policière à l'avant-plan de son film, il ne peut pas faire (et ne le veut sans doute pas) abstraction du fait qu'il traite d'abord d'une réalité historique et non pas seulement d'une histoire policière qu'il pourrait manipuler à sa guise. Mississippi Burning doit, par la présence de cette réalité historique, déjouer la logique (habituelle) du film policier: le spectateur verra par exemple s'afficher à la fin du film les diverses condamnations, mais aussi les acquittements prononcés par la justice suite à l'enquête du F.B.I.; mais il ne pourra pas dire si ces jugements sont bien conformes aux faits relatés. Si l'adjoint Pell est manifestement coupable, le shériff et Townley (le chef du Ku Klux Klan) méritaient-ils d'être acquittés? Le film ne nous le dit pas: il y a là une absence, un manque d'informations, qui est dû au fait que, dans la réalité, toute la lumière n'a pas non plus été faite sur cette affaire.

Alors que, dans un film policier, l'accent est mis habituellement sur l'éclaircissement d'une intrigue au départ obscure, Parker va au contraire souligner l'aspect fragmentaire, partiel, partial même, des informations qu'il rapporte. C'est ainsi que nous ne saurons jamais exactement ce que Madame Pell a révélé à Anderson (même si l'on peut en deviner l'essentiel) : lors du premier aveu de Madame Pell dans son salon de coiffure, la caméra par exemple reste au-dehors, devant la vitre où nous voyons ses lèvres s'agiter sans que l'on puisse comprendre ce qu'elle dit.

C'est pourquoi aussi Alan Parker multiplie tout au long de son film les images de la télévision de l'époque, les interviews par la presse de témoins anodins ou au contraire d'acteurs essentiels de l'histoire (comme le chef du Ku Klux Klan): la réalité, c'est-à-dire la recherche des assassins, est masquée, déformée, par les multiples images que chacun, témoins, policiers, presse, en donne, et que chacun essaie d'utiliser à son profit (ainsi le chef du Klan donne des interviews violemment racistes, antisémites et anticommunistes à la presse).

La manipulation des images fait partie du combat que se livrent F.B.I. et hommes du Klan: l'une des séquences de Mississippi Burning débute par exemple par des images en noir et blanc d'un défilé du Ku Klux Klan. Puis la caméra recule et nous révèle que ce sont les hommes du F.B.I. qui se projettent ces images, sans doute pour identifier dans ce défilé l'une ou l'autre personnalité du Klan. La manifestation de force du Ku Klux Klan se retourne contre lui et devient un instrument d'investigation policière.

Déformée par les images qu'on en donne, la réalité apparaît également de manière fragmentaire. Beaucoup d'épisodes sont bruts sans que Parker ne nous en donne les tenants et les aboutissants: c'est ainsi que les lynchages de Noirs, les incendies de maisons et d'églises sont montrés tels quels à l'écran sans l'on connaisse les assaillants, ni leurs motivations, ni les conséquences de leurs actions (seront-ils retrouvés ou non?). Les faits sont rapportés sans suite, et le spectateur doit reconstruire les liens qui les unissent. Une part des événements restera définitivement cachée au spectateur parce que, dans la réalité, l'enquête policière n'a pas complètement éclairci cette affaire et a laissé certains éléments dans l'ombre.

C'est bien là l'impression que veulent donner les dernières images du film, celles de l'arrestation des suspects dont l'image est fixée par les flashes des photographes avant que ne s'affiche le verdict de la justice les concernant: le film s'arrête, mais sur une image problématique, sur une image qui est ressentie comme telle, comme une photo de presse qui n'a saisi que l'apparence de la réalité. Mississippi Burning ne se termine pas dans la clarté habituelle des films policiers: il s'achève au contraire en indiquant qu'une part de la réalité échappe au film, comme elle a échappé à la presse et à la télévision, ne saisissant que l'apparence des choses (ainsi les déclarations mensongères des témoins).


Tous les dossiers - Choisir un autre dossier