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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Maria pleine de grâce - Maria Full of Grace
de Joshua Marston
USA / Colombie, 2004, 1 h 41

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Maria pleine de grâce avec leurs élèves (entre quatorze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

La construction du film

Maria pleine de grâce est un film relativement accessible dont l'histoire pose sans doute peu de problèmes de compréhension immédiate. Avec des spectateurs adolescents, il est dès lors intéressant de s'interroger de façon un peu plus approfondie sur la construction du film, c'est-à-dire sur la manière dont ses différents éléments sont organisés, de façon plus ou moins invisible, de façon à transmettre aux spectateurs valeurs et significations. Ce film en effet, loin d'être un document brut sur une réalité préexistante, est évidemment le résultat d'un long travail de Joshua Marston aussi bien au niveau du scénario que de la mise en scène ; et ce travail d'élaboration d'une fiction cinématographique vise notamment à produire des effets de sens mais également des impressions émotives ou affectives sur le public. On remarque par exemple facilement que, de façon très classique au cinéma, le cinéaste a choisi une actrice jeune et jolie afin de susciter la sympathie ou au moins l'empathie spontanée des spectateurs et spectatrices.

L'on proposera dès lors ici de mener une réflexion plus approfondie sur un aspect particulier du film, à savoir l'utilisation de motifs contrastés : de façon un peu abstraite, on peut dire qu'il s'agit d'éléments filmiques entre lesquels existent un rapport de similitude mais également des différences perceptibles. Ces éléments peuvent être des personnages mais également des événements ou même des images plus ou moins remarquables. Ces éléments en contraste — par exemple deux sœurs, une aînée, une cadette — induisent immédiatement des effets de sens « en halo » — dans l'exemple choisi, autoritaire / révoltée ou sage / imprudente, etc. —, c'est-à-dire des superpositions de significations multiples, plus ou moins explicites, plus ou moins évidentes ou au contraire secondaires et implicites (mêlant de façon souvent confuse ce qu'on appelle en linguistique dénotations et connotations [1]). Proposons donc aux participants l'exemple des deux « amants » de Maria. Juan, son petit ami qui l'a mise enceinte, apparaît comme un garçon très terre-à-terre, sans grande ambition, soumis aux conventions sociales : dans une scène significative du début du film, il refuse par exemple de monter sur le toit d'une maison en construction alors qu'elle ne cesse de lever les yeux vers le ciel. Bientôt, il lui dira qu'il ne l'aime pas et qu'il ne l'épouse que parce qu'elle est enceinte. Vivant dans une petite ville de province, il veut rester là et mener une vie de famille tranquille.

Franklin en revanche est évidemment un « mauvais garçon » : mais, grâce à sa moto (Juan circule à vélo, même si c'est à peine indiqué), il peut emmener Maria à Bogota, et, par ses relations et ses combines, il va l'envoyer dans le « ciel », c'est-à-dire en avion vers les États-Unis. Mais le « ciel » pour une « mule », cela peut également signifier la mort...

Les participants pourraient ensuite s'appuyer sur le questionnaire de la page suivante pour décrire, de façon aussi complète que possible, tous ces motifs en contraste qui forment la structure significative du film. On remarquera par ailleurs que chaque « élément » (comme Maria) peut être pris dans plusieurs « couples » (si on la compare par exemple avec sa sœur ou bien avec Lucy ou encore avec la sœur de Lucy...) avec lesquels il entretient des relations différentes.

Maria pleine de grâce

Voici une série d'éléments — personnages, situations, lieux, objets... — qui apparaissent dans le film Maria pleine de grâce de Joshua Marston : entre ces éléments (pris deux à deux), il est possible de repérer des ressemblances mais également des différences significatives. Essayez de décrire lesquelles.

  Ressemblances Différences
Maria | sa sœur    
Maria avec le patron de la roseraie | Maria avec le « patron » du trafic    
Maria | Lucy    
Maria | sa copine Blanca    
Franklin « l'expéditeur » | les destinataires    
Trafiquants | policiers    
Maria | la sœur de Lucy    
La sœur de Maria | la sœur de Lucy    
La drogue | le bébé    
La Colombie | New York    
Échographie | funérarium    
Le regard de Maria

Maria pleine de grâce

Exemple de réponses
  Ressemblances Différences
Maria | sa sœur vivent en Colombie, pauvres, avec un enfant (né ou à naître) aînée / cadette ; soumise / révoltée
abandonnée / « abandonnante »
reste en Colombie / veut partir
assistée, passive / active, décidée
Maria avec le patron de la roseraie |
Maria avec le « patron » du trafic
deux patrons désobéissante, révoltée /  obéissante, soumise
Maria | Lucy « mules », sœurs cadettes premier passage / passages multiples
pauvre / enrichie
17 ans / plus âgée
innocente / expérimentée
Maria | sa copine Blanca ouvrières puis « mules » audacieuse / timide
a du succès avec les garçons / n'a pas de succès
prend l'initiative / suit sa copine
Franklin « l'expéditeur » | les destinataires trafiquants hispanophones « gentil » / « méchants »
attentionné et rassurant /  brutaux et méprisants
Trafiquants | policiers plus malins que Maria ne laissent rien « passer » / laissent passer
Maria | la sœur de Lucy femmes enceintes cadette / aînée
malhonnête / honnête
veut rentrer en Colombie / veut rester en Amérique
La sœur de Maria | la sœur de Lucy mères seule / mariée
demande de l'aide à Maria / aide Maria
La drogue | le bébé dans le « ventre » ; le docteur, le trafiquant « palpent » le ventre radiographie / échographie
poison mortel / vie future
La Colombie | New York on vend les mêmes galettes dans les rues,
on propose les mêmes métiers mal payés aux pauvres (travail au noir de couturières à New York)
les paysages sont différents :
quand Maria lève les yeux, elle voit le ciel en Colombie, des buildings à New York
Échographie | funérarium ce sont des lieux où l'on s'occupe du « corps » (des vivants ou des morts) vie / mort

Commentaires

Le film n'est pas un simple « reflet » d'une réalité préexistante, et chaque détail de l'histoire a été inventé par le cinéaste et scénariste de façon à suggérer des valeurs, significations et / ou émotions : ce sont en particulier les contrastes qui vont singulariser l'histoire de Maria qui ne ressemblera dès lors à celle d'aucune autre « mule ».

Le personnage de Diana, la sœur de Maria, est évidemment une création de la fiction, et l'on comprend facilement qu'elle sert, en tant que telle, à montrer au spectateur quel serait l'avenir « normal » de Maria : vivre dans des conditions difficiles, tomber enceinte relativement jeune et être éventuellement abandonnée par son amant ou mari, « sacrifier » sa jeunesse pour élever son enfant, être contrainte à des travaux pénibles et mal rémunérés... Par opposition à ce destin, Maria va alors se caractériser notamment par son indépendance d'esprit — c'est elle qui abandonnera un amant trop peu ambitieux —, une certaine forme d'égoïsme ou d'égocentrisme — elle se moque de sa sœur qui s'inquiète parce que son bébé est constipé —, un désir manifeste de sortir de sa condition...

Chacun des motifs en contraste qu'on a relevés dans le questionnaire précédent peut ainsi faire l'objet de commentaires plus ou moins approfondis qui devraient permettre de mettre au jour toute la structure significative du film. L'explicitation de ces réseaux sémantiques dépend bien sûr des éléments filmiques eux-mêmes mais également des capacités (ou des dispositions interprétatives) des participants : on ne commentera donc ici que les motifs qui peuvent paraître plus problématiques.

Patrons

[...]

Trafiquants

[...]

Trafiquants et policiers

[...]

Être mère

[...]

Le ventre de Maria

Dans ce cas, ce ne sont plus des personnages qui sont mis en relation mais des gestes ou des situations. Après qu'elle a avalé les premières gélules de drogue, le trafiquant en chef dit à Maria de s'allonger pour qu'il puisse lui palper le ventre pour positionner correctement ces boulettes ; ensuite à New York, la jeune femme se rendra à une visite médicale où les gestes de la gynécologue seront similaires, mais celle-ci précisera immédiatement qu'une femme enceinte ne doit ni boire ni fumer ni prendre de la drogue, car « tout ce qui est consommé est directement transmis au bébé ». Dans le contexte du film, ces paroles prennent une dimension ironique pour le spectateur qui connaît l'énorme quantité de drogue avalée par Maria (même si, bien sûr, cette drogue n'a pas pu être absorbée par son organisme et n'a eu aucune influence sur son bébé).

Ici aussi, le parallèle entre le geste du trafiquant et celui de la gynécologue a certainement été voulu par le réalisateur, même si les deux situations sont éloignées dans le temps : quand nous voyons les gestes de la gynécologue — qui sont des gestes destinés à préserver la vie —, nous devons repenser à ceux du trafiquant dont il apparaît maintenant trop clairement qu'ils impliquaient un risque mortel.

Colombie / États-Unis

[...]

Vie et mort

[...]


Maria pleine de grâce n'est évidemment pas un simple film d'aventures (même s'il contient des aventures), et les événements qu'il raconte ont été inventés par le cinéaste et scénariste Joshua Marston de façon à traduire certaines valeurs et significations : si Maria devient une « mule », ce n'est pas d'abord ou uniquement ou essentiellement pour l'argent, comme on pourrait le croire de prime abord, mais bien parce qu'elle veut changer de vie, et que, pour cela, elle est prête à risquer sa vie : la mort de Lucy n'est dès lors un « accident » que pour les trafiquants ou les policiers, mais elle est essentielle pour Maria, pour la fiction, pour les spectateurs, car elle révèle les véritables enjeux — la vie, la mort — de cette histoire.

Les motifs en contraste que l'on peut repérer dans le film (les participants en remarqueront peut-être d'autres) ne sont donc pas dus au hasard ni à un simple caprice du cinéaste mais contribuent de manière essentielle à la signification du film qui dépasse largement le récit mis en scène. Cette signification est en partie celle que Maria donne elle-même aux événements, mais elle est d'abord une construction de l'auteur du film. C'est lui notamment qui lui donne ce titre très particulier (sur lequel on peut méditer un instant avec les participants), qui filme également à trois reprises le visage de Maria levé vers le ciel, ou qui laisse apparaître derrière Maria quittant l'aéroport cette inscription murale à double sens dans le contexte de son histoire : « It's what's inside that counts. »

Bien entendu, l'art du cinéaste est de suggérer, de façon aussi « naturelle » que possible, ces rapprochements entre images, entre personnages, entre événements, sans chercher à les expliciter à travers les propos des personnages ou par la voix d'un narrateur extérieur.


[1] Cette distinction abondamment utilisée reste problématique : contrairement à la dénotation qui serait le sens commun d'un mot partagé par tous les locuteurs, les connotations seraient des significations secondaires, figurées, expressives, subjectives, propres à certains locuteurs, faiblement codifiées, etc. Mais l'on comprend facilement que cette distinction n'est pas absolue et recouvre plutôt un continuum. C'est le cas en particulier au cinéma où l'image (mais également les bruits et les musiques) ne dépend pas d'un seul système d'interprétation fortement codifié comme celui de la langue, mais de multiples systèmes et stratégies qui varient largement selon les compétences individuelles : ainsi, le spectateur qui connaît New York (ou au moins sa géographie) réagira certainement différemment devant le périple de Maria et de sa copine que quelqu'un pour qui cette ville est aussi inconnue (et aussi mythique) que pour la jeune fille.


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