Paris, mai 1962. Après le cessez-le-feu en Algérie, les parisiens font la fête, s’ennuient, rêvent, sont amoureux, cherchent un logement ou tout simplement le bonheur. C’est Le joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme.
Avec son prédécesseur, Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin (1961), Le joli Mai est un des premiers documentaires français à descendre dans la rue pour donner du temps de parole aux passantes et aux passants. Prenant Paris sur le vif grâce à un matériel de tournage qui s’allège et s’assouplit au début des années 1960, le film veut dépasser une image figée et lourde d’une ville sursaturée d’histoire.
Entre névrose des grands ensembles et carte postale du vieux Paris, Chris Marker et Pierre Lhomme interrogent tout simplement les Parisiens. Les nombreux entretiens qui résultent de cette démarche révolutionnaire pour l’époque, croisent de multiples sujets hétéroclites : les problèmes de logement et l’invention d’un sous-marin de poche, la guerre d’Algérie et la place de la femme en politique, le record du monde de twist (72 h de déhanchement !) et les premiers soubresauts populaires provoqués par le drame de la station métro Charonne.
Par cet assemblage, le film réalise le souhait d’une exploration nouvelle de la ville que la voix d’Yves Montand énonce au début du film : « On voudrait la découvrir à l’aube. On voudrait la découvrir sans mémoire. »
Pour autant, Le joli Mai ne tourne pas le dos à la mémoire. Mais en diagnostiquant l’accélération qui ronge Paris et qui inspirera bientôt Playtime de Jacques Tati (1967), Daguerréotypes (1975) de Varda, et bien d’autres grands films encore, le documentaire de Marker et Lhomme tisse les fils d’une mémoire multiple, une mémoire du quotidien en train de se faire, sans postérité. « Dans 10 ans, ces images nous dépayseront davantage qu’aujourd’hui celles de Paris 1900 » dit la voix off qui remplace ainsi la nostalgie paralysante par une conscience aigüe du moment.
Le joli Mai n’est donc pas un arrêt sur image mais une sorte de prélèvement anthropologique dans un fourmillement social et urbain que Marker ne cessera d’explorer par la suite pour saisir l’histoire politique dansl’image de cinéma. Certes, les barricades du Quartier latin et les grèves filmées par Marker sont encore loin. Mais dans les silences des regards de certains passants, tout comme dans les tirades emportées d’autres badauds, Le joli Mai annonce qu’à Paris, la rue redeviendra bientôt un lieu politique.