Cette adaptation de l’autobiographie du caricaturiste John Callahan est une œuvre poignante, incisive et drôle sur la rédemption, le pardon et le pouvoir de guérison à travers une pratique artistique, magnifiée par la complicité explosive entre Gus Van Sant et Joaquin Phoenix.
Un titre à rallonge qui intrigue et rend perplexe. Une plongée dans la vie du dessinateur satiriste américain John Callahan où les drames se ramassent à la pelle : alcoolisme, accident de la route particulièrement dramatique. Voilà des ingrédients qui pourraient susciter votre méfiance à l’égard de cette proposition cinématographique. Mais deux prodiges sont à la manoeuvre : le réalisateur Gus Van Sant (My Own Private Idaho, Will Hunting, Elephant…) et l’acteur Joaquin Phoenix (A Beautiful Day, Walk the Line, L’homme irrationnel, Two Lovers…) Avec l’habileté qu’on lui connaît, le cinéaste entrelace divers niveaux temporels, tout en gardant la pleine maîtrise narrative de son film.
Nous voilà donc avec un John Callahan en goguette sur les plages californiennes, la plate de tequila dans son pantalon, sa tignasse rousse en harmonie avec le mauvais goût de sa chemise hawaïenne, le regard hébété face aux beautés en maillot de bain, puis la virée alcoolisée qui lui sera fatale. Un corps fracassé et supplicié à l’hôpital. La rencontre avec une âme soeur lumineuse, le travail douloureux de la rééducation, les prouesses de la chaise roulante et une forme de liberté retrouvée. Mais l’alcool est toujours là en point de mire. La rencontre avec la chaude solidarité, les débats et témoignages fiévreux des alcooliques anonymes lui tiendront la tête hors de l’eau. Et petit à petit, ses dessins au feutre noir finiront par émerger, gravés à deux mains sur la page blanche. Une manière de dédramatiser son handicap, de prendre de la hauteur avec un humour corrosif qui n’a que faire du politiquement correct.
Gus Van Sant a l’art de s’adapter à son sujet. Ici, il nous livre une oeuvre à forte charge mélodramatique mais il tient à distance la graisse des bons sentiments, le larmoyant intempestif, le cabotinage débridé. Il préfère se concentrer sur des détails concrets, les corps, faits et gestes de ses personnages. Par exemple, quand Callahan commence à apprivoiser sa chaise roulante et la transforme en bolide électrique.
Quant à Joaquin Phoenix, à l’instar de Daniel Day-Lewis, il a annoncé à plusieurs reprises qu’il quittait définitivement le cinéma. En voyant le jusqu’au-boutisme de sa prestation, on peut comprendre que l’acteur ait envie de jeter l’éponge. Il se fond dans une tornade d’émotions savamment maîtrisée : cri et effarement du supplicié, rage de l’enfant abandonné, rapport charnel à la boisson, corps tordu dans le handicap, éveil de l’artiste qui prend conscience de son art et le teste auprès de tous ceux qu’il côtoie.
© DANY HABRAN, LES GRIGNOUX