Spielberg, Meryl Streep, Tom Hanks : trio gagnant pour ce film lucide mettant brillamment en scène un scandale politique révélé par une presse dont la liberté est malmenée… Un grand film délectable, qui fait du bien par les temps qui courent.
En 1971, le New York Times règne en maître incontesté de la presse quotidienne étatsunienne. Mais c’est ici l’histoire du Washington Post qui nous est contée de main de maître, et du tour de force qui lui a valu d’acquérir ses lettres de noblesse et une place dans la cour des grands.
Quelque chose se trame, le Post en a été informé par la bande. Il existe des documents classés confidentiels et sortis en douce du Pentagone, qui remettent en cause l’entièreté de la politique guerrière au Vietnam.
Ben Bradlee (Tom Hanks), le rédac chef, y voit l’opportunité de ravir le scoop au Times. Tous s’activent à débusquer l’informateur. En vain. Le Times a été le plus rapide. Mais bientôt, vu le sujet sensible, le politique s’en mêle et la liberté éditoriale du Times semble compromise. Bradlee comprend très vite que le Post a un rôle à jouer qui dépasse les querelles journalistiques. En plus de se ménager une place enviable et une légitimité accrue, il en va aussi d’une déontologie plus vaste : couvrir le scandale et continuer à révéler les bonnes pages des « Pentagon papers » est une des missions suprêmes, voire sacrées, que Bradlee, journaliste passionné, entend mener à bien. Encore faut-il mettre la main sur les documents, et convaincre la propriétaire du titre, Katharine Graham (Meryl Streep).
Celle-ci est sous la coupe d’un conseil d’administration composé de vieux mâles blancs trop sûrs de leurs privilèges, qui ne la voient que comme une mondaine malhabile arrivée par hasard aux sommets (via son père puis son défunt mari). Sous le coup de ce moment dont elle pressent la portée historique, elle devra reprendre un rôle de décideuse auquel elle ne croyait pas pour elle-même. Et l’indépendance progressive de cette femme hors du carcan paternaliste est tout à fait jouissif à observer.
Pentagon Papers est une savoureuse célébration du courage, des risques encourus sciemment pour un idéal qu’on défend. Qu’il se situe dans un passé révolu au point d’en devenir fascinant (les téléphones publics à pièce, les pages de documents péniblement photocopiées et transportées en avion, mais surtout le travail des imprimeurs et des vieilles rotatives) n’enlève rien à l’évidence élémentaire qu’il a été fait pour nous, ici et maintenant.
Spielberg mène avec une classe infinie une escarmouche gagnante contre les politiques qui foulent aux pieds la liberté de la presse et le secret des sources. Il le fait avec une simplicité qui tient du génie, une histoire qui file vite, qui va droit à l’essentiel sans tergiverser, un divertissement dans son sens le plus noble, qui se ménage un suspens d’autant plus impressionnant qu’on connaît plus ou moins la fin de l’histoire. Et il s’entoure d’acteurs dont l’aura n’entame en rien l’excellence : Meryl Streep et Tom Hanks.
Ça fait beaucoup d’adjectifs élogieux – mais pour de vrai, c’est mérité ! Et ça fait un bien immense de voir un film qui remet au centre l’idée que la presse libre et indépendante est un des garants de nos démocraties, un pilier nécessaire de plus en plus malmené.
© Catherine Lemaire, Les Grignoux