Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée à
Synopsis
des rencontres autour de la littérature et du cinéma
L'analyse en éducation permanente proposée ici porte sur SYNOPSIS, un projet réunissant des spectateurs des Grignoux (Caméo, Namur, Belgique) et des lecteurs de la Librairie Papyrus, autour d'une réfexion sur l'adaptation d'oeuvres littéraires au cinéma. Ces réflexions s'adressent notamment aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder la question des rapports entre littérature et cinéma avec un large public.
L'analyse est également disponible gratuitement au format pdf.
Comment élargir le public et développer son esprit critique en proposant une rencontre autour d'un même récit, raconté à la fois par un écrivain et un cinéaste?
La création des ateliers Synopsis est issue d'une réflexion menée avec un partenaire de longue date, la librairie Papyrus, le pendant local dans le secteur de l'édition des salles du Caméo à Namur. Les points communs entre Les Grignoux et Papyrus sont nombreux. On peut notamment citer:
Au delà de ces réalités communes, chaque année, les saisons cinématographique et littéraire se rejoignent à de multiples reprises : de nombreux films qui sortent sur les écrans ne sont pas basés sur un scénario original, mais proviennent de l'adaptation d'un livre, généralement d'un roman ou d'une nouvelle. Si on en croit une étude citée par Daniel Laroche[2] dans son analyse Du livre au film: « À lui seul, le site internet Babelio répertorie 3.205 films tirés d'un livre ! Dans une étude relative aux années 2005-2013, Nathalie Piakowski, directrice de la Société civile des Éditeurs de Langue française, recense 957 adaptations, ce qui permet au Figaro de conclure : « un film sur cinq est né d'un livre ».
Synopsis propose d'inviter les participants à découvrir, mais surtout à analyser et à critiquer de façon collective, une histoire traitée de deux façons différentes : à travers l'écriture d'un auteur et ensuite à travers la transposition qu'en fera un cinéaste sur le grand écran. Depuis la rentrée de septembre 2017, l'équipe animation du cinéma Caméo et celle de la librairie Papyrus sélectionnent une série de titres et proposent quatre rendez-vous.
Le but n'est pas initialement de comparer les deux récits mais de considérer le film et le livre comme deux objets culturels différents qui traitent d'une même histoire, chacun au travers d'un processus narratif qui lui est propre. On peut d'ailleurs même parfois émettre des doutes sur le terme adaptation. Ce dernier « est trompeur car un texte ne saurait, en toute rigueur, être "adapté" en film : ce dernier est forcément une œuvre sui generis où de nombreux éléments livresques ont forcément disparu, tandis que de nombreux éléments nouveaux sont apparus »[3].
Pour chaque duo livre/film, une rencontre est organisée entre les participants qui peuvent échanger et partager leurs réflexions. La discussion est animée par une journaliste, critique littéraire. Une animatrice du cinéma et une de la librairie sont aussi présentes.
Synopsis est une des nombreuses propositions pour répondre en partie aux problématiques soulevées plus haut. L'animation est ponctuelle et permet d'enrichir l'offre culturelle de la librairie et du cinéma avec un « plus » : à la lecture du livre et à la vision du film », vient s'ajouter un troisième épisode qui apporte une dimension sociale supplémentaire.
Par ailleurs, c'est aussi la possibilité d'élargir son public. Même s'il s'avère que nombre de cinéphiles apprécient aussi fortement la lecture, ce n'est pas forcément toujours le cas (voir plus bas).
Enfin, le statut d'opérateur culturel de confiance joue aussi beaucoup dans le succès de l'atelier (40 inscrits, en moyenne): cinéphiles et/ou lecteur·trices ou pas, il est certain que le fait d'avoir affaire à des professionnels reconnus dans leur secteur ajoute une dimension de sécurité à cette animation.
Cette confiance est importante car le procédé de programmation rencontre une certaine difficulté liée à l'agenda de sortie des films qui est par essence fluctuant et fixé à très court terme. Les participants s'inscrivent donc en début de saison pour les 4 découvertes/rencontres, sans connaitre le programme finalisé. Ils découvrent les titres au fur et à mesure de l'année. Une grosse majorité des participants explique avoir accepté de s'inscrire pour un projet « blanc » parce qu'ils font confiance aux choix de la librairie Papyrus et des Grignoux.
Le choix des titres se fait en concertation entre le cinéma et la librairie et tient compte de plusieurs critères :
Dès le départ , l'atelier a attiré un public très diversifié : adolescent, jeunes adultes, retraités, enseignants, etc. Un point commun celà dit : il s'agit de lecteur·trice·s convaincu·e·s, mais qui ne sont pas forcément des cinéphiles au départ. Cela s'explique sans doute parce que c'est la librairie Papyrus qui procède aux inscriptions : la porte d'entrée de cet atelier se fait donc au départ auprès d'un public de lecteurs. Si certain·e·s de ces lecteurs·trices apprécient aussi beaucoup le cinéma, d'autres avouent qu'ils·elles sont avant-tout intéressé·e·s par la découverte de nouvelles pistes de lecture, mais que le fait d'associer à leur lecture sa transposition à l'écran est une véritable découverte.
Par ailleurs, pour Les Grignoux, cette façon de procéder à réellement amené de nouveaux spectateurs qui découvraient les salles, ainsi que la ligne éditoriale de la programmation, pour la première fois.
Il est important aussi de souligner que cette animation oblige les spectateurs qui y participent à « sortir de leur zone de confort ». Nombreux sont ceux qui avouent que le choix des films/livres n'aurait certainement pas été le leur. C'est parfois une révélation (« Je me suis réellement intéressée à la filmographie de Joachim Lafosse après avoir vu « Continuer »), parfois une déception. Mais tous avouent qu'il s'agit réellement d'une découverte. Par ailleurs le fait ne pas avoir forcément apprécié le film et/ou le livre n'empêche pas — bien au contraire — de partager ses impressions et surtout d'entendre les arguments des autres. « L'intérêt du projet, c'est aussi la surprise : on ne sait pas ce qu'on va devoir lire et voir et même si on n'aime pas toujours le titre proposé, c'est intéressant d'entendre l'avis des autres participants : on comprend parfois un peu mieux certains détails, les raisons qui nous ont fait détester ou aimer le livre. »
Outre l'intérêt d'élargir de de mélanger le public, il y a donc une vraie dimension « sociale » qui n'est pas à négliger. On l'a dit, ce sont des gens qui ont déjà des prédispositions pour la lecture et le cinéma mais beaucoup avouent qu'ils se sont inscrits pour être amenés à découvrir des oeuvres qu'ils n'auraient sans doute pas lues ou visionnées sans cette opportunité. « C'est intéressant de sortir se sa zone de confort; je ne lis habituellement que des thrillers. Ici je découvre d'autres choses ». La plupart adhèrent au projet essentiellement à cause de la rencontre qui suit la lecture et la vision du film parce que celle-ci génère un véritable lien qui s'additionne parfois à un lien familial existant. Par exemple, deux participantes sont soeurs, deux autres sont mère et fille. Elles avouent trouver une véritable complicité dans ces rencontres : « Nous lisons régulièrement les mêmes livres, ma fille et moi. Mais nous avons finalement très rarement l'occasion de nous assoir ensemble autour d'une table pour en discuter. Ces débats nous donnent vraiment l'occasion de faire une sortie mère-fille. »
Les réactions des participants parlent d'elles-mêmes. Elles montrent le réel intérêt de cet espace de paroles, certes culturel mais aussi créateur de liens :
Le débat est construit autour d'une série de 4 ou 5 questions posées par l'animatrice qui aborde la structure du récit, l'auteur/le réalisateur, les personnages, etc. En fonction de la thématique de l'histoire, les discussions portent sur des sujets extrêmement différentes. Sur un récit comme Les frères Sisters (De Witt/Audiard), on part de l'analyse d'un récit de genre et de ses codes (ici le western) mais on soulève des questions qui vont des relations familiales, à l'études des mœurs d'une époque définie, en passant par la psychologie des personnages qui nous entraine sur des sujets aussi différents que la rédemption, l'apprentissage, la résilience.
La principale difficulté est de pouvoir trouver un programme riche et diversifié. Les adaptations de livres à l'écran ne manquent certes pas mais il est important de pouvoir proposer une offre qualitative et diversifiée. Cette attention à la qualité des titres proposés est primordiale. On peut proposer des genres différents (récits historiques, fantastiques, thrillers), des formats différents (nouvelles, documentaires, films d'animation), mais il est essentiel de s'assurer que le récit amènera des discussions nourries.
La mise sur pied d'un projet comme celui-là permet enfin de fidéliser un public autour de la programmation bien sûr mais certainement aussi à l'intérieur du groupe même. La brasserie du cinéma — où se déroulent les rencontres — devient un espace partagé, un lieu commun (au sens strict du terme) où ces spectateurs savent qu'ils peuvent se rencontrer très régulièrement, même en dehors des ateliers. Le fait d'avoir partagé une expérience commune permet ainsi de laisser une empreinte dans un lieu qu'on s'approprie comme étant rassembleur et accessible. En synthèse, au delà de la richesse de l'expérience, on peut citer, à l'attention des professionnels du secteur, une série de considérations, essentielles dans la mise en place de l'atelier Synopsis:
Ce genre d'animation fidélise les participants : on impose dès le départ un cycle de 4 rencontres et donc on crée une sorte d'obligation, un engagement. Et même si, en cours de route, une des rencontres leur a moins plu, ils vont jusqu'au bout du processus de découverte parce que le prochain rendez-vous leur apportera de nouvelles connaissances et donc de nouvelles réflexions à partager sur une nouvelle thématique.
Au fur et à mesure de l'expérience, on peut proposer des choses plus audacieuses, plus radicales; nous avons par exemple — faute d'adaptations intéressantes — proposé de confronter un film réalisé par un cinéaste palestinien Tel Aviv on fire de Sameh Zoabi et un recueil de nouvelles écrites par un auteur israélien (7 années de bonheur d'Etgat Keret). Les deux récits affichaient certaines similitudes dans leur forme, notamment par une auto-dérision et un humour parfois un peu désespéré. Ce qui a débouché sur un très long débat autour du conflit israélo-palestinien.
Une animation comme Synopsis permet au public de se réapproprier un espace au centre-ville, mais aussi un moment du quotidien (une soirée, en semaine).
Le côté découverte d'auteurs (de littérature, de films) procure un véritable plaisir aux participants. Si au début, on programme des « valeurs sûres », on se rend compte très vite que les participants aiment être un peu bousculés, découvrir de nouvelles choses. L'atelier est une porte d'entrée vers un élargissement de la culture générale, les discussions s'enrichissant de l'expérience de chaque participant.
Le cycle doit être consistant, sans être trop lourd à gérer. (4 rendez-vous par saison en tenant compte des périodes de vacances, de fêtes, etc.)
L'animation doit être préparée : si les participants s'emparent très vite du projet, ils aiment qu'on donne les premières pistes de réflexion en début de rencontre et qu'on balise le débat.
1. Nicolas Gary : « Temps forts de la vie des livres en librairie : comment vendre mieux », Interview mars 2017, www.actualitte.com
2. Daniel Laroche, Du livre au film (dossier Littérature & Cinéma), Les carnets et les instants 185, fév. mars 2015, Revues.be
3. Idem
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