Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au
Classiques des Grignoux
un programme conçu dans une perspective d'animation, de réflexion et d'éducation
L'analyse proposée ici s'attache à décrire la mise en œuvre d'un programme de films classiques dans le cadre de la programmation régulière des cinémas des Grignoux. On y décrit notamment les principes de cette programmation, les outils de promotion ainsi que les animations mises en œuvre dans cette perspective.
Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdf.
Depuis toujours, les classiques du cinéma se situent au cœur de la programmation des Grignoux, aux côtés des nouveautés, pas dans les marges : ainsi, dans le journal de nos cinémas, une page complète leur est consacrée à chaque numéro. Chez nous, un film de l'Histoire du cinéma fait autant l'événement que la dernière nouveauté de la semaine : un film est un film.
À nos yeux, les classiques sont toujours bien vivants, restent désirables, accessibles, ont des choses à nous dire par leur style et leur propos. En cela, il est important de les valoriser, en permanence, pour que rien ne s'oublie, pour que l'on continue à les découvrir, génération après génération
.Voyager dans le temps et l'Histoire du cinéma, pour y retrouver les prémices de son langage, faire connaissance avec un réalisateur et des comédiens d'hier, c'est vivre une expérience de spectateur singulière. C'est opérer une pause temporelle dans le mouvement des nouveautés hebdomadaires, pour mieux y replonger ensuite, notre sens critique et notre curiosité encore plus aiguisés. Il est donc essentiel de pérenniser cette expérience.
Dans l'éditorial du numéro de juin 2020 de la revue Positif, Michel Ciment écrit que « la fréquentation des classiques a, en effet, pour mérite de mettre en perspective la modernité qui doit être, bien sûr, un des soucis majeurs d'une revue ». Nous avons envie d'ajouter : « Et des salles de cinéma ! ».
En septembre 2019, nous avons décidé de redynamiser notre offre de films classiques:
Le cycle se construit maintenant sur la base d'une programmation fixe, élaborée plusieurs mois en amont. Cela permet de réfléchir à la sélection de titres en prenant le temps et le recul nécessaires. Au final, nous élaborons une sélection plus structurée et cohérente qui cherche, dans la mesure du possible, à faire régulièrement écho à l'actualité cinématographique.
La programmation est composée d'une vingtaine de titres, issus de la période muette jusqu'aux années nonante. Elle est répartie en deux blocs temporels (septembre-décembre et janvier-juin), propose deux titres par mois en moyenne et est divisée en trois segments :
Pour cette nouvelle saison (2019-2020), nous avons renforcé la promotion à plusieurs niveaux, afin de donner aux classiques une plus grande visibilité.
Elle est essentielle pour préserver le lien avec le public, dans l'esprit qui nous anime tout au long de l'année à travers nos autres événements.
À Namur, la première séance de chaque film du cycle fait l'objet d'une introduction par un-e animateur-trice du Caméo. Durant une quinzaine de minutes, il-elle resitue le film dans l'Histoire du cinéma et dans son contexte de production, puis présente le réalisateur et les comédiens en détaillant leur parcours et leur style. Il-Elle donne ensuite des clés de lecture du film aux spectateurs, afin d'aiguiser leur curiosité et leur sens critique, en mettant l'accent sur des éléments de la mise en scène et sur les thèmes abordés dans le scénario, sur tout ce qui fait l'originalité et la richesse du film, en le replaçant dans son contexte de production mais aussi, et c'est important, en montrant l'héritage laissé par le film, l'auteur, le comédien dans le cinéma contemporain.
À Liège, de nombreuses séances font l'objet d'une présentation détaillée par des collaborateurs extérieurs qui apportent et partagent avec le public toute leur expertise et leur connaissance de l'Histoire du Cinéma : pour l'essentiel, Dick Tomasovic du service Arts du spectacle de l'Uliège avec qui nous collaborons étroitement et très régulièrement, depuis près de vingt ans, dans le cadre des classiques. De façon plus ponctuelle, avec Christophe Mavroudis, spécialiste du cinéma de genre. Durant une quinzaine de minutes, en dialogue avec un animateur des Grignoux, ces collaborateurs reviennent également sur le style et le contenu des films, sur les liens entre les films et le cinéma d'aujourd'hui, comme nous le faisons à Namur.
En plus des présentations, nous envisageons l'animation à travers des séances de dédicaces (Véronique Bergen, auteure d'un livre sur Barbarella) et des accompagnements musicaux de films muets (le pianiste Philippe Marion pour un ciné-concert Charlie Chaplin en septembre 2020, pour l'ouverture de la nouvelle saison).
Les chiffres le prouvent (plus de 100 spectateurs en moyenne, par film, avec des pics à plus de 200) : il est encourageant de voir que le public désire (re)voir les classiques sur un grand écran de cinéma, que la salle de cinéma demeure le lieu clé pour prendre littéralement rendez-vous avec l'Histoire du cinéma. Les séances avec présentation étant celles qui connaissent la plus grande affluence, cela prouve que la formule plaît et attire un public conquis, désireux d'apprendre, de venir écouter, de prendre en compte ce type de bonus comme une spécificité propre à nos salles. Défendre les classiques, leur accorder tant d'attention passe par la nécessité d'en parler, de transmettre moins un savoir qu'une passion, un amour du cinéma et de son Histoire qui, tous à notre façon, nous constitue, nous forme, nous donne envie d'aimer plus encore le cinéma. Cela, nous en sommes persuadés.
À l'heure où les plateformes se développent grandement, au point de rendre l'offre de films et d'images exagérément importante, à l'heure où l'image est au cœur de notre existence au-delà même des réseaux sociaux, ce cycle de films classiques est essentiel à nos yeux. On y prend le temps, avec pédagogie et un souci profond d'accessibilité, d'expliquer la démarche d'un auteur, de parler des mécanismes de mise en scène, de rappeler qu'un film est le produit de son époque, qu'il peut déceler plusieurs niveaux de lecture et qu'il est politique par le simple fait que son auteur a un point de vue sur ce qu'il montre (ou pas). Modestement, ce cycle permet au public de décoder les images, de recevoir des clés de lecture qui peuvent être applicables à d'autres types de contenus audiovisuels.
Un film classique permet un aller-retour entre le passé et le présent, car les liens sont inévitables entre le cinéma d'hier et d'aujourd'hui. Il invite au débat et à l'analyse comparative, montre à quel point sa modernité peut influencer les productions contemporaines. Il demeure aussi un objet intéressant pour comprendre notre histoire, au sens général. Cela veut dire pour nous que ce cycle ne relève pas seulement de la défense du patrimoine cinématographique, mais qu'il s'agit de la base à partir de laquelle émergent d'autres objectifs.
À travers ce cycle, nous cherchons à faire émerger les liaisons possibles entre les films classiques et les questionnements tant politiques que culturels et médiatiques d'aujourd'hui, qui sont essentiels à notre épanouissement personnel et à notre indépendance d'esprit. Car ce qu'un film classique dit de son temps peut aider à comprendre la société contemporaine et, par conséquent, à développer notre esprit critique.
Nous en sommes persuadés : regarder et comprendre un film classique (en priorité sur un grand écran !) construit notre regard, nous rend plus sensibles à la découverte et à l'audace, à d'autres formes de propositions de cinéma, notamment en matière de tonalité et de rythme. Cela renforce notre capacité à questionner les images et les discours au sens général, à décoder les messages, à dépasser tout premier niveau de lecture.
3 exemples d'animationsÀ titre informatif, voici la synthèse du contenu de trois présentations illustrant notre démarche. LE VISAGE, Ingmar Bergman : lundi 4 novembre 2019, cinéma Churchill, LiègeLa réflexion s'est concentrée sur les origines de la réalisation d'un film qui contourne les pièges du «théâtre filmé», malgré l'espace-temps réduit dans lequel se déroule l'intrigue. Bergman gère un nombre important de personnages, en leur donnant à tous une réelle épaisseur. Des personnages qui symbolisent différentes couches de la société (bourgeois, saltimbanques et domestiques), au centre desquels émergent deux figures symboliques que tout oppose : Vögler, le créateur, le leader de la troupe de bateleurs, l'artiste qui ne croit plus en son métier. Le docteur Vergérus, le cartésien par excellence, qui veut révéler la supercherie de Vögler, veut démonter les trucages. Comme une opposition entre un réalisateur (Bergman lui-même ?) et un critique de cinéma... Le film traite de la puissance de l'art (ici, c'est grâce au faux que l'on démasque les représentations sociales), et est, peut-être, aussi une façon pour Bergman d'exprimer sa lassitude à l'égard de l'artifice, ce que la seconde partie de sa carrière, encore plus épurée, peut laisser sous-entendre. REGLEMENT DE COMPTES, Fritz Lang : lundi 2 décembre, cinéma Churchill, LiègeL'animation a commencé par un retour sur les débuts de la carrière du cinéaste allemand à Hollywood, après son passage par la France. Ont été ensuite abordées les questions éthiques que pose ce film où l'individu est poussé dans ses derniers retranchements, basculant du côté du mal alors qu'il le condamne à la base. Une réflexion s'ensuivra sur la mise en scène de la violence dans Règlements de compte qui joue notamment sur le hors-champ. L'on discutera des caractéristiques du film noir, genre hollywoodien de l'époque dans lequel le film s'inscrit, et l'on mentionnera sa dimension sociale, inhérente au genre. Enfin, on rappelera l'influence de ce film sur le cinéma contemporain et, en quoi, il reste dès lors très moderne. JEANNE DIELMAN, 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES, Chantal Akerman : lundi 14 janvier cinéma Caméo, NamurL'animation propose un résumé du parcours de la cinéaste, un rappel de sa découverte du cinéma underground et expérimental new-yorkais et de son apprentissage en autodidacte du cinéma. Chantal Akerman est pour un cinéma-direct, un cinéma-vérité qui dépasse la réalité et recrée le romanesque. Le film révolutionne la manière de raconter une histoire au cinéma, en repensant les notions de temps (étiré à l'extrême) et d'espace. Akerman se place dans les intervalles des récits classiques, filme ce que l'on n'a pas l'habitude de voir aussi longuement au cinéma, la banalité du quotidien, réalise un film politique et féministe, un récit très précis de l'aliénation emblématique de la cause féministe de l'époque. S'en suivront la mise en exergue d'éléments de mise en scène (le son, le cadrage,..) et l'évocation de la narration (la structure en boucles répétitives) pour terminer sur l'héritage que laisse Akerman dans le cinéma contemporain (chez Todd Philipps, par exemple, qui fut influencé par News from home lorsqu'il réalisa Joker). |
À travers ce cycle, nous voulons démontrer que les films classiques sont accessibles au plus grand nombre, pas seulement réservés aux cinéphiles purs et durs, comme le cliché le laisse encore entendre trop souvent. Pour nous, les classiques sont transgénérationnels et englobent autant les films populaires que les films plus exigeants, tant qu'il y a de la personnalité dans le geste. Ce challenge est passionnant et nous prenons plaisir à nous en emparer. Et rassembler différentes générations de spectateurs au cinéma autour d'un classique représente, finalement, le plus beau des objectifs et la preuve indéniable que l'Histoire du cinéma parle à tout le monde.
Nous aimons — plus que jamais — les grands écarts et défendons une vision décomplexée de l'Histoire du cinéma, en décloisonnant les genres sans avoir peur de remettre en question des idées arrêtées et de redéfinir la notion de film classique (cf. Les Plaisirs coupables). Nous insistons sur le fait que l'Histoire du cinéma ne peut rester figée sur ses acquis : le cinéma est un art en mouvement, à tous les niveaux.
Lors de cette saison, nous avons pu ainsi nous rendre compte de l'impact qu'un film pouvait avoir sur plusieurs générations de spectateurs : nous repensons spécifiquement aux séances du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone et de Ghostbusters où de nombreuses familles étaient présentes dans la salle. Voilà deux films qui traversent le temps et les générations sans perdre de leur pouvoir d'attraction auprès des spectateurs et donnent l'occasion, pour les nouvelles générations, d'ouvrir les portes de l'Histoire du cinéma sans avoir le sentiment qu'il faille au préalable en posséder quelconque code mystérieux, réservé à une élite, aux fins connaisseurs. Plus que jamais, considérer le cinéma populaire de qualité dans la programmation est une évidence si on veut attirer un plus large public, notamment les jeunes. Nous avons pu aussi noter la fidélité d'une partie (petite, certes) du public présent à chaque séance, avec qui nous avons tissé des liens. Nous pensons notamment à ce spectateur qui évoque les livres de cinéma qu'il a lu ou qu'il s'est procuré, en liaison avec le cycle et nos recommandations lors des présentations. En outre, nos collaborations avec les Universités amènent un public d'étudiants aux séances.
Nous constatons que ce sont les films les plus connus qui ont remporté le plus grand succès (Le Bon, la Brute et le Truand et Taxi driver). Cela peut paraître surprenant de prime abord, car il s'agit de titres disponibles pour certains sur les plateformes ou facilement trouvables en DVD et à bas prix multidiffusés, disponibles pour certains sur les plateformes ou facilement trouvables en DVD et à bas prix (Taxi Driver fut encore montré à la télévision quelques jours auparavant à la télévision, ce qui n'a pas empêché 203 spectateurs de nous rejoindre lors de sa première séance !). En somme, il s'agit du même constat établi pour les films contemporains. Il y a les films porteurs, ayant acquis une grande renommée, et puis les autres, moins connus mais pourtant pas nécessairement plus difficiles d'accès.
Pour l'avenir, nous souhaitons renforcer les liens entre l'Histoire du cinéma et les films contemporains. Afin de rendre notre cycle encore plus ludique et essentiel, tourné vers le temps présent, pas refermé sur lui-même et ses certitudes, nous avons envie de créer plus de passerelles entre les époques et montrer en quoi elles se répondent, en quoi le présent se nourrit des films du passé. C'est ce que nous avons réalisé cette saison, par exemple, en programmant Taxi Driver après le succès phénoménal de Joker, alors que Todd Philipps assumait clairement l'influence du film de Martin Scorsese sur le sien. Nous le ferons plus souvent, ce qui donnera encore plus de relief et d'intérêt au cycle qui deviendrait de plus en plus complémentaire à l'actualité du cinéma.
Découvrir un film classique, c'est opérer une pause temporelle dans le flux constant des sorties hebdomadaires, pour mieux y replonger, notre sens critique et notre curiosité encore plus aiguisés.
En termes d'animation, nous réfléchissons à ne pas nous contenter des présentations, afin de relever de nouveaux défis pour éviter toute forme de systématisme. Certes, les présentations apportent une plus-value évidente et ne seront pas remplacées, mais pourquoi ne pourraient-elles pas, parfois, être adaptées en fonction de l'actualité ? Par exemple, nous pourrions inviter un réalisateur à venir parler d'un film classique qui lui tient à cœur et qui entre en résonance avec sa propre démarche artistique (« Un classique vu par »). Nous pourrions étendre la démarche à des écrivains, des théoriciens, des philosophes, des peintres, à tout artiste ayant envie de transmettre son amour du cinéma, en ayant un point de vue aussi sensible que profond sur une œuvre.
Renforcer la présence du cinéma muet est également une priorité, d'autant que, par son genre burlesque, il plaît aux plus jeunes. Nous prévoyons d'inclure un ciné-concert par cycle, ce qui mettra en évidence les premiers temps du cinéma de manière festive et légère. Nous ouvrirons d'ailleurs la prochaine saison par un ciné-concert autour de courts métrages de Charlie Chaplin, avec un accompagnement au piano réalisé par Philippe Marion.
De manière générale, nous croyons beaucoup à une approche conviviale des choses quand nous travaillons nos animations autour de l'actualité, une approche ouverte et accessible à tous, ancrée dans le réel et qui questionne notre société. Il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour le cinéma classique, là par où tout a commencé.
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