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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
La Vie des autres — Das Leben der Anderen
de Florian Henckel von Donnersmarck
Allemagne, 2006, 2 h 17



L'analyse proposée ici s'adresse à des animateurs qui verront le film La Vie des autres — Das Leben der Anderen avec un large public et qui souhaitent approfondir avec les spectateurs le travail de mise en scène dans ce film.

Le film

Le film La Vie des autres évoque une page sombre de l'histoire allemande, celle du contrôle politique et idéologique exercé par les autorités de l'ancienne RDA sur sa propre population sans aucun respect des droits humains pendant pratiquement toute la durée du régime de 1949 à 1989, moment de la chute du Mur de Berlin, puis du régime lui-même. C'est en suivant les faits et gestes d'un agent de la STASI, la police politique, que le spectateur découvrira de l'intérieur le fonctionnement dictatorial du régime qui faisait peser une chape de plomb sur l'ensemble de la société. Mais ce contrôle extrême, qui semble interdire tout changement et toute liberté, n'empêchera pas l'histoire, grande ou petite, de se remettre en marche...

Destination

Le film s'adresse à un large public d'adultes et d'adolescents à partir de seize ans environ. Il permet d'aborder de façon plus précise une période importante de l'histoire, mais souvent mal connue. Le film comporte également une leçon civique qui mérite d'être réfléchie et débattue.

Analyse

Scénariste de son propre film, Florian Henckel von Donnersmarck est également metteur en scène. Le travail de mise scène est multiple et implique des choix extrêmement diversifiés comme ceux du cadrage et de la position de la caméra, la direction des acteurs, des indications concernant l’habillement des personnages et leur apparence générale, la détermination des décors (qu’ils soient «naturels» ou au contraire recréés en studio) et des éclairages, l’utilisation de la musique, la décision de retenir la meilleure prise et la manière de monter les différentes prises, etc. L’on propose donc à présent de mener avec les spectateurs une première réflexion sur ce travail multiforme et complexe.

Il ne s’agira cependant pas ici d’analyser de façon complète toutes les dimensions de la mise en scène cinématographique dans la mesure où l’on s’adresse à des spectateurs qui, dans leur majorité, ne se destinent pas ou n'appartiennent aux métiers du cinéma. On se basera sur leurs impressions spontanées et leurs souvenirs immédiats pour essayer de relever quelques éléments remarquables de mise en scène, de détails suffisamment «saillants» pour qu’ils restent en mémoire de façon relativement précise: la réflexion restera donc au niveau le plus «concret» et s’attachera à la forme particulière, visuelle et sonore, de la représentation cinématographique.

Concrètement

Pour stimuler ce travail de remémoration, l’on trouvera, dans l’encadré ci-dessous, une série d’éléments de la Vie des autres, qui sont susceptibles d’avoir marqué l’esprit des spectateurs.

L’on pourra ensuite demander aux différents participants de s’attacher plus particulièrement à un ou l’autre de ces éléments qui les a marqués, et de le décrire de façon aussi concrète que possible: il peut s’agir d’un geste, d’une attitude, d’une position d’acteurs, d’une musique, d’un bruit, d’un cadrage, d’un angle de vue… Ce qui importe, c’est que cet élément concret distingue définitivement la scène filmée de son résumé écrit ou de son scénario dialogué: quelqu’un qui n’aurait pas vu le film ne pourrait évidemment pas apprécier un cet élément en tant que tel.

On trouvera dans les paragraphes qui suivent quelques exemples de ce genre de détails qui font que le film nous reste, pour une part, en mémoire sous forme d’images et de sons très concrets. L’animateur pourra en donner un exemple aux jeunes participants comme «modèle» pour leur propre réflexion (à mener individuellement ou en petits groupes d’affinités) ou bien les leur remettre tout en leur demandant d’y réagir.

L’objectif de l’animation est évidemment de faire prendre conscience aux spectateurs que le travail de création du cinéaste ne consiste pas seulement à raconter des histoires mais également à inventer mille détails concrets qui feront la singularité irréductible de son film. Bien entendu, les participants se souviendront sans doute d’autres éléments dont ils pourront faire un petit commentaire sur le modèle de ceux proposés ici.

Quelques éléments de la Vie des autres à commenter

  • Les vêtements du capitaine Wiesler
  • L’apparence physique du ministre Hempf, ainsi que son intervention à la réception
  • Le visage et la gestuelle du capitaine Wiesler (à comparer notamment à l’attitude de son supérieur Grubitz)
  • L’appartement du capitaine mais également le choix des autres décors
  • La lumière et la couleur générale du film
  • Le capitaine Wiesler trace sur le sol un plan de l’appartement des Dreyman
  • Alerté par la sonnette, Georg découvre l’infidélité de sa femme Christa
  • Après la découverte de l’infidélité de Christa, le capitaine Wiesler écoute la réconciliation silencieuse entre les époux
  • Le capitaine Wiesler rencontre Christa dans un café
  • Le capitaine Wiesler vient faire rapport au colonel Grubitz qui lui parle d’abord d’une nouvelle méthode de «profilage» des artistes
  • Le colonel Grubitz interroge Christa (arrêtée pour consommation de drogues) sur le rédacteur inconnu de l’article du Spiegel
  • Wiesler est chargé par son supérieur le colonel Grubitz d’interroger Christa

Quelques exemples d'analyses possibles

Interrogatoire [1]

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Le film s'ouvre par un interrogatoire qui sert de "modèle" pour le spectateur : cette scène nous montre comment le capitaine Wiesler mène un tel interrogatoire. Si on compare sa manière de faire avec celle qu'il adoptera face à Christa, on peut remarquer (a posteriori) comment il maintient le face-à-face avec le "suspect" qu'il interroge : il le regarde droit dans les yeux, soutient son regard et ne change pratiquement pas de position.

Par ailleurs, on remarque au mur le portrait d'Erich Honecker, chef de l'État en RDA (de 1978 à 1989), ainsi que l'uniforme que porte le capitaine Wiesler : au début du film, cet uniforme paraît normal au spectateur, mais il contrastera a posteriori avec le costume civil qu'il portera face à Christa.


Jumelles

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Le capitaine Wiesler va au théâtre avec ses jumelles. Cet accessoire semble tout à fait naturel (bien que ce ne soit sans doute pas si fréquent que cela au théâtre), mais l'objet est évidemment ambigu dans les mains d'un agent des services secrets. C'est d'ailleurs une impression d'espionnage que ressentiront la plupart des spectateurs à la première vision de cette scène. Wiesler qu'on a vu à l'œuvre lors d'un interrogatoire semble chercher une nouvelle victime...

A posteriori cependant, on peut remarquer que seul Wiesler utilise des jumelles : le colonel Grubitz qui l'accompagne se comporte comme un spectateur ordinaire, même s'il va chercher ses ordres auprès du ministre Hempf, et il ne juge pas nécessaire d'observer de près les personnes à surveiller, à savoir Georg Dreyman. Wiesler, quant à lui, ne se contente pas d'observer le dramaturge, et il jette aussi son regard sur Christa, l'actrice sur scène mais aussi en coulisses. Les jumelles, instrument d'espionnage, retrouvent ainsi "naturellement" leur fonction première : permettre le "voyeurisme" du spectateur...

Sur cette image, on voit bien que Wiesler observe Christa sur scène (Georg est en contre-bas), et a posteriori, l'on devine que son regard n'est pas seulement celui d'un espion.



Ministre

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Le ministre Hempf s'étale...

Son attitude contraste visiblement avec celle de son subordonné, le dos raide, les bras croisés, le regard parallèle à celui de son chef. Le ministre a quant à lui un regard "par en-dessous", son visage légèrement baissé alors qu'il lève les yeux vers Georg et Christa. On devine la bête à l'affût.

L'attitude du personnage révèle ainsi visiblement les rapports de pouvoir (entre lui et son subordonné, mais également entre lui et les autres personnes dans la pièce qui se tiennent dans une position beaucoup plus "réservée") mais également de désir qui se jouent à ce moment, même si ce désir est encore ambigu pour le spectateur (désir de domination, jalousie, haine, mépris, concuspiscence...).

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Dreyman plaide pour son ami Jerska. Mais le ministre Hempf se met à manger un biscuit sous ses yeux...

Encore une fois, le geste paraît tout à fait naturel, mais il s'agit d'une idée de mise en scène (qui relève de la direction d'acteurs) originale et fort bien venue. Sans ce geste, la conversation paraîtrait beaucoup plus statique mais également beaucoup moins "expressive" : le geste du ministre est humiliant pour Georg qui lui fait à ce moment une demande délicate. Ce biscuit paraît à Hempf plus important que les propos (relativement) obséquieux du dramaturge à qui toute son attitude signifie déjà le refus...

On remarquera également la présence du subordonné du ministre, un jeune homme qui se pose en tiers dans une conversation privée, et dont le visage fermé (il ne dira rien) semble répéter sur un autre mode (celui d'un jeune fonctionnaire à la fois arrogant et servile) le refus que le ministre oppose à la demande de Dreyman. Ici aussi, il s'agit d'une idée de mise en scène qui permet de visualiser le déséquilibre de cet échange verbal où Dreyman doit faire face à deux "adversaires".


Appartement

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L'appartement du capitiane Wiesler est visiblement désert. Pas de désordre, pas d'objet personnel, pas de trace d'activité humaine récente... Le décor contraste notamment avec le bureau de Georg encombré d'objets divers, récemment utilisés (mégots, feuilles dactylographiées, livres...).

On remarquera également les deux tableaux au mur, trop petits pour le grand espace qu'ils sont censés décorer. Plutôt que d'occuper l'espace, ils en révèlent le vide.



Vêtements

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Veste serrée, épaules renforcées, tissu vert-de-gris, col montant, gants en skaï (un simili cuir)... Les habits civils du capitaine ont quelque chose de militaire : on pourrait parler d'armure, et certains pourront même penser à Robocop, ce policier hollywoodien, mi-homme mi-machine, porteur d'une carapace d'acier presque indestructible (le film original de Paul Verhoeven, Robocop, date de 1987).

Enfin, les cheveux presque ras contribuent à l'austérité générale du personnage.


Gestes

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Toute la séquence est essentiellement informative : elle vise à montrer le travail de la police secrète qui espionne ses victimes évidemment à leur insu. Ici, la précision et la rapidité des gestes sont essentielles puisque le capitaine Wiesler a vraisemblablement calculé le délai dont ses agents disposaient pour placer les micros.

Si le capitaine dirige la "manœuvre", il met néanmoins "la main à la pâte" comme on le voit ici. Son caractère précis et méticuleux se révèle extrêmement efficace.



Photo

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Le désordre sur le bureau de Georg Dreyman contraste avec l'austérité et la froideur de l'appartement du capitaine Wiesler. Mais le détail le plus frappant est sans aucun doute la photo de Christa, une photo en noir et blanc, romantique, sentimentale, mélancolique, qui traduit bien l'amour que Georg porte à sa compagne. Par son orientation, la photo semble pourtant ici s'adresser au capitaine Wiesler (qui occupe la position de Georg), bien que le regard de Christa soit orienté dans une tout autre direction.

Cette image du film symbolise ainsi assez bien l'ambiguïté de la relation entre la jeune femme et le capitaine : d'un côté, elle semble presque offerte à lui, mais de l'autre, elle paraît se détourner et vouloir s'échapper.

Même si la plupart des spectateurs n'ont pas le temps au cours de la projection de faire une interprétation aussi complète, ils perçoivent certainement l'importance de cette photo, placée comme un indice du role essentiel de ce personnage, en particulier pour le capitaine qui la regarde à ce moment.


Cravate

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Dreyman essaie de nouer une cravate que lui a offerte Christa. Il devra faire appel à la voisine à qui il commencera par demander si elle sait garder un secret (elle répondra de manière ambiguë en se souvenant évidemment qu'elle a dû promettre au capitaine Wiesler de ne rien dire à Georg de la visite de la Stasi à son domicile).

La maladresse de Georg contraste ici avec la précision des gestes du capitaine Wiesler plaçant par exemple des micros et qui lui porte toujours une cravate parfaitement nouée. Elle correspond en outre à sa manière d'être générale, "relax" ou négligée selon l'appréciation de chacun.

Un peu auparavant, le dramaturge avait cependant relevé l'ambiguïté de ces accessoire vestimentaire, qu'il jugeait "bourgeois". Ainsi, l'écrivain qui a voulu rompre avec sa classe sociale d'origine (la bourgeoisie) n'en conserve qu'un accessoire qu'il ne parvient même plus à nouer correctement, alors que l'espion au service théoriquement du "Peuple" (hostile logiquement aux cravates ?), quant à lui, en porte une parfaitement nouée autour du cou.



L'aisance du chef...

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Le colonel Grubitz très à l'aise invite avec de grands gestes un subordonné à continuer à raconter la blague qu'il a commencée. On a pourtant vu le colonel beaucoup moins démonstratif face au ministre Hempf (au théâtre). Ainsi, comme la plupart d'entre nous, Grubitz adapte son comportement à la situation et à l'interlocuteur à qui il s'adresse.

Ici, il est très à l'aise parce qu'il n'a en face de lui que des subordonnés qui le craignent. Il en rajoute même dans la jovialité pour mettre à l'aise son jeune interlocuteur et le prendre finalement au piège.

Même si l'on peut juger son procédé très malsain, sa manière d'être, fortement expressive parfois jusqu'à la caricature, est finalement très lisible, même si nous aussi, comme spectateurs, nous sommes pris à son piège. En revanche, l'attitude de Wiesler est en fait peu naturelle : en aucune circonstance, il ne laisse en effet transparaître la moindre émotion. À ce moment par exemple, il regarde le jeune agent, mais il ne semble absolument pas partager la bonne humeur de Grubitz. Son sérieux peut même paraître inquiétant.

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Grubitz continue très à l'aise, la main levée, le dos appuyé sur le dossier de sa chaise, le sourire aux lèvres. Son piège a fonctionné, il s'est soudain mis à rire après avoir demandé très sérieusement le nom du jeune agent, et les autres agents à l'arrière-plan partagent à présent son hilarité. Seul le jeune agent sidéré ne parvient pas à sourire. Mais Wiesler est toujours aussi impénétrable : il regarde Grubitz sans vouloir rire de sa mauvaise blague ni se moquer du jeune agent.

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À présent, Grubitz se lache complètement et il raconte sa propre blague sur Honecker. Ses deux mains sont levées, il est hilare, saisi en gros plan par la caméra.

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Mais le capitaine Wiesler est toujours aussi sérieux et imperturbable. L'acteur, Ulrich Mühe, obéit très certainement dans cette séquence à des consignes du metteur en scène qui souligne ainsi la différence d'attitudes entre Grubitz et Wiesler.

Le jeu aussi intense qu'intériorisé d'Ulrich Mühe, se traduit à cet instant précis par ce regard fixe, froid, adressé à Grubitz, avec ses deux yeux bien ouverts... Ce gros plan s'adresse ainsi au spectateur qui ne peut pas s'empêcher de se demander ce que pense vraiment Wiesler. S'il ne partage visiblement pas l'hilarité du colonel, nous ne savons pas ce qu'il ressent réellement : a-t-il peur du colonel ? le méprise-t-il ? a-t-il été surpris par sa mauvaise blague ? se demande-t-il s'il est devenu fou ou est-il choqué par la blague que Grubitz vient de raconter à son tour sur Honecker ? Seule la suite du film nous permettra a posteriori d'interpréter de façon plus précise les silences du capitaine Wiesler...


Plan

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L'espion trace sur le sol du grenier un plan démesurément agrandi de l'appartement du couple Dreyman. Une espèce de folie guette le personnage qui s'identifie de plus en plus aux individus qu'il espionne et dont il partage — imaginairement — l'espace. Cette image symbolise ainsi toute l'évolution de Wiesler qui va franchir la "barrière" (physique et mentale) qui séparait l'espion de l'espionné.

Ce plan rappellera à certains spectateurs cinéphiles la séquence finale d'un film célèbre de Francis Ford Coppola, Conversation secrète (The Conversation, Palme d'or au Festival de Cannes en 1974), qui évoque également la vie d'un agent secret spécialiste des écoutes à distance. À la fin de ce film, le personnage principal, interprété par Gene Hackman, en vient à dévaster l'appartement qu'il occupe (notamment le plancher), persuadé d'être à son tour sur écoutes. Comme la Vie des autres, ce film de Copppola montre ainsi le vacillement d'identité d'un agent secret, même si la tonalité générale des deux films est certainement très différente.



Présence cachée [1]

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Christa, dont l'infidélité vient d'être surprise par Georg (à l'instigation du capitaine Wiesler), rentre chez elle sans apercevoir son compagnon debout dans le noir. La mise en scène remplace ici des dialogues qui pourraient être lourds ou maladroits. Elle permet notamment de traduire visuellement l'état d'âme de Georg, littéralement pétrifié par ce qu'il vient de voir.

La position des personnages et la composition du plan se répéteront plus tard à la fin du film quand Georg rentrera chez lui sans apercevoir debout à côté de la porte le capitaine Wiesler qui emporte la machine à écrire compromettante. D'une séquence à l'autre, le capitaine se sera transformé de "mauvais ange" en "ange gardien".


Gestes similaires

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Georg rejoint Christa sur le lit où elle vient de se coucher après avoir pris sa douche. Le geste n'a rien de très original et traduit simplement l'attitude protectrice du dramaturge malgré la trahison de sa compagne. Mais cette image ne "fonctionne" en fait qu'avec le plan immédiatement suivant...

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L'attitude étonnante du capitaine Wiesler rappelle celle de Georg Dreyman au plan immédiatement précédent. Nous comprenons facilement qu'il s'identifie au dramaturge dans une attitude protectrice à l'égard de Christa.

Il s'agit bien sûr d'une idée originale de mise en scène qui rend visuellement perceptible l'analogie entre les deux situations (grâce notamment au même cadrage qui place les deux hommes sur une même oblique de gauche à droite et de bas en haut, tout en accentuant le vide à côté de Wiesler, sur la droite de l'image, comme pour mieux signifier l'absence de Christa). Le personnage du capitaine à l'écoute ne peut évidemment pas connaître la position exacte du couple qu'il espionne à ce moment, et cette analogie visuelle est bien sûr construite par le cinéaste à l'intention des spectateurs.

C'est un des rares moments de trouble visible de Wiesler, et il se redressera soudainement l'instant d'après quand apparaîtra son subordonné (à qui il reprochera d'ailleurs d'être en retard de quelques minutes).



Musique

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L'espion pleure doucement en entendant Georg Dreyman interpréter la "Sonate pour un homme de bien". Ces larmes sont à peine visibles, et la caméra tourne en fait autour du personnage pour saisir la lumière qui fait briller brièvement sa joue mouillée (on remarquera, dans l'extrait ci-dessous, que la caméra commence par saisir le dos du capitaine — ce qui accentue son caractère énigmatique — avant de nous montrer, par ce mouvement tournant, son visage et de nous révéler ses larmes).

Les sentiments de ce personnage pratiquement muet ne nous seront donc révélés que par son comportement et par quelques gestes ou attitudes qui trahissent brièvement son émotion. Bien entendu, dans cet extrait (on se reportera directement à cet extrait du film qui ne peut pas être reproduit sur cette page web), la musique — fortement mélancolique — joue un rôle essentiel, et c'est elle qui nous fait d'abord comprendre ce que ressent le personnage, avant qu'un indice visuel — les larmes à peine visibles notamment sur un écran de télévision — ne confirme notre interprétation. Au cinéma (mais aussi sans doute en littérature), il est rare que l'impression ressentie par le spectateur résulte d'un seul élément, aussi important soit-il : plusieurs détails visuels et sonores contribuent de façon complexe à susciter une telle impression.


Les lunettes de Christa

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Christa se lève et veut s'en aller. Même si elle ne veut pas paraître grossière, elle ne souhaite manifestement pas prolonger la conversation avec cet inconnu, le capitaine Wiesler. Le capitaine va alors parvenir à la retenir en reprenant de manière ambiguë certains propos de Georg. Il va notamment lui dire qu'elle est une grande artiste et que le public l'admire. Il ajoutera qu'il connaît la véritable Christa, et lui répondra au moment même où elle se lève pour aller voir "une ancienne camarade de classe" (en fait le ministre Hempf) qu'à ce moment elle n'est pas elle-même. Le mensonge de Christa semble découvert (ce qui n'est évidemment pas difficile pour Wiesler), et, surprise, elle se rassied.

Sur cette image cependant (où elle est debout), elle porte encore ses lunettes fumées qui semblent démesurées même si elles étaient sans doute à la mode à cette époque. L'objet semble la protéger, mais est également un peu incongru, révélant qu'elle cache son visage défait sinon en larmes. L'instant d'après, elle va d'ailleurs les retirer...

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Christa interpellée par les propos du capitaine Wiesler vient de se rasseoir. Le geste passe pratiquement inaperçu, mais elle a retiré ses lunettes et regarde le capitaine droit dans les yeux sans la protection de ses verres fumés.

Pour la première fois, elle semble vraiment regarder son interlocuteur et paraît même s'interroger à son propos : qui est-il ? que sait-il sur elle ? que peut-il lui apprendre sur elle-même ?



Contraste d'attitudes

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Le travail de mise en scène cinématographique consiste à exploiter au mieux des détails visuels et sonores (en dehors des dialogues eux-mêmes) pour susciter chez le spectateur des impressions plus ou moins significatives. Ici, il s'agit notamment pour le cinéaste Florian Henckel von Donnersmarck de traduire l'opposition entre les deux personnages à travers en particulier leurs attitudes et leurs habillements respectifs.

À côté du capitaine dans sa veste serrée (déjà vue précédemment), le sergent (Feldwebel) porte un pull confortable avec une chemise au col ouvert : ce subordonné un peu naïf se met, comme on dit, "à l'aise" et n'a rien de l'austérité toujours affichée du capitaine.

Son attitude est également relâchée : il a une main dans la poche et l'autre posée négligemment sur un caisson. L'attitude de Wiesler est en revanche beaucoup plus raide : il a les deux mains dans les poches, mais on a moins l'effet d'un relâchement que d'une volonté de se protéger, de ne rien laisser "échapper" (comme si le moindre geste pouvait le trahir).

Enfin, la position des personnages l'un par rapport à l'autre est également significative : le subordonné lance, semble-t-il, un regard interrogatif vers son supérieur, mais comme celui-ci lui tourne le dos, il est est bien incapable de deviner ce que pense vraiment le capitaine dont le visage n'est vu en fait que par... le spectateur de cinéma. Et nous pouvons alors comprendre le trouble de Wiesler (il entend à ce moment Georg discuter avec le journaliste du Spiegel et Hauser qu'il croyait passé à l'Ouest) : l'instant d'après, le capitaine va d'ailleurs mentir à son subordonné et prétendre que l'écrivain et ses acolytes écrivent une pièce de théâtre pour l'anniversaire de la RDA. Des gestes minimes — une légère surprise sur le visage, une phrase interrompue, puis un ton cassant avec son subordonné — auront suffi au spectateur pour deviner les pensées du capitaine qui reste pourtant impénétrable aux yeux du sergent et des autres personnages.


Yeux dans les yeux...

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Le capitaine Wiesler s'apprête à dénoncer les agissements de Georg Dreyman à son supérieur le colonel Grubitz. Il tient d'ailleurs en mains un rapport qu'il compte sans doute lui remettre. Mais les propos de Grubitz, qui parle d'une nouvelle technique de "profilage" des artistes et de la manière de les "casser" moralement, va le faire changer d'avis et l'obliger alors à mentir à son supérieur.

Une des originalités de la mise en scène consiste en un détail qui est à peine remarqué mais certainement perçu par la plupart des spectateurs, à savoir la position du capitaine Wiesler : celui-ci se tient au bord de la table, la poitrine parallèle à ce bord, alors que le colonel Grubitz se tient quant à lui à sa droite (à gauche de l'image) sur l'autre bord perpendiculaire. Cette position oblige ainsi le capitaine à tourner la tête vers la droite (vers la gauche de l'écran), vers son interlocuteur, ce qui est une attitude très peu naturelle dans une conversation à deux personnes.

Pour le spectateur, il en résulte sans doute une impression plus ou moins confuse de raideur, de rigidité chez Wiesler (dont nous savons qu'il ment), mais cette impression résulte comme on le voit (au moins pour une part) d'une indication de mise en scène très précise du réalisateur (à moins qu'il ne s'agisse d'une initiative de l'acteur Ulrich Mühe : quoi qu'il en soit, la position adoptée a certainement été choisie de façon délibérée).

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Le capitaine ment, et un gros plan par-dessus son épaule vient nous montrer l'objet compromettant...

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Le capitaine Wiesler ment, mais le colonel Grubitz semble dubitatif... La tension monte, et la caméra, de façon très classique, se rapproche des personnages pour scruter notamment le visage de Wiesler toujours aussi imperturbable. Sa position n'a pas varié, et il est toujours obligé de tourner la tête vers la droite pour plonger son regard dans celui de son supérieur.

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Le colonel Grubitz quant à lui, malgré son uniforme de prestige, se met à son aise, s'appuyant sur l'accoudoir de son fauteuil et se tournant naturellement vers son interlocuteur. Par rapport à l'attitude en revanche peu naturelle du capitaine, Grubitz paraît presque décontracté, conversant en toute confiance avec son subordonné qui est aussi un ancien camarade de classe.

À la fin de la conversation, un doute s'insinue cependant dans son esprit et il met ouvertement en cause l'action du capitaine. À ce moment, un accessoire secondaire — le cigare — permet de traduire visuellement la brève confrontation entre les deux hommes. À cet instant précis, les deux hommes se taisent, yeux dans les yeux, et Grubitz oriente, comme on le voit bien, son cigare en direction de Wiesler, comme une arme à l'extrémité rougeoyante pointée sur lui (jusqu'alors son cigare n'avait aucune direction précise). L'objet permet ainsi de souligner ou d'accentuer brièvement la tension entre le deux hommes.



Rouge [1]

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En cachant la machine à écrire, Georg se tache les doigts avec l'encre rouge du ruban. Le choix de cette teinte n'est certainement pas innocent alors que les couleurs dominantes du film sont plutôt un vert grisâtre (notamment dans les locaux de la Stasi) ou un brun orangé (en particulier dans l'appartement de Georg Dreyman). Couleur vive, le rouge est aussi couleur du sang, et les doigts tachés de Wiesler peut faire penser aux mains sanglantes d'un assassin.

Mais l'importance de ce détail n'apparaît que beaucoup plus tard quand Georg découvrira sur le dernier rapport du capitaine Wiesler, l'agent HGW XX/7, la même tache rouge. Ce gros plan a donc valeur de signal, même s'il passe inaperçu aux yeux de beaucoup de spectateurs.


Le geste qui le trahit…

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Le colonel Grubitz téléphone à Wiesler et lui parle d'un article paru à l'Ouest et portant sur les statistiques du suicide en RDA : le capitaine se trahit à cet instant en citant le titre du magazine en cause, Der Spiegel... Se rendant compte de son erreur, il fait ce geste de la main, crispée comme s'il voulait rattraper les paroles qui lui ont échappé.

C'est un des gestes les plus expressifs de l'acteur Ulrich Mühe, dont la plupart des spectateurs se souviendront sans doute facilement. Néanmoins, si l'on revoit le film, l'on constate que son jeu est plus expressif qu'il n'y paraît au premier abord (où l'on a surtout l'impression d'un personnage totalement contrôlé), et qu'il multiplie de tout petits gestes (clignement d'yeux, regards détournés, mouvement des lèvres, légers déplacements... ) qui laissent notamment deviner son trouble mais qui sont à peine remarqués et vite oubliés par les spectateurs, tant ils sont légers et fugaces. Par contraste, ce geste-ci, comme les pleurs qu'il verse en écoutant la "Sonate pour un homme de bien", marque en général la mémoire des spectateurs.



La trahison de Christa

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Face à Grubitz, Christa arrêtée pour consommation de drogues essaye de négocier et suggère notamment de lui servir d'informatrice avant de lui proposer de faire "quelque chose de très agréable pour tous les deux". Mais le colonel refuse, car il ne veut pas se mettre à dos le ministre Hempf, cet "ennemi puissant" que s'est fait Christa.

Grubitz a cependant un deuxième souci, l'article du Spiegel, et il profite de l'occasion pour demander à la jeune femme si elle n'en connnaîtrait pas l'auteur. Mais il ne soupçonne pas qu'il s'agit en fait de Georg Dreyman, le compagnon de Christa, puisque le capitaine Wiesler l'a innocenté peu de temps auparavant.

Christa va alors flancher et trahir son compagnon. Mais comment rendre cette trahison sinon acceptable du moins supportable pour le spectateur ?

Christa ne va pas répondre tout de suite. Elle va baisser la tête, faire entendre même de petits sanglots qui surprendront Grubitz, mais ces sanglots vont s'accompagner d'un sourire nettement visible : elle rit évidemment de la question presque naïve de Grubitz qui ne semble pas se douter que le coupable est aussi proche d'elle. Ce rire est aussi un effondrement : Christa rit parce que, pour elle, la situation est totalement désespérée (elle ne peut plus se sauver sans perdre en même temps celui qu'elle aime) et que dès lors plus rien n'a d'importance. Elle peut donc rire de cette situation involontairement comique.

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Christa rit devant Grubitz interloqué. Elle s'apprête pourtant à trahir Georg, son compagnon. Ce sourire incongru de l'actrice Martina Gedeck (sans doute dirigée par le cinéaste) permet ainsi de révéler le trouble profond du personnage puisque Christa est totalement prise au piège, ne pouvant se sauver sans trahir son compagnon.

On remarquera encore que l'on n'entendra pas l'aveu de Christa : le cinéaste va couper la scène sur ce rire et nous montrer aussitôt après Georg seul dans sa chambre attendant avec anxiété le retour de la jeune femme. Il évite ainsi au spectateur un aveu qui serait pénible sinon pitoyable, même si la trahison de Christa ne fait aucun doute pour le spectateur.


Interrogatoire [2]

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Le capitaine Wiesler est chargé de faire avouer Christa. Cette confrontation est particulièrement dramatique puisque Wiesler s'est présenté une première fois face à la jeune femme comme un simple spectateur admiratif de son talent et qu'il se révèle à présent être un agent de la Stasi.

On remarque alors facilement la position étrange de Wiesler qui tourne le dos à la porte par laquelle on fait entrer Christa. On peut même un instant se demander s'il ne va pas rester dans cette position pendant tout l'interrogatoire. Mais il va bientôt se retourner et faire face à Christa qui ne peut alors que le reconnaître.

On peut sans doute interpréter de différentes manières cette attitude du capitaine Wiesler, mais il s'agit là, on s'en rend compte, d'une idée de mise en scène qui est suffisamment originale pour marquer la plupart des spectateurs et leur rester en mémoire.

Enfin, on peut remarquer la longueur de la table qui sépare les deux personnages et qui contraste avec celle beaucoup plus étroite utilisée lors du premier interrogatoire. La confrontation directe qui caractérisait ce premier interrogatoire est ici remplacée par la distance — visuelle et psychologique — qui sépare Christa et Wiesler, sinon même le retrait mental de ce dernier qui se sait observé par son supérieur. (On peut donner une autre interprétation de l'utilisation de cet objet de décor : ce qui importe, c'est d'essayer de rendre compte de l'impression concrète que ressent le spectateur face à cet élément visuel inhabituel.)



Présence cachée [2]

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Georg, qui ne sait pas où se trouve Christa (elle a en réalité été arrêtée par la Stasi), rentre chez lui, mais il ne remarque pas la présence du capitaine Wiesler, caché à côté de la porte. La scène répète visiblement une séquence antérieure où l'on avait vu Georg se cacher au même endroit pour ne pas devoir affronter immédiatement Christa dont il venait de découvrir l'infidélité.

Ce genre de rappel visuel, dont s'aperçoivent sans doute la plupart des spectateurs, permet de donner une image très concrète de l'évolution de la situation : Wiesler, qui était le responsable de la découverte de l'infidélité de Christa (il avait attiré l'attention de Georg par des coups de sonnette répétés), risque à présent d'être découvert à son tour, que ce soit par Georg (dont il tient la machine à la main) ou par son supérieur le colonel Grubitz (qui s'est étonné de son départ rapide des locaux de la Stasi). La situation est risquée pour Wiesler qu'un simple regard de Georg pourrait découvrir alors que la position des personnages dans l'image rend visuellement perceptible ce risque couru par Wiesler. (Certains spectateurs un peu critiques pourraient même trouver la situation artificiellement dramatisée.)

Le capitaine Wiesler, "mauvais ange" épiant le couple Dreyman, est à présent devenu leur "ange gardien" bien près d'être découvert à son tour par son supérieur.


Rouge [2]

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La couleur rouge est dans notre culture tellement associée au sang que beaucoup de spectateurs pensent spontanément en voyant cette tache sur le dernier rapport du capitaine Wiesler (que découvre Georg après la chute du Mur) qu'il s'agit de sang et plus précisément du sang de Christa morte devant Wiesler. Mais en revoyant le film, l'on constate que le capitaine s'approche de Christa et lui parle un bref instant mais qu'il ne la touche pas. (En outre, l'on sait que le sang vire rapidement au brun qund il est exposé à l'air ambiant.)

Cette tache est donc celle du ruban de la machine à écrire que Wielser a dérobée dans l'appartement de Dreyman. Dans une séquence précédente, l'on avait d'ailleurs vu distinctement les doigts tachés d'encre du dramaturge lorsqu'il avait voulu cacher la machine dans le plancher de son appartement.

Si ce n'est donc pas une trace de sang, on peut tout de même y voir un rappel symbolique du sang versé : l'espionnage a bien conduit à la mort l'une des protagonistes de cette histoire.



Affiche du film

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