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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Knock
de Lorraine Lévy
France, 2017, 1 h 53


Les réflexions proposées ci-dessous s'adressent notamment aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder le thème des manipulations mentales à travers l'analyse du film Knock de Lorrraine Lévy.

En quelques mots

Inspiré d'une pièce classique de Jules Romains qui, dès sa publication en 1923, fera l'objet de plusieurs adaptations théâtrales et cinématographiques, le film de Lorraine Lévy Knock propose de l'œuvre une version modernisée, inscrivant notamment son action dans le cadre de la France profonde des années cinquante. Image du filmL'argument principal de la pièce originale est conservé : installé à Saint-Maurice, un village reculé où la population se porte comme un charme et où il est venu prendre la succession du docteur Parpalaid, le docteur Knock va s'employer à faire passer tout le canton à « l'ère médicale » en persuadant les habitants que les bien portants ne sont en réalité que des malades qui s'ignorent. La réalisatrice prend néanmoins un certain nombre de libertés avec le scénario original en apportant quelques modifications aux dialogues, en complexifiant la psychologie du docteur Knock ou en ajoutant l'un ou l'autre personnage comme, par exemple, cet homme surgi du passé qui revient hanter l'existence du médecin, ou bien Adèle, l'employée de la très riche ma- dame Cuq, ou encore le prêtre de la paroisse, seul personnage fermement op- posé au culte que lui vouent désormais tous les habitants du canton.

Les méthodes du Docteur Knock

L'un des thèmes fondamentaux du film Knock de Lorraine Lévy, comme de la pièce originale d'ailleurs, est la manipulation. L'analyse proposée ici souhaite expliciter différents aspects du processus de manipulation mis en place par le nouveau médecin de Saint-Maurice. Comment, en huit mois (en trois mois dans la pièce originale), le docteur Knock réussit-il à faire passer la population du canton du statut de bien portant à celui de malade condamné à rester au lit ? Voilà en effet une question essentielle qui nous concerne tous dans notre rapport à une autorité quelconque, légitime ou non, dès lors que cette figure d'autorité cherche à nous contraindre insidieusement à agir dans une direction que nous n'aurions pas choisie spontanément. En proposant de décortiquer ces méthodes, l'analyse se donne par conséquent comme objectif de dégager le sens et la portée du film de manière à mettre en lumière les différentes manipulations auxquelles tout un chacun peut se trouver confronté dans sa vie quotidienne.

Quelques situations du film

Voici d'abord un rappel de quelques situations du film qui méritent une réflexion.

  1. À la descente du train, Knock fait porter ses valises par M. et Mme Parpalaid.
  2. Knock oblige tous les habitants de Saint-Maurice à l'appeler « Docteur ».
  3. Knock instaure une consultation gratuite tous les mardis matin.
  4. Knock communique en utilisant des mots issus du jargon scientifique.
  5. Knock montre des images choquantes pour décrire les effets de la maladie.
  6. Knock persuade Madame Cuq qu'elle est tombée d'une échelle étant petite.
  7. En guise de premier traitement, il ordonne à Madame Cuq de garder le lit et de se mettre à la diète pendant une semaine, après quoi elle sera libre d'opter ou non pour un traitement beaucoup plus coûteux.
  8. Knock recommande au facteur de se mettre au lit le soir même. Il passera le voir le lendemain matin.
  9. Knock persuade Monsieur Bernard, l'instituteur, de collaborer avec lui dans la prévention des maladies et l'enseignement des règles d'hygiène

Analyse

À des degrés divers, toutes les situations rappelées ci-dessus illustrent l'une ou l'autre méthode de manipulation utilisée par le docteur Knock pour étendre son pouvoir sur la population du canton de Saint-Maurice.

Se créer un personnage

À son arrivée en gare de Saint-Maurice où l'attendent Monsieur et Madame Parpalaid, Knock se positionne immédiatement en dominateur. En faisant porter ses propres bagages, pourtant nombreux et encombrants, par un homme plus âgé de même rang social que lui ainsi que par son épouse, il se montre condescendant et instaure entre lui-même et eux une inégalité de statut tout à fait arbitraire (Situation 1). On retrouve cette même volonté de marquer la distance vis-à-vis des villageois lorsqu'il oblige tout le monde à s'adresser à lui en l'appelant « Docteur » (Situation 2) ou qu'il leur donne l'une ou l'autre explication en utilisant un jargon scientifique (Situation 4) incompréhensible du plus grand nombre (prophylactique, faisceau de Türk, circulation intracérébrale…).

Image du filmCes trois attitudes indiquent un personnage qui se place d'emblée au-dessus de ses semblables mais qui, dans le même temps, dégage beaucoup de charisme. Très vite, il fait le pari de mettre toute la vaillante population du canton au lit et de se faire par là-même beaucoup d'argent, promettant également la fortune à Monsieur Mousquet, le pharmacien de la localité. Ainsi guidé par des motifs financiers et le désir d'exercer un pouvoir absolu sur les habitants de Saint-Maurice, Knock va instaurer avec les habitants une relation d'emprise fondée sur un processus complexe d'agissements impliquant la séduction des individus, l'exploitation de leur ignorance en matière médicale, la transformation de leur vision des choses et de leurs valeurs, la création d'un ennemi commun (la maladie), ou encore, l'exigence d'un engagement personnel, notamment financier, proportionnel à leurs revenus. On retrouve donc dans le docteur Knock le profil du parfait gourou.

Développer un projet philanthropique

Avec la mise en place d'une consultation gratuite, toute la subtilité du docteur Knock consiste à dissimuler ses motivations personnelles et ses desseins (gagner de l'argent, devenir tout-puissant) sous l'apparence séduisante d'une entreprise philanthropique (Situation 3). En effet, son but est bien moins de venir en aide à une population précarisée - la population de Saint-Maurice est particulièrement aisée ! - que de servir une cause cachée qui se trouve à l'opposé de cet objectif ; on peut ainsi observer que cette consultation va lui apporter un triple bénéfice. Tout d'abord, elle lui permet de faire la connaissance des habitants tout en s'attirant leur confiance et leur sympathie, ensuite d'effectuer un premier tri au sein de la population en repérant les habitants susceptibles de lui procurer de grosses rentrées, et enfin d'amorcer son projet en insufflant dès le départ chez les gens solvables des maladies imaginaires, qu'ils vont pourtant rapidement intégrer à leur parcours de vie.

Pour terminer à ce propos, on signalera l'absurdité d'une consultation gratuite : pourquoi aller chez le médecin si l'on est bien portant ? Knock utilise l'appât du gain - « c'est gratuit, donc j'en profite » - pour transformer ses « clients » en malades potentiels : la seule conviction qu'ils retireront de la visite, c'est que leur santé est en danger !

Impressionner, choquer

Une autre méthode utilisée par le docteur Knock pour convaincre la population de la nécessité de se soigner consiste à implanter chez les habitants de Saint-Maurice une véritable peur de la maladie. Il n'hésite pas pour cela à frapper les esprits par des images fortes, qu'il s'agisse des dessins d'organes malades qu'il expose dans sa salle d'attente et en classe sous le regard traumatisé des enfants, de leur instituteur, Monsieur Bernard, et des notables du village (Situation 5), ou d'images métaphoriques lorsqu'il parle, par exemple, de l'araignée qui serait en train de grignoter lentement le cerveau de la riche veuve, Madame Pons. Il explique par ailleurs aussi combien il est facile d'être envahi par l'un ou l'autre germe ou microbe fatal, faisant ainsi planer la menace d'épidémies. Cet alarmisme volontaire dépasse donc un simple souci de prévention de la maladie et va contribuer largement à placer une population effrayée sous sa coupe.

Faire appel à la mémoire

Image du filmLors de sa première consultation du mardi, le docteur Knock reçoit un grand nombre d'habitants qui ne se sentent pas malades mais qui viennent juste parce que « c'est gratuit ». Parmi ceux-ci, il y a des personnes très fortunées mais avares comme, par exemple, Madame Cuq. Le médecin comprend très vite tout le parti qu'il y a à tirer de cette situation et il va s'employer à la persuader qu'elle doit impérativement se soigner sous peine de voir ses forces décliner de manière irréversible. Madame Cuq étant en bonne santé, il cherche à induire chez elle un faux souvenir[1], invoquant un accident survenu alors qu'elle était enfant : elle serait tombée d'une haute échelle - 3,5 mètres, précise-t-il afin d'ajouter du poids à ses allégations -, un fait dont elle ne se souvient pas mais qui expliquerait ses courbatures par les séquelles qu'elle en a gardées à la fesse gauche (Situation 6). Séduite par le médecin et fascinée par l'étendue de ses connaissances, Madame Cuq accepte sans réserve son diagnostic sans se rendre compte qu'il est absolument impossible d'attribuer de façon univoque des séquelles invisibles à l'un ou l'autre événement précis survenu dans un lointain passé.

Laisser le libre-choix

C'est donc convaincue de son mal que Madame Cuq accepte un premier traitement « qui ne coûtera presque rien… » - diète et repos total durant une semaine -, une période d'observation au terme de laquelle elle prendra elle-même la décision d'entreprendre ou non un traitement coûteux. En apparence, il lui laisse donc l'entière liberté de choisir d'investir de fortes sommes d'argent dans le traitement d'une maladie dont elle ne souffre pourtant pas (Situation 7). Or en réalité, ce choix est un faux choix dans la mesure où le docteur Knock va précisément tout mettre en place pour que son état de santé se dégrade effectivement sous l'effet de l'affaiblissement général qu'il impose à son organisme, cela sous le couvert - et c'est bien là qu'il se montre particulièrement fort en manipulation - d'un premier traitement médical de base. Ainsi, au terme d'une semaine de jeûne, Madame Cuq ne pourra que se plaindre d'une détérioration de son état général et donc accepter le traitement très coûteux que le médecin lui a proposé pour espérer, peut-être, guérir de son mal. C'est en effet ce qui se passe, alors même que le médecin a encore augmenté de 25% le tarif exorbitant de ce traitement !

Appâter le « client »

Pour mener son projet à bien, le docteur Knock a nécessairement besoin de relais et le premier sera le facteur, indispensable pour annoncer son arrivée à Saint-Maurice et surtout sa décision de proposer une consultation gratuite hebdomadaire. Afin de le convaincre de l'aider, il lui fait entendre qu'il n'est pas quelqu'un comme les autres, qu'il jouit d'un statut privilégié parce que plus que tout autre, il « crée du lien social ». Immédiatement chargé de mission, le facteur est invité à revenir chez le médecin après sa tournée pour recevoir sa consultation gratuite. C'est là l'occasion pour Knock de faire une première « victime » : le soir, il se couchera en attendant sa visite le lendemain et jusque-là, il fera abstinence totale en matière de vin, de tabac et de relations sexuelles. Le lendemain, lorsque le médecin se rend à son chevet, il réclame au facteur médusé des honoraires pour un montant de 40 francs, précisant que « ça ne peut pas être gratuit tous les jours ! » Le facteur, qui n'aurait jamais effectué la démarche d'aller consulter spontanément, s'est donc laissé séduire par le piège tendu par le docteur Knock et entraîner dans un engrenage qu'il n'avait pas prévu et auquel il ne pourra pas se soustraire (Situation 8).

S'assurer des relais stratégiques

Par contre, s'il a besoin des services du facteur de façon tout à fait ponctuelle, le docteur Knock doit pouvoir compter à long terme sur ses nouveaux alliés : le pharmacien, qui fournira les médicaments nécessaires aux traitements qu'il propose ; madame Remy, la tenancière de l'Hôtel de la Clé, qu'il transformera bientôt en clinique destinée à accueillir les malades venus de partout ; et enfin l'instituteur, chargé quant à lui d'« éduquer » les enfants et donc, les adultes de demain. Pas question donc pour eux de tomber malades et de devoir garder le lit.

Image du filmKnock n'aura pas beaucoup de peine à convaincre Monsieur Mousquet. Il lui suffira en effet de le flatter en louant la bonne tenue de son officine et surtout en soulignant l'importance de sa profession car « sans médicaments, pas de guérison ! ». Enfin, l'intérêt financier que le pharmacien retirera de leur collaboration représente évidemment aussi un argument de poids.

Il n'a pas non plus de gros efforts à faire pour s'attirer la sympathie de Madame Rémy, avec qui il partage des souvenirs de guerre, elle en tant qu'épouse d'un Résistant tombé aux pieds du Vercors en janvier 1944, et lui en tant que caporal ayant servi dans l'Armée dès février 1940. En plus de l'intérêt financier que la tenancière retirera sans aucun doute de la transformation de son hôtel en clinique, cette complicité, cette sympathie mutuelle va bien sûr également jouer un rôle dans la prédisposition de Madame Rémy à répondre favorablement à la demande du médecin.

En revanche, l'adhésion de l'instituteur, qui n'a rien à gagner en s'investissant dans la prévention des maladies et l'enseignement des mesures d'hygiène, requiert d'autres méthodes pour l'amener à collaborer. Afin d'obtenir son assentiment, le docteur Knock développe ainsi une stratégie en trois étapes. Tout d'abord, il fait preuve dès le départ d'une fausse naïveté qui va profondément déstabiliser l'instituteur. Alors qu'il sait pertinemment bien que ce dernier est novice en la matière et qu'il n'a jamais travaillé en binôme avec son prédécesseur, le docteur Knock se présente pourtant à lui comme si l'existence d'une telle collaboration passée était un fait acquis et qu'elle relevait de l'évidence. Cette attitude lui permet ensuite de se montrer totalement abasourdi, incrédule, outré, quand Monsieur Bernard, honteux, lui avouera qu'il n'existait entre lui-même et le docteur Parpalaid aucune collaboration de ce type. Décontenancé, l'instituteur se place spontanément dans une position d'infériorité, qui se traduit à l'écran par l'installation du médecin au bureau de l'instituteur principal, placé sur l'estrade, et de Monsieur Bernard au premier banc de la classe, comme s'il était désormais prêt à se comporter comme un élève modèle (Situation 9).


1. Des études ont mis en évidence que la mémoire est malléable et soumise à de nombreuses influences susceptibles de transformer les souvenirs et même d'en créer de nouveaux. De faux souvenirs - relatifs, par exemple, à un événement qui ne s'est jamais produit - peuvent ainsi être créés artificiellement et implantés dans la mémoire d'un individu. Dans ce cas, on parle alors de « faux souvenirs induits ».

La psychologie de l'engagement

La psychologie de l'engagement[2] a fait, et fait encore aujourd'hui, l'objet de nombreuses études scientifiques. L'ensemble des travaux menés par les chercheurs en psychologie sociale montrent notamment qu'on obtient plus facilement un comportement nouveau de la part d'un individu en l'engageant préalablement dans un acte peu coûteux auquel il a librement consenti. Cette découverte est importante dans la mesure où cette méthode destinée à obtenir d'autrui un comportement qu'il n'aurait pas adopté spontanément se révèle, au cours d'expériences scientifiques nombreuses, bien plus efficace que le système punition/récompense propre à la méthode autoritaire ou même que la méthode persuasive régulièrement utilisée, par exemple, dans les campagnes de prévention qui visent à produire de nouveaux comportements sur base d'un changement d'attitude. En d'autres termes, selon la théorie de l'engagement ou de la « soumission librement consentie », l'individu est influencé à agir différemment non pas parce qu'il aurait été préalablement convaincu par un discours persuasif mais parce qu'il aurait été conduit antérieurement à produire un acte en apparence minime mais ayant une valeur d'engagement.

L'effet de gel

Toute la théorie de l'engagement trouve ses origines dans les résultats d'une expérience menée au cours de la Seconde Guerre mondiale par Kurt Lewin, un chercheur américain. En période de pénurie alimentaire, son expérience consistait à trouver le moyen de convaincre les ménagères de cuisiner des abats de boucherie. Il avait alors constitué deux groupes, les ménagères du premier groupe étant simplement informées par des animateurs chargés de valoriser ces produits. Quant aux ménagères du second groupe, elles recevaient les mêmes informations mais au terme de la réunion, l'animateur leur demandait d'exprimer à main levée leur intention de cuisiner des abats dans les jours à venir. Les résultats obtenus indiquent que cet engagement public a conduit les ménagères du second groupe à un taux d'utilisation du produit beaucoup plus important que dans le groupe ayant reçu une simple information (32 % contre 3 %). On peut donc déduire de ces résultats que la décision, exprimée devant des tiers, d'adopter un comportement futur fige en quelque sorte le champ des options et conduit la personne qui a pris cette décision à s'y tenir. Autrement dit, il apparaît que les décisions en apparence peu contraignantes que nous prenons nous engagent dans le futur : c'est ce qu'on appelle l'« effet de gel ». À partir de ce constat, plusieurs techniques d'influence sociale (ou manipulation) vont être testées pour amener un individu à produire « librement » un comportement déterminé.

Le pied-dans-la-porte

Parmi les plus connues, on trouve la technique dite du « pied-dans-la-porte », expérimentée pour la première fois aux États-Unis dans les années soixante et en France une vingtaine d'années plus tard, par les psychologues sociaux Joule et Beauvois. Cette procédure consiste, dans un premier temps, à amener un individu à accomplir librement un premier « acte préparatoire », peu coûteux en termes d'investissement personnel, dans le but implicite de l'amener ensuite à répondre favorablement à une demande beaucoup plus coûteuse qu'il aurait refusée s'il n'avait pas réalisé préalablement l'acte préparatoire (demande explicite) ou à produire spontanément de nouveaux comportements dans le domaine visé (demande implicite). Enfin, les effets de cette technique seront encore renforcés si la demande s'accompagne de ce qu'on appelle en psychologie sociale un « étiquetage », une technique qui consiste à attribuer au manipulé une qualité ou un trait de caractère positif, qu'il tâchera ensuite de valider par ses actes.

Un exemple d'expérience de pied-dans-la-porte avec demande explicite

En 1966, deux chercheurs américains, Freedman et Fraser, ont tenté d'amener des ménagères à accepter l'implantation dans leur jardin d'un grand panneau publicitaire relatif à la sécurité routière. Pour tester l'efficacité de la technique du pied-dans-la-porte, ils ont constitué deux groupes. Dans le premier, les ménagères avaient été invitées quelques jours auparavant à placer une vignette en faveur de la même cause sur l'une des fenêtres de leur habitation. Dans l'autre, dit « groupe de contrôle », les ménagères avaient été sollicitées sans aucune forme de contact préalable. Les résultats de cette expérience sont éloquents : dans la condition de contrôle, seulement 16 % d'entre elles ont accepté de placer le panneau dans leur jardin alors que dans l'autre groupe, 76 % ont répondu favorablement à la demande.

Un exemple d'expérience de pied-dans-la-porte avec demande implicite

Il y a une vingtaine d'années, Joule et Beauvois ont réalisé une série d'expériences dont la suivante, effectuée juste avant le passage à l'euro. Dans une rue déserte, un passant complice de l'expérimentateur perd un billet de 50 francs. Des passants témoins de la scène, seuls 20 % le lui font remarquer, tous les autres (80 %) attendant qu'il s'éloigne pour empocher l'argent. Les expérimentateurs mettent ensuite en scène une situation dans laquelle les passants sont amenés à rendre un petit service (donner un renseignement) à un autre passant (complice), quelques minutes avant de voir le billet tomber de la poche de l'expérimentateur. Dans ce cas, ce sont 40 % des sujets qui l'en avertissent, soit le double. Enfin, lorsque le service demandé est un plus coûteux (ainsi faire une trentaine de mètres pour aider quelqu'un à retrouver son chemin), cette proportion passe à 70 %.

Trois autres techniques issues de la théorie de l'engagement

L'amorçage

Le principe de l'amorçage consiste à amener une personne à décider d'adopter un comportement dont on lui cache dans un premier temps le coût réel. Une fois la décision prise, on communique à la personne une information qui rend la décision moins attrayante et on lui précise qu'elle peut revenir sur sa décision initiale. L'expérience confirme que la personne testée tend à maintenir sa décision en dépit de l'information donnée a posteriori. Ainsi par exemple, des étudiants ont accepté de participer à une courte expérience de psychologie. Après avoir été informés que cette expérience aurait lieu à sept heures du matin, ils ont été invités à confirmer ou retirer leur engagement. Il est remarquable de constater que ces étudiants ont accepté cette expérience en bien plus grand nombre que ceux qui appartenaient au groupe de contrôle, à qui l'on avait annoncé d'emblée qu'elle était programmée à sept heures du matin (56 % contre 31 %, selon les résultats de l'expérience menée en 1978 par Cialdini et ses collaborateurs).

La porte-au-nez

Le principe de la porte-au-nez est en quelque sorte inverse à celui du pied-dans-la-porte. Il s'agit de formuler dans un premier temps une demande exorbitante qui ne peut qu'aboutir à un refus. Le refus une fois obtenu, on formule ensuite la demande sur le comportement attendu, qui est de moindre coût et qui est alors acceptée dans une proportion beaucoup plus importante que si elle avait été formulée d'emblée. C'est ce que révèlent les résultats d'une expérience réalisée aux États-Unis en 1975 par Robert Cialdini et ses collaborateurs. Il s'agissait d'obtenir d'étudiants qu'ils veuillent bien accompagner durant deux heures des jeunes délinquants au zoo. Dans la condition expérimentale, la demande était précédée d'une autre, beaucoup plus coûteuse (accompagner un jeune délinquant deux heures par semaine pendant deux ans) alors que dans la condition de contrôle, la requête était formulée directement. Dans ce cas, seuls 16,7 % ont accepté alors que la proportion d'étudiants prêts à accompagner un délinquant au zoo passe à 50 % dans le groupe expérimental, à qui l'on avait préalablement proposé une requête exorbitante (et unanimement refusée).

Mais vous êtes libres de…

Le sentiment de liberté crée un contexte idéal pour manipuler les individus. Plusieurs expériences ont ainsi montré que l'on augmente considérablement ses chances d'obtenir quelque chose de quelqu'un si l'on assortit sa demande d'une formule comme « mais vous êtes tout-à-fait libre de refuser ». La première de ces expériences, menée en 2000 par Guéguen et Pascual, se déroulait de la façon suivante. Dans un premier temps, l'expérimentateur demandait à un passant un peu de monnaie pour prendre le bus et obtenait une réponse favorable dans seulement 10 % des cas. Dans un second temps, il ajoutait à sa requête la formule « mais vous êtes libre d'accepter ou de refuser ». Dans ce cas, il a observé que 47 % des passants - soit presque cinq fois plus ! - répondaient à sa requête en lui donnant de l'argent. De plus, ces derniers ont donné en moyenne des sommes plus de deux fois plus élevées, ce qui multiplie presque l'efficacité globale obtenue par cette technique par dix.


2. D'après Robert-Vincent JOULE et Jean-Léon BEAUVOIS, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Presses universitaires de Grenoble, 2014, ouvrage auquel l'on pourra se reporter pour de plus amples informations ou pour découvrir d'autres techniques de manipulation inventoriées par les auteurs.

Affiche

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