Medias
Journal & grilles Appli mobile Newsletters Galeries photos
Medias
Journal des Grignoux en PDF + archives Chargez notre appli mobile S’inscrire à nos newsletters Nos galeries photos
Fermer la page

Une étude réalisée par Les Grignoux et consacrée au thème
L'économie du cinéma

L'étude présentée ici propose une description du marché du cinéma, des principes généraux de son économie et de son évolution historique. Il ne s'agit pas d'une étude économique destinée à un public de spécialistes mais d'une analyse générale de ce marché qui reste certainement mal connu de la plupart des spectateurs qui voient des films en salles de cinéma ou ailleurs.
Ce document est également disponible ici au format pdf facilement imprimable.

L'économie du cinéma

André Malraux, écrivain et ministre de la culture en France sous De Gaulle [1] a terminé son ouvrage Esquisse d'une psychologie du cinéma (1947) par une formule restée célèbre : « Par ailleurs, le cinéma est une industrie. » Mais la formule n'a jamais été développée, ni par Malraux lui-même ni par d'autres, du moins dans des ouvrages pouvant atteindre un large public. Il existe bien entendu de nombreuses études sur l'économie du cinéma, mais elles sont souvent spécialisées, parfois partisanes, sans réelle vue d'ensemble du secteur [2]. En outre, les informations quantitatives qui font éventuellement l'objet d'une large publicité — le coût faramineux d'une production prestigieuse, le succès inattendu d'un film… — sont généralement peu significatives en l'absence de chiffres de comparaison ou de moyens de mesure. Ainsi, l'économie du cinéma dans ses principes généraux reste sans doute assez mal connue du grand public même si l'on a entendu parler des grands studios de Hollywood, de producteurs richissimes (surtout quand ils sont traînés devant un tribunal pour des crimes sexuels…), de box-office ou des salaires faramineux de certains acteurs ou actrices [3].

Les professionnels du cinéma — qui sont multiples, on y reviendra : producteurs, acteurs, réalisateurs, distributeurs, exploitants… — ont quant à eux une connaissance du secteur plus ou moins approfondie et disposent d'outils divers [4] qui leur permettent d'en maîtriser certains aspects et certains enjeux. Dans leur cas, on peut parler de connaissance « indigène », selon une expression courante en ethnologie, c'est-à-dire une connaissance essentiellement pratique, acquise de façon continue et souvent de façon implicite. Les « stages » en milieu professionnel (dans le monde du cinéma ou ailleurs), souvent très peu rémunérés, sont également l'occasion d'acquérir une telle familiarité avec des univers reposant en fait sur de multiples savoirs qui ne font l'objet d'aucun enseignement explicite, notamment parce qu'ils sont considérés comme évidents par ceux qui y travaillent. Néanmoins, certains de ces savoirs peuvent également être volontairement tus parce qu'ils peuvent procurer un avantage concurrentiel (ou constituer un désavantage s'ils sont révélés). C'est le cas par exemple de nombreuses offres commerciales qui sont généralement secrètes pour éviter une surenchère d'autres acheteurs.

L'objectif de l'étude proposée ici est précisément d'expliquer les grands principes qui régissent l'économie du cinéma sans entrer dans une analyse chiffrée qui, elle, relève plus précisément des sciences économiques. Dans une perspective d'éducation permanente, il s'agit plutôt d'éclairer le fonctionnement général d'un « système » qui s'est fortement complexifié ces dernières décennies avec l'apparition de nouveaux acteurs comme les télévisions. L'expérience des Grignoux, une ASBL qui gère plusieurs salles de cinéma en Wallonie (huit à Liège, cinq à Namur), permet ainsi d'apporter une telle « connaissance indigène », même si, bien sûr, celle-ci est partielle et non exempte de certains biais. Par rapport au public, il est important d'apporter une connaissance d'un acteur économique, le « monde du cinéma » qui reste largement méconnu. On n'évitera pas tous les chiffres, mais on essaiera de les contextualiser de façon aussi pertinente que possible. Et l'on commencera d'ailleurs par un enjeu essentiel dans ce secteur comme dans d'autres : l'argent !

Le circuit de l'argent dans l'économie première du cinéma

On ne refera pas ici l'histoire du cinéma depuis les frères Lumière et Edison, mais il est intéressant d'évoquer ce qu'on peut appeler l'économie première du cinéma qui s'est mise en place avant notamment l'apparition de la télévision et d'Internet bien sûr. Il s'agit d'une économie particulière puisque là où, dans une économie traditionnelle de biens matériels comme des autos, des casseroles ou des pommes de terre, la production se fait de manière relativement continue au fur et à mesure que la consommation absorbe, en les usant ou en les détruisant, les biens produits, le cinéma repose quant à lui sur une production unique, celle du film, qui est ensuite reproduit à des milliers d'exemplaires, les copies de films. En outre, le même produit, film ou copie de film, peut être vu, « consommé » par des milliers ou des millions de spectateurs sans être jamais détruit par cette consommation. Le phénomène semble banal aujourd'hui mais il a profondément marqué certains observateurs qui y ont vu un changement profond aussi bien au niveau artistique [5] qu'au niveau économique [6]. Il permet en outre de comprendre le rôle particulier joué dans le cinéma par les producteurs.

Comme on le sait certainement, ce sont les producteurs (ou les maisons de production) qui très généralement décident de la réalisation de ces biens singuliers que sont les films. C'est eux qui financent les équipes — réalisateurs, acteurs, techniciens, intervenants de toutes sortes… — qui pendant un temps plus ou moins long vont travailler à la « fabrication » d'un film. Mais comment se rémunèrent-ils ? Comment récupèrent-ils l'argent avancé avec en principe un bénéfice plus ou moins important ?

On peut décrire ici un circuit à trois étages constitué par le niveau de la production, celui de la distribution et enfin celui de l'exploitation cinématographique. De manière un peu plus détaillée, on peut tout de suite dire qu'un producteur, qu'il soit français, américain, belge ou coréen, va « vendre » un film à des distributeurs nationaux (la France par exemple) ou régionaux (la Belgique francophone ou le Benelux) qui eux-mêmes le « vendront » aux exploitants de salles du pays ou du territoire concerné (France, Belgique francophone, Benelux…). Il ne s'agit pas exactement d'une vente mais plutôt d'une cession des droits de distribution ou d'exploitation. Le producteur cède les droits du film pour un territoire donné à un distributeur qui lui-même cède les droits de projection à toutes les salles de cinéma du territoire concerné, en échange d'une rémunération.

Cette rémunération repose par principe sur le nombre de spectateurs qui verront ou qui sont susceptibles de voir le film et surtout de payer un droit d'entrée : elle représente ainsi généralement un pourcentage du prix d'entrée. Pour chaque ticket acheté par un spectateur, un pourcentage de la recette « remonte » au distributeur. (Ce pourcentage varie le plus souvent entre 30 et 55% de la recette nette une fois déduites les taxes diverses.) Le distributeur va lui-même faire « remonter » une partie (très variable selon les contrats) de cette recette vers le producteur qui est ainsi rémunéré à son tour et qui peut ainsi se lancer dans la production d'un nouveau film… Cette description est évidemment extrêmement sommaire et est parfois très éloignée de la réalité — on y reviendra — mais on peut ainsi résumer le circuit de l'argent dans le monde du cinéma sous la forme d'un schéma facilement compréhensible.

Schéma économie du cinéma
Cliquez sur l'image pour obtenir une version agrandie en PDF

Quelques précisions

Ce schéma très sommaire mais sans doute éclairant mérite quelques commentaires pour mieux comprendre le fonctionnement du système ainsi que le rôle de certains intervenants. En outre, ces explications complémentaires permettront également de répondre à des questions que se posent souvent les spectateurs ou du moins certains d'entre eux

.

À quoi sert un distributeur de films ?

L'échelon de la distribution peut sembler inutile, et l'on pourrait penser que le producteur aurait tout avantage à s'adresser directement aux exploitants de salles. Le rôle du distributeur est cependant essentiel. C'est le distributeur (ou plus généralement la maison de distribution qui occupe plusieurs employés) qui a les contacts avec toutes les salles de cinéma susceptibles de projeter le film concerné. Et si l'on peut imaginer qu'un producteur connaisse son marché national, ce n'est évidemment pas le cas pour les marchés étrangers, surtout les plus éloignés [7].

Le travail du distributeur comporte une grande part administrative puisqu'il va recevoir de chaque salle un bordereau par semaine reprenant le nombre d'entrées et la recette du film concerné, ce qui donnera lieu ensuite à une facturation et enfin à un paiement au producteur, c'est-à-dire à une « remontée » d'argent. Il y a également une part de logistique qui consiste à gérer les sorties de copies vers les salles de cinéma puis à leur rentrée. Ces copies à l'origine en pellicule argentique (dite « 35 mm »à cause de leur largeur) sont à présent numériques et sont envoyées aux salles soit sous forme matérielle (un disque dur) ou immatérielle (via les réseaux informatiques).

Mais le plus important sans doute est le travail de promotion et d'édition qu'effectue le distributeur pour assurer une sortie adéquate de son film ou de ses différents films. L'édition consiste à prévoir et à (faire) fabriquer le nombre de copies suffisantes en fonction de la taille du marché (national ou régional) visé mais aussi du potentiel du film. Une superproduction américaine nécessitera évidemment un plus grand nombre de copies qu'un film d'art et essai difficile. En outre, cette édition implique des adaptations nationales en fonction de la spécificité de chaque pays : en Belgique par exemple, dont la capitale Bruxelles est bilingue, il faut prévoir des versions sous-titrées ou doublées en français et en néerlandais.

Le travail de promotion est sans doute plus évident : il s'agit d'organiser des visions de presse avant la sortie du film (en espérant que les critiques seront positives…), de mettre sur pied des campagnes d'affichage plus ou moins importantes, de diffuser des bandes-annonces dans les cinémas mais également sur Internet, d'acheter des espaces publicitaires dans la presse papier ou en ligne, spécialisée ou généraliste…

Enfin, une part essentielle du travail de distribution consistera à contacter les différents cinémas (ou à être contacté par eux) et à répartir les copies du film de manière optimale. Deux remarques doivent être faites à ce propos.

L'intérêt économique de l'exploitant est d'avoir un maximum de spectateurs dans sa salle avec des films qui « marchent » bien. En revanche, l'intérêt du distributeur est de garder ses films le plus longtemps possible en salle, même si la fréquentation décroît. Les distributeurs sont alors confrontés à la concurrence des films distribués par d'autres. Il y a d'ailleurs à certains moments (par exemple en automne quand la fréquentation des salles est maximale) trop de sorties prévues de films qui ne restent de ce fait que peu de semaines à l'affiche. Généralement, les exploitants des grands complexes regardent en effet le lundi les résultats des différents films dans leurs salles pendant le week-end et ils retirent ceux qui ont rencontré le moins de succès, pour mettre des nouveautés qu'ils espèrent plus rentables. Il est donc important pour chaque distributeur d'accompagner la sortie de ses films par un contact direct avec les exploitants de salles pour les convaincre de garder ses films à l'affiche ou simplement de les montrer (en période d'engorgement).

Mais les salles de cinéma sont elles-mêmes différentes. Il y a des salles dans les grandes villes et dans les petites, des complexes au centre-ville et des multiplexes en périphérie, il y a des salles anciennes, parfois prestigieuses, et d'autres plus récentes ou rénovées, il y a des salles dites « commerciales » et d'autres considérées comme d'Art et Essai [8]. Le parc des salles existantes est donc diversifié, et les distributeurs doivent en avoir une bonne connaissance et de bons contacts avec elles pour passer leurs films dans les salles les plus adéquates et le plus longtemps possible : il s'agira par exemple de négocier soit une sortie qui risque d'être courte dans un complexe très populaire, soit une sortie plus longue dans un cinéma moins fréquenté.

Pour chaque film ont donc lieu des négociations entre distributeurs et exploitants, suivies de contrats à établir portant aussi bien sur le nombre de semaines garanties à l'affiche que sur les pourcentages de la recette attribuée aux uns et autres (on reviendra sur ce point un peu plus loin)

.

Il faut enfin ajouter pour bien comprendre l'importance de la distribution qu'il y a à ce niveau de nombreuses firmes : en Belgique, on en compte plus de 80 même si seule une grosse dizaine a une activité régulière et importante. Par ailleurs, les maisons de distribution achètent elles-mêmes des films à une multitude de maisons de production, même si, comme dans tous les marchés, il s'établit généralement des relations plus ou moins privilégiées entre certains vendeurs et certains acheteurs. L'on doit donc complexifier très fortement notre schéma et imaginer qu'il y a une multitude de producteurs, mais également de distributeurs dans chaque pays et bien sûr de salles de cinéma. Et l'on doit aussi imaginer une multitude de relations entre les acteurs de chaque niveau.

La programmation des Grignoux

Lorsque l'asbl Les Grignoux a repris l'exploitation du cinéma Le Parc à Droixhe en 1982, cette salle pouvait être qualifiée d'art et essai par la qualité des films qu'elle programmait (l'appellation « art et essai » n'est pas réglementée en Belgique mais l'on peut s'appuyer à ce propos sur la labellisation des films par la France et le CNC en particulier). Mais l'exploitation de cette salle, qui était en grande difficulté financière, se faisait de manière conventionnelle, c'est-à-dire que le même film était projeté à toutes les séances tous les jours de la semaine (deux films différents pouvaient éventuellement être programmés, l'un vers 18 heures l'autre à 20 heures). Le maintien à l'affiche du ou des films dépendait alors de leur succès.

Les responsables des Grignoux, qui étaient nouveaux dans le métier, se sont quant à eux inspirés du modèle proposé par les cinémas Utopia en Avignon. Il s'agissait de programmer plusieurs films différents par jour et par semaine. Le nombre de séances qu'on accordait à chaque film dépendait alors du succès escompté. Un « petit » film obtenait moins de séances qu'un film au public supposé plus important.

Ce système permettait et permet aujourd'hui encore de montrer un beaucoup plus grand nombre de films dans un nombre limité de salles (ou même dans une seule salle avec un écran unique comme Le Parc) et de proposer une offre diversifiée aux spectateurs et spectatrices. Beaucoup de « petits » films, qui sont exclus d'une programmation conventionnelle en salle, trouvent en outre une place sur les écrans même si elle est limitée. Pour les films plus importants, ce type de programmation suppose qu'ils soient exploités alors sur plusieurs semaines sinon plusieurs mois pour que tous les spectateurs susceptibles de les apprécier aient l'occasion de les voir.

Mais cela implique surtout que les spectateurs soient bien informés de l'agenda des films proposés, au moins une semaine à l'avance, plusieurs de préférence, en particulier pour les films plus « pointus » bénéficiant d'un nombre limité de séances. L'agenda jour par jour s'étalant sur plusieurs semaines (5 ou 6 selon la période) sera alors repris d'abord sur une affiche éditée par les Grignoux, puis dans un journal (à partir de 1988) qui sera envoyé aux spectateurs membres du cinéma et accessible gratuitement dans de nombreux lieux en ville.

D'un point de vue économique, ce genre de programmation semble avantageux aussi bien pour la salle que pour le public cinéphile qui aime voir un grand nombre de films dont certains plus « pointus ». Mais cela suscite une forte résistance chez les distributeurs de films qui préfèrent voir leurs films à toutes les séances tous les jours de la semaine, même si certaines de ces séances (par exemple en semaine l'après-midi) sont pratiquement vides ou peu remplies. À l'époque où les copies de films argentiques (dites en 35 mm) étaient très coûteuses, certains distributeurs ont ainsi pu refuser aux Grignoux l'accès à certains films en sortie nationale, estimant que les frais d'édition d'une copie ne seraient pas rentabilisés. Ce n'est qu'au fil des années que les Grignoux ont pu montrer que ce type de programmation était avantageux aussi bien pour le public que pour les distributeurs. Un enjeu important des négociations avec ces derniers réside ainsi dans le nombre de semaines que les Grignoux garantissent maintenir un film à l'affiche, et cela avant même la sortie nationale du film en cause.

Journal des GrignouxJournal des GrignouxJournal des Grignoux

Comment se répartissent les recettes ?

Qui décide alors de la répartition des recettes ? Il faut immédiatement souligner qu'il n'y a pas de réglementation générale en la matière : c'est à l'issue de négociations commerciales plus ou moins longues que cette répartition est fixée par contrat. Bien entendu, certaines habitudes se sont instituées ; dans certains pays comme la France, des « fourchettes » réglementent cette répartition, et, de manière générale, la concurrence entre les agents des différents niveaux fixe des moyennes de prix. Ainsi, si l'on considère le prix d'entrée payé par le spectateur dans une salle de cinéma en Belgique, 15 à 20 % sont perçus à titre de taxes (TVA, taxes communales, droits musicaux payés à la SABAM), ce qui laisse une recette nette qui est partagée à 50 % environ entre l'exploitant et le distributeur.

La répartition peut être différente en fonction du succès du film. Si un film remplit largement une salle, le bénéfice de l'exploitant augmente évidemment, mais en contrepartie, le distributeur peut exiger un pourcentage plus important. Il existe ainsi un système de paliers en fonction de la moyenne de fréquentation annuelle de chaque salle : si le nombre de spectateurs pour un film dépasse cette moyenne, le distributeur recevra plus de 50 % de la recette nette (cela montera généralement aux alentours de 55 %). En revanche, si la fréquentation est inférieure, le système des paliers entraînera une baisse de la part du distributeur (jusqu'à 30 %). Les contrats peuvent également tenir compte de la durée d'exploitation d'un film qui, les deux ou trois premières semaines, verra la part du distributeur monter au-delà de 50 % puis descendre en dessous de la moitié jusqu'à 35 ou même 30 %.

La part du distributeur sera elle-même partagée avec les producteurs, et, là aussi, il y a une grande variété de contrats possibles, dont le principe repose bien sûr sur le succès potentiel du film, que le distributeur ne connaît pas (ou ne connaît que partiellement) au moment de l'achat des droits du film, avant bien entendu la sortie en salles. On n'entrera pas dans le détail de ce genre de contrats, et l'on soulignera seulement un fait important. Si, comme on l'a vu, les maisons de production avancent l'argent nécessaire à la réalisation des films, elles sont obligées d'attendre la « remontée » de l'argent venant des salles : elles peuvent alors préférer recevoir directement une somme forfaitaire de la part du distributeur, un minimum garanti qui les protège également de l'incertitude d'un marché mal connu et qui poussera le distributeur à faire un maximum de travail de promotion. Cela n'exclut pas un partage des recettes venant des salles, mais il faudra alors attendre que ces recettes (ou plus exactement que la part des recettes revenant au distributeur) aient dépassé ce minimum garanti : une fois que le distributeur a été remboursé, le partage commence [9].

Des tickets numérotés ?

Si producteurs et distributeurs sont rémunérés en fonction du nombre d'entrées, comment connaît-on ce nombre d'entrées ? Le moyen est très simple : chaque spectateur achète un billet sur lequel est imprimé un numéro unique ainsi d'ailleurs que le prix de la place (qui peut varier en fonction de la grille tarifaire propre à chaque cinéma). Tous les billets sont ainsi numérotés de façon croissante, et il est possible de connaître le nombre de places vendues pour une séance du même film (en soustrayant le numéro de départ au numéro d'arrivée), puis pour toutes les séances de ce film. Les chiffres d'entrées comme de recettes sont transmis par l'exploitant au distributeur sous forme de bordereaux hebdomadaires. C'est sur base de ces bordereaux que les distributeurs établissent alors les factures envoyées aux exploitants. Si l'argent « remonte » effectivement vers les distributeurs puis vers les producteurs, c'est, on le voit, avec des délais plus ou moins longs.

Mais comment le distributeur peut-il être assuré que les chiffres transmis sont corrects et qu'il n'y a pas de fraude ? Avant l'ère informatique, les rouleaux de tickets de cinéma régulièrement numérotés étaient réalisés par des imprimeurs agréés qui certifiaient notamment que les rouleaux étaient non seulement conformes mais qu'ils n'étaient pas vendus en double (ce qui aurait permis une double comptabilité). De façon anonyme, les distributeurs pouvaient également faire acheter des places de cinéma pour vérifier que ces places achetées étaient bien ensuite déclarées par l'exploitant.

L'informatique a mis fin à ces longs rubans de tickets, et ce sont à présent les fabricants de logiciels spécialisés qui assurent la numérotation des tickets et la comptabilisation des places vendues sur les bordereaux. Mais ces logiciels de caisse sont protégés par ces fabricants pour éviter une manipulation frauduleuse (de nature informatique) de la part des exploitants qui n'ont accès qu'à une partie réservée du logiciel.

Vente ou cession de droits ?

On n'entrera pas ici dans des considérations juridiques trop fines, et on insistera seulement sur la spécificité de la cession de droits par rapport à une simple vente. Dans le système juridique européen, c'est au départ l'auteur du film qui possède tous les droits d'exploitation, de reproduction ou de diffusion de son film. Bien entendu, l'auteur peut être multiple et comprendre notamment le réalisateur et le ou les scénaristes éventuels [10]. Très généralement, l'auteur cède ses droits d'exploitation au producteur qui finance la réalisation du film (et le contrat est dès lors signé avant même le début de la réalisation). Aux États-Unis, le système des droits d'auteurs est régi par le système dit du copyright, qui comprend certaines spécificités importantes à connaître pour les ayants droit, mais ce sont également les producteurs qui détiennent le plus souvent l'essentiel de ces droits.

Comme on l'a vu, les producteurs vont céder les droits à des distributeurs nationaux ou régionaux qui eux-mêmes vont céder les droits d'exploitation aux salles de cinéma. Ce qu'il est important de souligner ici, c'est que la cession des droits n'est jamais totale (contrairement à la vente où l'acheteur fait ensuite ce qu'il veut du bien qui lui appartient). Par exemple, un centre culturel qui organise une séance exceptionnelle d'un film devra renégocier avec le distributeur s'il souhaite en organiser une ou plusieurs autres. Bien entendu, cette négociation sera généralement aisée puisque le distributeur a avantage à ce que son film soit montré le plus largement possible. Mais il y a bien des limites constantes à une reproduction qui en principe pourrait être infinie. Ainsi encore, un distributeur peut négocier les droits d'exploitation d'un film en salles mais pas nécessairement en DVD, à la télévision ou sur Internet.

Enfin, la cession des droits est très généralement temporaire : les distributeurs de films achètent ainsi les droits d'exploitation en salles pour une durée limitée, habituellement trois, cinq ou dix ans. Cette durée est généralement suffisante pour que le film puisse être projeté dans toutes les salles qui le désirent. Néanmoins, il arrive que certaines salles, certains spectateurs, certains festivals souhaitent projeter un film plus ancien, film classique ou film « culte ». De telles initiatives se heurtent alors souvent à la fin de cession de droits : dans le territoire concerné, il n'y a plus de distributeur du film concerné, ni de copies — celles-ci sont dans leur majorité détruites à la fin de cette période —, ni surtout de possibilité de projection. Il faut en effet renégocier avec les ayants droit (les producteurs le plus souvent) qui peuvent être à l'étranger et difficiles à convaincre. Dans un tel contexte, organiser une projection publique en utilisant une copie quelconque (DVD, Blu-ray, fichier informatique…) constitue une infraction.

Les cinémathèques et les exceptions au droit d'auteur

Beaucoup de spectateurs se demandent pourquoi certains films anciens sont visibles dans les cinémathèques comme la Cinémathèque royale de Belgique à Bruxelles et non pas dans les salles de cinéma qu'ils fréquentent et où ne sont projetés que quelques « classiques ». L'explication réside dans le fait que les cinémathèques jouissent d'une exception au droit des auteurs. La plupart d'entre elles sont nées grâce à des initiatives individuelles de personnes passionnées par le cinéma — le nom de Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, est célèbre — qui ont commencé à conserver des copies de films destinées à la destruction après leur exploitation. L'importance de ce travail de conservation du patrimoine cinématographique a été plus ou moins rapidement reconnu par les autorités qui ont réglementairement accordé aux cinémathèques des exceptions au droit d'auteur en ce qui concerne la reproduction de ces œuvres — actuellement par exemple la Cinémathèque royale de Bruxelles effectue un important travail de numérisation des anciennes copies argentiques — mais aussi leur diffusion dans leur établissement pour autant qu'elle n'ait pas d'objectif commercial et ne nuisent pas à l'exploitation normale. À Bruxelles, ces projections sont organisées au Musée du Cinéma rebaptisé Cinematek en 2009.

Pour un certain nombre de films du patrimoine, la Cinémathèque Royale de Belgique peut également négocier avec les ayants droit une diffusion plus large en direction notamment de salles d'art et essai comme celles des Grignoux. L'on se retrouve alors dans une situation commerciale habituelle même si le travail de la Cinémathèque est reconnu et apprécié. Dans certains cas cependant, des ayants droits peuvent refuser obstinément toute cession parce qu'ils estiment que le prix proposé est insuffisant.

On rappellera à ce propos que toute diffusion publique — même gratuite — d'une œuvre cinématographique (ou plus largement artistique) est soumise au droit des auteurs et suppose l'accord des ayant-droits et souvent une rémunération plus ou moins importante. En Europe, ce droit s'applique généralement pendant 70 ans après la mort de l'auteur ou des auteurs, moment où les œuvres tombent dans le domaine public. Dans le cas du cinéma, cela peut d'ailleurs poser de multiples problèmes quand il s'agit de retrouver les auteurs et co-auteurs d'une œuvre ou leurs héritiers.

Il existe quelques autres exceptions au droit d'auteur comme les projections à vocation pédagogique dans le cadre scolaire, mais les séances scolaires dans une salle de cinéma (comme dans le dispositif Écran large sur tableau noir) restent bien soumises à la réglementation générale et supposent une juste rémunération des ayants droit.

Enfin, on rappellera que le réseau Internet reste soumis au droit d'auteur et que la diffusion d'œuvres artistiques (qui ne sont pas dans le domaine public) est interdite sans l'autorisation des ayants droits.

Pourquoi en France et pas en Belgique (ou ailleurs) ?

La question des droits d'exploitation explique ainsi certaines particularités du marché cinématographique européen qui est beaucoup plus fragmenté que le marché américain. Cette fragmentation est due bien sûr à la diversité des langues et des cultures, d'où découle une distribution cinématographique elle aussi fragmentée entre différents pays ou régions. Dans chaque pays, le producteur d'un film doit trouver un distributeur susceptible d'acheter son film et de le proposer aux salles nationales. Une telle distribution n'a rien d'automatique et doit à chaque fois faire l'objet d'une négociation commerciale. Chaque distributeur peut en outre envisager la diffusion du film à sa manière en tenant compte des spécificités de son marché : il peut décider de la meilleure date de sortie (à son estime), des salles et des villes prioritairement ciblées, éventuellement refaire une affiche, un dossier de presse, sélectionner les photos d'exploitation [11] les plus pertinentes à ses yeux…

Même sur des marchés assez proches comme la France et la Belgique, a fortiori sur des marchés éloignés et très différents, peuvent ainsi apparaître des différences significatives. Certains films peuvent être montrés par exemple en France, mais rester invisibles en Belgique parce qu'aucun distributeur (belge) n'a voulu en acheter les droits : le prix demandé par le producteur ou le vendeur était trop élevé, ou bien les distributeurs belges estiment que le potentiel du film est trop faible ou que les coûts d'exploitation (par exemple le sous-titrage ou le doublage) sont trop élevés.

Si l'on voyage ainsi entre les différents pays européens, on retrouve souvent les mêmes films, notamment américains mais pas uniquement, souvent avec des décalages de plusieurs semaines ou de plusieurs mois dans les sorties, et des particularités nationales parfois importantes : certains films peuvent connaître un grand succès dans leur pays de production mais rester largement méconnus dans le reste de l'Europe. En Allemagne en 2019 par exemple, un film Das perfekte Geheimnis de Bora Dagtekin a fait près de trois millions d'entrées derrière trois films américains (Le Roi Lion, Avengers: Endgame et Joker) : il est intéressant de remarquer que ce film est lui-même une adaptation allemande d'un film italien à succès (en Italie), Perfetti Sconosciuti de Paolo Genovese qui a été également adapté en français par Fred Cavayé sous le titre le Jeu ! Si le cinéma américain semble proposer des films à vocation réellement internationale, les différentes cinématographies européennes ont en général plus de difficultés à passer les frontières et nécessitent souvent des adaptations régionales.

Journal des Grignoux

Mais où achète-t-on les films ?

La chaîne de diffusion des films que l'on a décrite avec ses trois étages — production, distribution, exploitation — est sans doute claire. Néanmoins, cette description est très sommaire et recouvre une grande diversité de situations. Ainsi, les spectateurs connaissent généralement les salles de cinéma, au moins dans leur région, mais ils n'ont qu'une vue très vague de ce que sont les maisons de production ou de distribution dont les logos (ou les jingles) sont très généralement présents avant le générique des films. En fait, comme dans la majorité des secteurs économiques, les différents acteurs sont nombreux, se connaissent essentiellement à travers des relations commerciales plus ou moins régulières, sont en concurrence les uns avec les autres et connaissent un renouvellement plus ou moins important. Beaucoup de firmes de production ou de distribution peuvent ainsi apparaître, connaître une carrière plus ou moins longue et parfois disparaître, notamment parmi les plus petites d'entre elles.

En France, le système est relativement réglementé et organisé par le CNC, le Centre national du cinéma et de l'image animée, une institution de nature publique qui a de multiples rôles dont celui d'autoriser l'exercice du métier aux entreprises de production ou distribution. Le CNC a ainsi une vue d'ensemble du marché du cinéma en France et collecte notamment un grand nombre de statistiques. Il apporte également des aides multiples et réglementées aux secteurs nationaux de la production, de la distribution et de l'exploitation. Cette organisation permet d'avoir une meilleure vue d'ensemble du secteur, mais les acteurs de ce marché restent avant tout des firmes de nature commerciale.

En Belgique, il y a sans doute quelques tentatives d'organisation ou de fédération des professionnels, mais c'est un marché faiblement réglementé qui reste largement dominé par la concurrence entre des entreprises privées, plus ou moins importantes. Cela explique par exemple que l'on ne dispose pas de façon systématique et publique des chiffres d'entrées ni de recettes des différents films exploités dans le pays.

Comment les professionnels s'orientent-ils alors dans un marché aussi fragmenté ? Comment un film coréen par exemple se retrouve-t-il projeté dans des cinémas en Europe ? Qui décide et comment décide-t-on de montrer un film ? Outre les relations plus ou moins habituelles entre opérateurs des différents niveaux (producteurs, distributeurs et exploitants), il faut ici souligner le rôle des grands festivals de cinéma — Cannes, Venise, Berlin, Toronto, Festival international du film d'animation, Festival du film indépendant de Sundance et bien d'autres —. Les festivals sont souvent orientés vers le public en mettant en évidence — notamment par des palmarès — un certain nombre de films susceptibles d'être ensuite montrés en salles ou ailleurs, mais ils s'adressent également aux professionnels (distributeurs ou exploitants) susceptibles d'acheter les droits de l'un ou l'autre de ces films. Les festivals de cinéma, surtout les plus importants d'entre eux, sont ainsi l'occasion de rencontres entre professionnels et de nouer surtout des relations commerciales.

Le Festival de Cannes

Chaque année (sauf en 2020), le Festival de Cannes occupe un grand nombre de médias — journaux, télévision, Internet… — et bénéficie ainsi d'une large audience sans que beaucoup de spectateurs ne saisissent nécessairement toutes les dimensions de l'événement : la montée des marches du Palais est ainsi un grand moment people, couvert par les photographes du monde entier, qui perpétue la tradition des stars du cinéma mais qui n'est qu'un aspect assez superficiel (qui peut d'ailleurs insupporter de nombreuses personnes) de l'ensemble de la manifestation.

Cette montée des marches participe en réalité à la promotion générale du cinéma à laquelle contribuent toutes les composantes du Festival. Celui-ci propose en effet différentes sélections de films — la compétition officielle, celle d'Un certain regard et des sections dites parallèles : la Quinzaine des réalisateurs, la Semaine de la critique, l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour la Diffusion)… —. Certaines de ces sélections débouchent sur un Palmarès avec des prix plus ou moins prestigieux comme la Palme d'or, le Grand Prix, les prix d'interprétations masculine et féminine du Palmarès officiel, la Caméra d'or attribuée à un premier long métrage, Le Prix Un certain Regard, le Grand Prix de la Semaine de la critique, etc. On remarquera que, si la sélection officielle se termine par une séance de clôture avec un très long Palmarès, la Quinzaine des réalisateurs n'implique aucune compétition, même si des prix sont remis par des partenaires comme la CICAE, la Confédération internationale des cinémas d'art et d'essai. Le simple fait pour un film d'être sélectionné dans une des sections cannoises constitue ainsi une promotion importante, car il sera vu par de nombreux critiques ainsi que par de nombreux professionnels. Bien entendu, ce sont les prix attribués dans les sélections les plus prestigieuses (en particulier la Sélection officielle) qui assurent un maximum de promotion aux lauréats ou lauréates.

Si la promotion du cinéma comme art mais aussi comme industrie est très certainement une des composantes essentielles du Festival de Cannes, ce n'est cependant pas la seule, et il faut immédiatement relever que c'est un formidable lieu d'échanges entre les cinématographies des différentes régions du monde, Europe bien sûr, Amérique du Nord (essentiellement les États-Unis) et dans une moindre mesure du Sud, Asie depuis plusieurs décennies maintenant, Afrique de façon beaucoup plus rare (étant donné la faiblesse de la production dans ce continent). Ce sont des centaines de films qui sont ainsi projetés pendant quinze jours, et dont un grand nombre ne seront pas visibles dans beaucoup de pays où ils ne trouveront pas de distributeurs. Pour les professionnels — producteurs, distributeurs, exploitants, critiques et autres —, c'est donc une occasion unique de voir un grand nombre de films, d'avoir un aperçu d'une part importante de la production mondiale et surtout d'échanger avec d'autres professionnels à propos des films mais également de toutes les questions liées au cinéma et à sa diffusion. C'est donc un lieu d'échanges entre professionnels et de découvertes, même si ces éventuelles découvertes ne sont pas immédiatement suivies d'effets dans les différents pays du monde. Parmi ces découvertes, il faut d'abord compter en premier lieu des cinéastes dont les premiers films (ou du moins les premiers films importants) ont été projetés souvent dans les sections parallèles. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la Promesse des frères Dardenne a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 1996 où le film a été remarqué et bien accueilli. Cette sélection a fait connaître le nom des Dardenne au niveau international alors que leurs films précédents, sans doute de moins grande qualité, n'avaient pas dépassé le cadre de leur pays, la Belgique. La Promesse sortira ainsi dans au moins dix-sept pays 12 européens mais aussi américains. Trois ans plus tard, Rosetta est sélectionné cette fois dans la Sélection officielle et remporte la Palme d'or. Et l'on connaît sans aucun doute le reste de la carrière des frères Dardenne et leurs multiples succès cannois avec entre autres Le Fils (2002, prix d'interprétation masculine pour Olivier Gourmet), L'Enfant (2005, Palme d'or), Le Silence de Lorna (2008, prix du scénario), Le Gamin au vélo (2011, grand prix), Le Jeune Ahmed (2019, prix de la mise en scène). Ce ne sont pas tellement les récompenses qu'il faut souligner ici (et qui relèvent pour l'essentiel de la promotion) mais l'échange que permet le Festival de Cannes entre des partenaires de différents pays parfois fort éloignés.

Un troisième aspect important du Festival, largement méconnu du grand public, est constitué par ce qui s'appelle le Marché du Film. De façon très concrète, il s'agit d'un vaste espace situé sous le Palais des Festivals où des vendeurs, essentiellement des maisons de production mais également des agences chargées de la promotion internationale de leur cinématographie nationale 13, louent des stands (il y en avait près de 400 en 2019) où ils exposent leurs films sous forme d'affiches, de photos, de catalogues ou de tout autre matériel publicitaire. Cet espace réservé aux professionnels (l'accès est payant) dispose également de petites salles de projection où les vendeurs organisent des visions réservées aux professionnels (les films y sont très généralement sous-titrés en anglais, langue internationale aujourd'hui). Comme son nom l'indique clairement, il s'agit bien d'un marché qui met en relation des vendeurs internationaux (on parle de plus de 5 000 firmes représentées) et des acheteurs potentiels qui négocient l'achat de films et leur distribution ultérieure. Beaucoup de films présentés au Marché (sinon la majorité) ne sont d'ailleurs pas repris dans les différentes sélections cannoises. Tous les vendeurs ne sont pas non plus présents au Marché et négocient avec leurs acheteurs en d'autres lieux à Cannes. Et beaucoup de négociations commencées à Cannes se terminent dans les semaines ou dans les mois qui suivent, que soit par courrier, par téléphone ou par visioconférence. Le détail de toutes ces relations commerciales importe assez peu, mais il faut souligner le rôle essentiel de marché cinématographique joué par Cannes. C'est là que se joue la carrière internationale d'un grand nombre de films.

Cannes Palais des Festivals

Différentes formes de concentration

Si le marché du cinéma est, comme on l'a dit, fragmenté et diversifié, avec une multitude d'intervenants aux différents niveaux, la concurrence commerciale induit, comme sur d'autres marchés, des phénomènes de concentration dont les majors, les grandes compagnies de production hollywoodiennes, sont l'illustration bien connue. La production de films américains a ainsi été dominée entre les années 1920 et 1970 par huit grandes firmes (RKO Pictures, 20th Century Fox Film Corporation, Warner Bros. Pictures, Paramount Pictures, Metro-Goldwyn-Mayer ou MGM, United Artists, Columbia Pictures, Universal Pictures) dont plusieurs existent encore aujourd'hui même si elles ont souvent été fusionnées avec d'autres. Certaines néanmoins ont connu des faillites spectaculaires ou des restructurations profondes : on a gardé par exemple en mémoire l'échec commercial de La Porte du paradis (Heaven's Gate) de Michael Cimino en 1980, dont le budget a dépassé les prévisions pour atteindre le record de 44 millions de dollars et a entraîné la faillite du studio United Artists, racheté ensuite par MGM. Actuellement cinq firmes dominent la production américaine : Walt Disney Studios, Warner Bros. Entertainment, Universal Studios, Sony Pictures Entertainment et Paramount Motion Pictures Group. En France aussi, on connaît des maisons de production importantes et souvent prestigieuses comme la Gaumont (fondée en 1895 !), Pathé (fondée l'année suivante, en 1896, aujourd'hui recentrée sur l'exploitation de salles), MK2 (fondée par Marin Karmitz en 1969), les Films du Losange (fondée par Barbet Schroeder et Éric Rohmer en 1962, qui contribua notamment à l'essor de la Nouvelle Vague), Europacorp (fondée par Luc Besson en 1982, rachetée par un groupe américain, Vine Alternative Investments, en 2020)…

Ces quelques noms plus ou moins connus ne doivent cependant pas masquer la grande diversité des maisons de production : ainsi, on compte en Belgique, un pays de dimensions modestes, plus de trois cents maisons de production [14], même si la plupart sont tout à fait artisanales, ne produisent qu'un ou deux films par an (parfois moins) et sont souvent nées à l'initiative de cinéastes souhaitant acquérir leur indépendance à ce niveau [15]. Cela s'explique par le fait que l'investissement préalable pour la réalisation d'un film reste raisonnable surtout si l'on tient compte des possibilités de crédit et des multiples aides publiques à la production (sur lesquelles on reviendra), même si les montants peuvent paraître importants aux yeux d'un spectateur profane : selon une étude du CNC, le coût moyen de production d'un film s'élevait en 2017 à 4,61 millions d'euros et le coût médian à 3,18 millions d'euros. On remarquera par ailleurs que si le coût moyen d'une fiction était cette année-là de 5,20 millions, le même coût moyen d'un documentaire était seulement de 650 000 euros.

On retrouve les mêmes phénomènes de concentration au niveau de la distribution, dont le marché est dominé par de grandes firmes. Ainsi, en France en 2018, sept firmes emportent chacune plus de 5 % des parts de marché, à savoir The Walt Disney Company, Universal Pictures International, Warner Bros. Entertainment, Twentieth Century Fox, Pathe? Films, Sony Pictures Home Entertainment et Studio Canal, représentant à elles seules 60,9 % des encaissements. Les 30 distributeurs les plus importants récoltaient 93,5 % des recettes alors que 114 autres sociétés se contentaient des 6,5 % restants [16]. On ajoutera à ce propos que les six sociétés que l'on peut désigner comme des majors américaines (The Walt Disney Company, Universal Pictures International, Warner Bros. Entertainment, Twentieth Century Fox, Pathe? Films, Sony Pictures Home Entertainment et Paramount Pictures) encaissent un peu plus de 50 % des revenus de la distribution.

Enfin, le marché de l'exploitation cinématographique — les cinémas donc — est également dominé par de grands groupes : en France encore en 2018, trois firmes (CGR ou Circuit Georges-Raymond, les Cinémas Gaumont Pathé et UGC) exploitaient près de 9 % des établissements représentant plus de 31 % des écrans et près de 33 % des fauteuils. Ces établissements (complexes ou multiplexes) étaient donc au nombre de 181 sur un parc total de 2 040 cinémas : en dehors des grands groupes déjà cités (auxquels il faut ajouter des sociétés moins importantes comme Kinepolis, Megarama, Cinéalpes ou MK2), les autres établissements possèdent tout de même plus de 58 % des écrans et plus de 56 % des fauteuils qui leur permettent de récolter plus de 42 % des entrées mais seulement 37 % des recettes (parce qu'ils pratiquent des prix moins élevés). La concentration est donc moindre au niveau de l'exploitation que de la distribution si l'on observe les parts de marché, même si Gaumont Pathé recueille près de 26 % des recettes et CGR plus de 12 %.

La situation est un peu différente en Belgique où l'exploitation cinématographique est dominée par un grand groupe, Kinepolis, qui dispose de 40 % des sièges et qui réalise près de 50 % du chiffre d'affaires de l'ensemble du secteur (2014), à tel point d'ailleurs qu'une plainte a été déposée en 2008 pour abus de position dominante [17]. Au niveau de l'exploitation, les dix premières firmes réalisent ainsi environ 75 % du chiffre d'affaires global, mais, au niveau de la distribution, les dix firmes les plus importantes représentent entre 45 (en 2008) et 75 % (en 2012) du chiffre d'affaires global [18].

Tous les phénomènes évoqués jusqu'à présent relèvent de qu'on appelle la concentration horizontale à chaque niveau distinct de la production, de la distribution ou de l'exploitation. Mais l'on aura remarqué sans doute que certains noms ou des noms similaires se retrouvent à deux ou parfois trois de ces niveaux. L'on parlera dans ce cas de concentration verticale. C'est le cas en particulier des majors américaines qui étaient au départ des maisons de production mais qui ont rapidement développé des filiales dans la distribution aux États-Unis mais aussi dans la plupart des pays européens ainsi que dans d'autres régions du monde. En Amérique, les majors ont également dominé pendant des décennies le secteur de l'exploitation grâce aux nombreuses salles qu'elles possédaient dans tout le pays. Avant la Seconde Guerre mondiale, les Big Five (MGM, Warner Bros, Twentieth Century Fox, Paramount et RKO) exercent un oligopole de fait sur le marché de l'exploitation où ces firmes favorisent les films qu'elles produisent en excluant indépendants, producteurs ou distributeurs. En 1938 (sous la présidence Roosevelt au moment du New Deal), le ministère de la Justice chargé de la lutte contre les monopoles intente une première action visant les pratiques anti-concurrentielles des huit majors. Mais ce n'est qu'en 1948 qu'une décision de la Cour Suprême imposera une séparation entre d'une part la production et la distribution cinématographiques et d'autre part le secteur de l'exploitation[19].

Le même phénomène a été observé en France où les deux grandes firmes les plus anciennes, Pathé et Gaumont, se sont développées aussi bien au niveau de la production et de la distribution que de l'exploitation [20], avec cependant de nombreuses transformations, fusions et acquisitions : les deux Guerres mondiales et surtout la concurrence américaine empêcheront la formation en France (mais également dans les autres pays européens) d'un oligopole similaire à celui des majors aux États-Unis, même si la position dominante de ces deux firmes (auxquelles s'ajoute UGC apparu en 1971) sur le marché de l'exploitation cinématographique en France a été contestée à plusieurs reprises. On remarquera que la tentation de la concentration verticale se retrouve également dans des entreprises de beaucoup plus petite taille qui essaient de prendre pied à tous les niveaux de la chaîne : production, distribution et exploitation. C'est le cas par exemple de la société MK2 de Marin Karmitz qui s'est d'abord lancé dans la production de courts métrages (en 1969) puis qui a décidé d'ouvrir sa première salle à Paris en 1974 ; très rapidement, il va développer un réseau de salles à Paris notamment dans des quartiers où l'offre cinématographique et culturelle est plus faible. À partir des années 1980, la société se diversifie et se lance dans la production et la distribution de films. MK2 est désormais une firme importante en France dans le monde du cinéma notamment par la qualité des films produits ou distribués : dans son catalogue de films produits ou coproduits, on trouve des noms aussi prestigieux qu'Abbas Kiarostami, Claude Chabrol, Louis Malle, Ken Loach, Olivier Assayas, les frères Taviani, Gus Van Sant, Alain Resnais, Cédric Klapisch ou encore Abdellatif Kechiche. Cela reste néanmoins une entreprise de taille moyenne : ainsi, au niveau de l'exploitation, MK2 exploite 9 complexes de cinémas dans la région parisienne [21] avec 70 écrans, mais aucun en province. Par comparaison, Pathé cinémas exploite 69 cinémas dans 54 localités différentes en France avec 773 écrans. Au niveau international, cette firme multinationale possède en outre différents complexes dans 19 villes aux Pays-Bas, 5 en Belgique [22], ce qui fait un total de 111 cinémas pour 1 091 écrans (France et étranger). Le principal concurrent français de Pathé est UGC qui annonce exploiter 48 cinémas (avec un total de 488 salles) en France et 7 cinémas (avec 74 salles) en Belgique. UGC a également développé des activités dans la production et la distribution de films

.

Ces intégrations verticales ne signifient pas qu'elles soient exclusives : si, pour une telle firme intégrée [23], il est évidemment plus avantageux de passer dans ses salles des films qu'elle a produits et qu'elle distribue, elle peut distribuer des films qu'elle n'a pas produits ou co-produits, et surtout elle peut présenter dans ses salles (souvent nombreuses…) des films distribués et produits par d'autres. Le paysage de la production, de la distribution et de l'exploitation cinématographique est donc très complexe et diversifié et ne se réduit pas à quelques grands canaux de diffusion, même si la présence massive des blockbusters [24] américains peut par exemple donner une telle impression : la diffusion des films passe par un écheveau de circuits multiples qui se croisent parfois, évoluent rapidement et disparaissent rapidement. Cela s'explique facilement par le fait que le succès des films n'est pas garanti et qu'il est plus intéressant de distribuer ou d'exploiter en salle un film qui attire le public qu'un film qui ne marche pas même si on a investi dans sa production. Pour mieux comprendre cela, il faut cependant considérer l'économie singulière qui est celle des films mais aussi d'un grand nombre des biens culturels comme les livres ou les jeux vidéos.

Journal des Grignoux

L'économie des biens singuliers

Comme on le sait certainement, la production d'un film implique un investissement de départ important, des frais fixes qui sont constitués par des frais de personnel (acteurs mais également réalisateur et techniciens) et par de la location de matériels (caméras, micros, multiples éclairages, studios ou lieux de tournage…) ainsi que par des frais accessoires (comme l'hébergement ou le catering, c'est-à-dire les différents repas servis au personnel). À titre indicatif, les frais de tournage d'un film français (décors, costumes, transports…) s'élèvent à environ 30 % du budget, les moyens techniques représentent un peu plus de 10 %, et les 60 % restants sont attribués aux rémunérations (personnel mais aussi droits d'auteurs par exemple des scénaristes) [25].

On a vu la logique de la « remontée » de l'argent dans le système classique de la diffusion cinématographique. Ce sont les entrées dans les salles (avec éventuellement tout le système des minimums garantis) qui vont permettre au producteur de se rembourser ou de rembourser tous ceux qui ont investi dans la production. Mais il faut que le nombre d'entrées soit suffisant pour que cette remontée d'argent paie tous les frais de production, ce qui n'est évidemment pas assuré. Et plus ces frais de production sont élevés, plus le nombre d'entrées effectivement réalisées doit être important pour que la production ne soit pas déficitaire. Mais une fois ces frais remboursés, toutes les entrées supplémentaires (ou du moins le pourcentage revenant au producteur sur ces entrées) constituent un pur bénéfice pour le producteur (et les autres ayants droit). On voit immédiatement la différence avec des biens ordinaires où la vente d'une nouvelle auto implique nécessairement des frais de production constants (même s'ils sont souvent décroissants à partir d'un certain volume de production).

Un film à petit budget avec un grand succès rapporte bien sûr un maximum d'argent tandis qu'une très grosse production qui rassemble un petit nombre ou même un nombre moyen de spectateurs devient un gouffre financier. On pourrait croire que les grosses productions américaines disposant d'importants moyens de promotion ne peuvent essuyer d'échec que de façon exceptionnelle, mais ce n'est pas le cas, et, chaque année, certains de ces films ne rencontrent qu'un succès mitigé et essuient des pertes plus ou moins importantes. Outre La Porte du paradis de Michael Cimino (1980) déjà cité, on relève par exemple La Chute de l'empire romain d'Antony Mann (1964), Coup de cœur de Francis Ford Coppola (1982), Les Aventures du baron de Münchhausen de Terry Gilliam (1988), Le 13e Guerrier de John McTiernan (1999), Windtalkers : les messagers du vent de John Woo (2002), Speedracer des Wachowski (2008) ou encore Milo sur Mars, un long métrage d'animation de Simon Wells (produit par Disney en 2011), pour n'évoquer que des cinéastes connus ayant par ailleurs engrangé des succès. À l'inverse, des films à petit budget ou à moyen budget ont pu connaître un succès inattendu, grâce essentiellement à un bouche-à-oreille favorable : le cas le plus emblématique est sans doute Easy Rider de Dennis Hopper (1969) auquel on peut notamment ajouter Rocky de John G. Avildsen avec Sylvester Stallone (1976), Bagdad Café de Percy Adlon (1987), La Vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Chatiliez (1988), Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh (1989), couronné cependant d'une palme d'or à Cannes, C'est arrivé près de chez vous de Benoît Poelvoorde, Rémy Belvaux et André Bonzel (1992), Le Projet Blair Witch d'Eduardo Sánchez et Daniel Myrick (1999), Être et avoir de Nicolas Philibert (2002), Super Size Me de Morgan Spurlock (2004) (ces deux derniers films étant des documentaires au succès exceptionnel dans un genre généralement très peu vu), etc.

Il y a donc une part d'incertitude irréductible dans le succès (ou l'échec) des films qui défie souvent les pronostics, même si les écarts sont généralement moins importants que ceux évoqués à l'instant : il est très difficile pour un professionnel (producteur, distributeur, exploitant) de prédire si un film au succès que l'on prévoit « moyen » va réaliser effectivement 100, 200, 300 ou 400 mille entrées en France. Les prédictions au niveau international à un moment où le film est souvent rentabilisé et où les entrées constituent alors un bénéfice pur sont encore beaucoup plus difficiles à faire, tant les publics nationaux ou même régionaux sont diversifiés. L'on comprend dès lors que les négociations entre les différents niveaux du marché cinématographique — en particulier entre producteurs (ou vendeurs) et distributeurs — soient difficiles (puisque le distributeur s'engage sur un film dont il ne peut prévoir le succès) et donnent lieu à des contrats complexes.

Comment les professionnels se prémunissent-ils alors du risque et comment maintiennent-ils une activité relativement stable ? Certaines de ces stratégies sont bien connues. Le public, quel qu'il soit, est attiré par ce qui lui est familier, et, dans cette logique, le succès attire le succès : comme il n'est pas possible de répéter une création cinématographique (ou autre) telle quelle, on en reproduit ou reprend certains éléments qui paraissent expliquer le succès antérieur. Il peut s'agir d'acteurs (les stars), de personnages (James Bond, Dracula, Rambo, Batman, Spiderman, Hulk…), d'un scénario dont on invente des suites en série plus ou moins longues (la saga Stars Wars, les différents épisodes de Rocky, etc.) ou d'un scénario ancien qu'on remet au goût du jour (Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, qui a connu au moins cinq versions cinématographiques dont deux en dessin animé, ou encore les contes traditionnels repris par Walt Disney et sa compagnie depuis Blanche-Neige jusqu'à Aladin). On pourrait croire que le cinéma d'auteur échappe à ce genre de stratégies et que les professionnels privilégient l'originalité et la nouveauté. Mais ce n'est pas tout à fait exact : quand un cinéaste se fait un nom grâce à un film dont le succès est plus ou moins affirmé et dont la qualité notamment est reconnue par la critique, il est clair qu'il dispose alors d'un crédit aussi bien symbolique que financier pour réaliser le film suivant. Et sa réputation sera ensuite liée au succès plus ou moins important des films suivants. Ainsi, Leos Carax s'est fait connaître en 1984 avec Boy Meets Girl qui a été suivi deux ans plus tard par Mauvais Sang au succès critique et public plus large. Cela lui permettra de se lancer dans une production beaucoup plus importante, Les Amants du Pont-Neuf qui malheureusement connaîtra de multiples déboires, notamment des dépassements de coûts très importants liés à des interruptions de tournage et qui sera finalement un échec commercial. Cela mettra un coup d'arrêt à sa carrière, et il ne pourra réaliser Pola X que plusieurs années plus tard (le film sortira en 1999). Cet exemple montre simplement que producteurs et distributeurs ainsi que certains exploitants (notamment ceux des salles dites d'art et essai) s'appuient sur la réputation d'un auteur même en devenir pour évaluer le potentiel public de ses films futurs et pour évaluer le crédit (notamment financier) qu'ils peuvent éventuellement lui accorder.

Les studios américains de production ont largement opté pour une stratégie complémentaire à la précédente qui consiste à engager les réalisateurs et les techniciens jugés les meilleurs. Ce critère qualitatif peut sembler bien flou. Mais dans la perspective de ces studios, le cinéma est plutôt considéré comme une forme d'artisanat résultant de la collaboration entre des techniciens de haut niveau, les plus doués dans leur domaine, que comme un art qui serait l'expression d'un artiste individuel. C'est de la combinaison des talents multiples 26 que devrait sortir la réussite d'un film plus que du génie d'une seule personne. Cette vision des choses est apparue clairement avec l'engagement par Hollywood de cinéastes allemands réputés dès les années 1920 (Ernst Lubitsch, William Wyler, Wilhelm Murnau, Michael Curtiz d'origine hongroise, Fritz Lang, Otto Preminger, Billy Wilder, Douglas Sirk entre autres). Mais si les producteurs américains reconnaissaient le talent de ces réalisateurs, ils étaient loin de leur laisser toute liberté : scénario, techniciens, acteurs dépendaient très largement des producteurs. Et surtout, le talent n'était reconnu que lorsqu'il connaissait le succès auprès du public. Cette stratégie avait cependant un prix, à savoir les rémunérations élevées des réalisateurs mais aussi des acteurs et actrices à succès ainsi que des techniciens de haut niveau. La concurrence entre studios a évidemment contribué largement à cette inflation des rémunérations qui existe toujours aujourd'hui. Certains acteurs, certains cinéastes, certains scénaristes, certains techniciens sont considérés comme des gages de succès et se voient offrir des sommes considérables pour leur participation à une réalisation. Les moyens techniques déployés par la production sont également devenus de plus en plus importants pour garantir la qualité du produit final. Le cinéma hollywoodien a ainsi été à la pointe de l'innovation technologique (le parlant, la couleur, le CinémaScope , les pellicules 70 mm à très haute définition, le son stéréo, les effets spéciaux, la numérisation…) censée améliorer la qualité des réalisations (même si certaines de ces innovations ont été finalement des échecs comme les multiples dispositifs en 3D).

Cette double stratégie de recours à des procédés éprouvés et à des talents reconnus n'est pas propre au cinéma américain et est pratiquée partout dans le monde, même si elle a permis à Hollywood de s'imposer aussi bien au niveau national qu'international par un effet de boule de neige facilement compréhensible (ce que n'a réussi aucune autre cinématographie). Les succès répétés ont permis des investissements croissants aussi bien au niveau de la production que de la promotion et d'accumuler les talents et les savoir-faire. Il reste néanmoins que les procédés s'épuisent, que les séries finissent par lasser, que les acteurs ou les cinéastes réputés finissent par perdre leur public plus ou moins fidèle. C'est là qu'interviennent ceux qu'on peut qualifier d'outsiders.

Les outsiders

La grande incertitude concernant le succès des films explique que, dans cette industrie, apparaissent un grand nombre de nouveaux agents (au sens large) aux différents niveaux du circuit économique, malgré les différents phénomènes de concentration horizontale et verticale qu'on a évoqués. Dans tous les marchés de ces biens singuliers qu'évoque Lucien Karpik, là où, dit-il, « la concurrence par les qualités l'emporte sur la concurrence par les prix » [27], l'on voit que l'innovation est privilégiée par de nouveaux « entrants », souvent de petite taille, disposés à prendre des risques plus importants que les firmes de grande taille qui préfèrent s'en remettre aux « recettes éprouvées » et se fier aux « réputations acquises » [28].

C'est le cas pour les auteurs — scénaristes, cinéastes, acteurs… — mais aussi pour des producteurs prêts à prendre des risques et pressentant « la bonne affaire », de distributeurs ou même d'exploitants devinant un potentiel inédit dans un film qu'on leur propose ou qu'ils ont découvert par leurs propres moyens. Ces « découvreurs » ne restent cependant pas seuls en lice, et la concurrence des firmes plus puissantes leur fait souvent perdre leurs découvertes ou les oblige du moins à en partager les bénéfices à plus ou moins long terme. Mais sur l'ensemble du marché et à ses différents niveaux, on voit ainsi apparaître des agents à l'affût du « bon coup », de la « bonne affaire » ou du succès inattendu. Sur le marché des films, il importe souvent d'être le premier, d'avoir le nez fin ou la bonne intuition, même si les « bonnes surprises » sont rares et ne se répètent pas nécessairement.

Certains de ces outsiders peuvent néanmoins développer des marchés secondaires plus ou moins protégés, des « créneaux » où ils travaillent de façon relativement régulière sans grande concurrence. C'est ainsi que sont apparues aux États-Unis les « séries B », ces films à petit budget produits par des studios secondaires et qui ont privilégié des genres spécialisés, peu prestigieux comme la science-fiction, l'horreur, le fantastique, le thriller ou le western. L'histoire des séries B 29 est certainement plus complexe que ce très bref résumé, puisqu'un grand nombre de ces films ont été produits par les grands studios hollywoodiens entre les années 1930 et 1960 et qu'il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre les films dits de série A et de série B, en dehors des budgets beaucoup plus importants des premiers. Mais l'important ici est de souligner comment la spécialisation dans certains créneaux permet à des outsiders de se maintenir mais également de diversifier le marché.

Toutes proportions gardées, l'on peut également analyser la différenciation du cinéma européen et en particulier français par rapport au cinéma américain en termes de constitution d'un créneau économique relativement protégé. Cette stratégie est habituellement présentée sous l'angle de la défense d'un cinéma de qualité ou d'auteur (mis en avant par la Nouvelle Vague 30), soulignant ainsi la dimension artistique de cette cinématographie par rapport aux ambitions qui seraient « purement commerciales » du cinéma hollywoodien, mais d'un point de vue économique, on voit bien comment le cinéma français (avec l'aide de l'État sur laquelle on reviendra) a pu maintenir ses propres circuits au niveau de la production, de la distribution et même de l'exploitation (avec notamment tout le circuit des salles dites d'art et essai) en se « spécialisant » dans le cinéma d'auteur (au sens large).

Les nouveaux acteurs économiques

Le marché du cinéma, tel qu'on l'a décrit jusqu'à présent, est celui qui s'est constitué très tôt après l'invention du cinématographe et qui s'est basé sur le circuit entre producteurs, distributeurs et exploitants de salles. La rétribution financière déterminée par le nombre d'entrées payantes en est un mécanisme essentiel, même s'il n'a jamais été exclusif 31. L'ensemble de ce marché est encore en place, même s'il faut tenir compte de l'apparition de nouveaux intervenants et en premier lieu de la télévision.

Celle-ci se répand largement dans les foyers américains après la Seconde Guerre mondiale puis en Europe à partir des années 1960. Elle sera d'abord perçue comme un concurrent du cinéma, en particulier du circuit de salles, puis comme un partenaire sans que ne soit mis fin à la concurrence globale (notamment parce que les télévisions proposent une offre de loisirs plus large que le cinéma : téléfilms, séries, émissions de divertissement, etc.). Le cinéma y répondra par différentes innovations techniques comme le grand écran (CinémaScope et autres procédés), la généralisation des films en couleur (avant que la télévision ne devienne elle aussi en couleur) ou avec un moindre succès l'utilisation de pellicules cinéma de très haute définition (le 70 mm) ou différents essais de projection en trois dimensions (3D). Les salles confrontées à une baisse de fréquentation réagiront en Europe dans les années 1970 par la création de complexes cinématographiques remplaçant les salles uniques à très grande capacité (qui ont souvent été découpées en salles de plus petites dimensions entre 100 et 500 sièges) puis par l'apparition des multiplexes en périphérie des grandes villes (ce qui permet d'amoindrir les coûts d'achat des terrains et de construction de ces cinémas comprenant entre dix et vingt salles sinon plus). Cette multiplication des salles constituait une diversification de l'offre permettant de mieux réagir aux attentes du public.

Mais ce qui nous retiendra ici, c'est plutôt le fait que la télévision, qui produit ses émissions propres, est également un grand diffuseur de films. Au moment de l'apparition de la télévision, les producteurs et distributeurs ont voulu privilégier l'exploitation en salles de leurs films, car c'était leur principale source de revenus. C'était également une jauge relativement objective du succès des différents films. La télévision, à un moment où n'existaient que quelques chaînes nationales, a alors été considérée comme la dernière étape de commercialisation du cinéma : les ayants droit (distributeurs ou producteurs) n'ont voulu « vendre » (ou plus exactement louer) leurs films aux télévisions que bien après leur exploitation en salles (qui à l'époque pouvait durer plus d'une année grâce notamment aux salles dites de seconde exploitation). Sans un tel délai (qui dans les années 1950 et 60 était d'environ cinq ans), les exploitants auraient refusé de projeter dans leurs salles les films concernés et plus généralement tous les autres films du distributeur qui aurait contrevenu à cette règle. À cette époque, le prix payé par les télévisions pour la diffusion d'un film ne pouvait pas compenser les pertes de l'exploitation en salles. En outre, cette dernière permettait aux télévisions de juger du succès d'un film et de son audience possible sur le petit écran : le box-office (les entrées en salles) constituait ainsi un argument de négociation entre distributeurs et télévisions pour déterminer le forfait à payer.

C'est ainsi que s'est instituée ce qu'on appelle en France et en Europe la chronologie des médias, qui organise la diffusion des films dans les salles puis sur les différentes chaînes de télévision. Cette chronologie des médias a été généralement négociée au terme d'accords entre distributeurs et exploitants mais a fait l'objet en 1983 d'une réglementation spécifique en France, un pays très attaché à la défense de son cinéma national. La situation est globalement restée la même avec la multiplication des chaînes privées et publiques mais également des chaînes payantes (comme Canal +) en France dans les années 1970 en Europe, puis l'apparition de nouveaux modes de diffusion possible du cinéma : cassettes vidéos (VHS) dans les années 1980, puis DVD et Blu-ray à partir de la fin des années 1990, et enfin les différentes plateformes numériques (Vidéo à la Demande ou VàD, VoD en anglais, où le paiement se fait par film loué ou acheté, et Service de Vidéo à la Demande ou SVàD, SVoD en anglais, par abonnement comme Netflix ou Amazon Prime Video, dont l'abonnement ouvre au client un catalogue de films au choix). Néanmoins, les « fenêtres de sortie », c'est-à-dire les délais de diffusion d'un film à travers ces différents médias, se sont fortement raccourcies au cours du temps : les producteurs et distributeurs ont en effet avantage à ce que leurs films passent le plus rapidement possible par ces différents canaux de diffusion (que le paiement soit un forfait ou qu'il se fasse à la location comme pour la VàD). En outre, cette organisation réglementée en France mais fondée sur des accords plus ou moins établis dans les autres pays est soumise à des pressions régulières des multiples intervenants souhaitant proposer plus tôt les films sur leur canal ou plateforme.

Deux remarques doivent être faites à propos de ces nouveaux intervenants dans la chaîne de diffusion du cinéma (dont certains comme les loueurs de cassettes vidéos et de DVD ont déjà disparu). Ces nouveaux acteurs ont un poids économique important, et il n'est plus possible pour la production comme pour la distribution de négliger les recettes qu'ils peuvent rapporter. Néanmoins, pour un grand nombre de films, les revenus générés par les salles de cinéma restent suffisamment importants pour que la chronologie des médias qui leur donne la priorité de diffusion soit globalement respectée.

Par ailleurs, il faut remarquer que, dans ces nouvelles configurations, la rentabilité des films est moins étroitement liée à leur succès comme c'était le cas avec le système classique de pourcentage des recettes d'exploitation « remontant » aux distributeurs et aux producteurs. Différentes formes de forfait tendent à se substituer à la rétribution au pourcentage, et beaucoup de films sont achetés par ces nouveaux acteurs avant leur diffusion, parfois même par lots entiers, l'exploitation en salles n'étant plus qu'un indicateur parmi d'autres de la valeur du film. Ces intervenants en concurrence les uns avec les autres auront d'ailleurs tendance à préacheter les films dès leur production pour s'assurer l'exclusivité de leur diffusion. Les diffuseurs, en particulier les télévisions, deviendront ainsi dès la fin du siècle passé des acteurs essentiels de la production. Ce sera souvent un choix stratégique mais aussi dans certains cas une contrainte imposée par les différents États soucieux de défendre leur production cinématographique (ou plus largement culturelle) nationale. Il faut à présent considérer le rôle des pouvoirs publics en la matière.

Journal des Grignoux

Le rôle des États

Les différents États se sont intéressés dès l'origine au cinéma à la fois parce que c'était un secteur économique en pleine expansion et un outil culturel (au sens large) et médiatique [32] inédit et disposant d'une très large audience [33]. On sait comment les États ont essayé de contrôler cette expansion par la censure notamment (comme l'établissement du code Hays [34]aux États-Unis) mais aussi en transformant le cinéma en instrument de propagande dans les régimes totalitaires mais également démocratiques [35]. Mais c'est le rôle économique des pouvoirs publics qui nous retiendra prioritairement ici

.

On a signalé précédemment comment, aux États-Unis dont le libéralisme en matière économique est bien connu, certaines interventions ont joué un rôle décisif dans le paysage cinématographique en démantelant, au nom d'une législation anti-trust, les oligopoles qui s'étaient formés par concentration verticale aux trois niveaux de la production, de la distribution et de l'exploitation. Mais il n'y a pas aux États-Unis d'aide systématique (sinon celle dont bénéficient l'ensemble des entreprises américaines) en direction de l'industrie du cinéma dont la balance commerciale est, on le sait sans doute, très positive : les films américains se vendent largement dans le monde alors que les films du reste du monde n'ont qu'une petite place sur les écrans du pays [36]. La politique américaine en ce domaine est donc naturellement tournée vers l'étranger et vise à ouvrir plus largement les marchés extérieurs aux films américains [37].

Par comparaison, on a souvent qualifié la politique française en matière de cinéma de « protectionniste ». Le terme n'est pas tout à fait exact si l'on entend par là que la France imposerait des quotas dans la diffusion de films étrangers sur le territoire national [38]. Il s'agit en réalité d'une politique de soutien au cinéma français à travers un dispositif original qui s'est mis en place en 1948 grâce à une « loi d'aide temporaire à l'industrie cinématographique » et qui imposait une taxation sur chaque billet d'entrée en salles : cette taxe a permis d'alimenter un fonds de soutien à la production et à l'exploitation cinématographiques nationales grâce à un organisme spécifique, le CNC, le Centre National de la Cinématographie, institué deux ans auparavant. Tout film exploité en France, quelle que soit sa nationalité, contribue ainsi à soutenir l'industrie cinématographique française à ses différents niveaux (production, distribution, exploitation). Dans les faits, il y aura donc un transfert d'une part des recettes des films américains (ou étrangers) vers le cinéma français. On remarquera que ce système original donne un poids considérable au CNC qui est placé depuis 1959 sous le contrôle du Ministère de la culture mais qui dispose d'un budget propre indépendant de celui de l'État : le produit de la taxe sur les billets d'entrée n'entre pas en effet dans les caisses de l'État mais reste au sein de l'industrie cinématographique via le CNC.

Le CNC accordera deux types d'aides, l'une dite de « soutien automatique » sur base de critères objectifs qui permettent de déterminer le montant de la subvention (par exemple aux salles de cinéma), l'autre dite de « soutien sélectif » qui implique une sélection de nature qualitative pour certains projets ou certaines activités. Une telle sélection, qui a une part nécessairement subjective, est alors opérée par différentes commissions composées de représentants du monde culturel. La plus connue de ces aides sélectives est l'avance sur recettes créée par André Malraux en 1959, dont l'objectif est « d'encourager la réalisation des premiers longs métrages et de soutenir un cinéma indépendant, audacieux au regard des normes du marché et qui ne peut, sans aide publique, trouver son équilibre financier » [39]. Comme son nom l'indique, l'avance sur recettes est une aide à la production de films qui intervient en amont de la réalisation et qui permet d'anticiper la « remontée » ultérieure d'argent en provenance des salles et, dans certains cas, d'y suppléer si cette remontée est insuffisante pour couvrir les frais de production.

Le même objectif qualitatif se retrouvera par ailleurs dans le soutien accordé à certaines salles de cinéma reconnues comme d'« art et essai ». C'est le CNC (à travers l'une de ses commissions) qui déterminera quels sont les films recommandés « art et essai » dont ces salles « exposent une proportion conséquente […] et qui soutiennent ces films souvent difficiles par une politique d'animation adaptée ».

Ce système a incontestablement permis le maintien d'une importante cinématographie en France face à la concurrence du cinéma hollywoodien : les parts de marché du cinéma américain en France sont systématiquement dans une fourchette plus basse (entre 50 et 60 %) que dans d'autres pays européens comme l'Italie, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne (où le cinéma américain représente entre 60 et 90% de parts de marché) [40], même si la « domination » américaine reste évidente en France comme dans les autres pays européens. En outre, l'avance sur recettes a permis la réalisation d'un grand nombre de films et notamment de premiers films : entre 2010 et 2019, on a produit en France entre 200 et 250 films de long métrage par an (entre 250 et 300 si l'on ajoute les coproductions) [41], ce qui place le pays en tête des pays européens devant l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie (mais pas devant la Grande-Bretagne qui travaille largement avec le cinéma américain). Le soutien à l'ensemble de la filière a également favorisé une importante fréquentation des salles de cinéma : « en moyenne, un Allemand va 1,65 fois au cinéma par an, contre 3,5 fois pour un Français » [42]. Enfin, comme l'indique UniFrance, l'organisme chargé de la promotion du cinéma français à l'étranger, depuis 2005, « les films français génèrent plus d'entrées à l'international que dans les salles françaises » [43].

Mais la libéralisation de la télévision (dont les chaînes étaient jusque-là majoritairement des organismes publics) et la multiplication des chaînes privées ont bouleversé ce système. Les télévisions sont en effet de grandes consommatrices de films (et d'autres programmes d'ailleurs), mais elles souhaitent les acheter au plus bas prix dans un marché soumis à la concurrence. En ce domaine, la politique menée par Jack Lang en 1982 sous la présidence de François Mitterrand visera explicitement à défendre le cinéma français en imposant aux chaînes de télévision (accusées « d'abus de position dominante » face au monde du cinéma) de participer au financement de la production (via des coproductions) et de respecter des quotas de diffusion de films français, tout en évitant certaines formes de concurrence entre les télévisions et les salles de cinéma (comme l'interdiction de diffuser des films le samedi soir) 44. C'est à cette époque que s'élabore en outre la première ébauche de chronologie des médias qui vise à préserver le réseau de salles français de la concurrence des télévisions. Le système se complexifiera avec la diversification des chaînes (ainsi avec l'apparition des chaînes payantes comme Canal+ qui deviendra un contributeur essentiel du cinéma français) et la multiplication des formes de diffusion (comme la cassette vidéo puis le DVD et Blu-ray). La chronologie des médias, imposée réglementairement, sera également modifiée en fonction de la contribution plus ou moins importante des différents diffuseurs au financement de la production cinématographique. Aujourd'hui, le développement du réseau Internet et l'apparition de SVàD (Service de vidéo à la demande) comme Netflix ou Amazon Prime représentent une source d'inquiétude pour le cinéma en France dans la mesure où ces plateformes ne sont pas tenues actuellement de participer à son financement et qu'il semble difficile de leur imposer différentes formes de quotas.

L'exemple du cinéma français est sans doute le plus emblématique du soutien apporté par un État à l'ensemble de la filière cinématographique. Mais tous les pays européens (ou autres) ont adopté des mécanismes divers, plus ou moins complexes, pour soutenir plus ou moins directement leur cinématographie. On ne détaillera pas ici ces différentes formes d'aides, et on signalera simplement au niveau européen l'existence d'Eurimages, un Fonds du Conseil de l'Europe créé en 1988 pour le soutien « à la coproduction, la distribution et l'exploitation de longs métrages et de documentaires européens ». Ce fonds intervient au niveau de la coproduction, de la distribution et de l'exploitation en salles. Par ailleurs, soutenu depuis son origine par la Commission européenne (Programme Europe Créative/MEDIA) et par le CNC français, « Europa Cinemas est le premier réseau de salles de cinéma à programmation majoritairement européenne ».

Il faut souligner de manière générale l'importance du soutien apporté à l'industrie du cinéma par les pouvoirs publics au niveau national ou européen puisqu'on estime qu'en 2017, les trois principales sources de financement des films de fiction européens étaient dans l'ordre les aides publiques directes (26 %), les investissements et préachats des radiodiffuseurs (24 %) et les investissements des producteurs (18 %) 45.

La chronologie des médias

Pour rappel, la chronologie des médias désigne un ordre de succession de la diffusion des films de long métrage à travers les différents médias. Cette chronologie des médias peut être fixée réglementairement comme c'est le cas en France ou en Bulgarie ou suite à des accords sectoriels comme en Belgique, au Danemark, en Espagne ou aux États-Unis. La chronologie des médias a été établie suite à l'apparition de la télévision et surtout à la multiplication des chaînes et à leur diversification (chaînes payantes ou non). L'apparition concomitante ou ultérieure de la cassette vidéo, du DVD et du Blu-ray et enfin des plateformes sur le réseau Internet a entraîné des transformations dans cette chronologie.

On décrira ici brièvement la chronologie actuellement (janvier 2020) en vigueur en France dans la mesure où elle est fixée réglementairement, mais il ne faut pas oublier que ce système peut varier considérablement selon les pays et les circonstances (comme la pandémie du coronavirus en Europe qui a permis la diffusion sur différentes plateformes de vidéo à la demande de nombreux films ne pouvant pas être exploités en salles) [46].

L'exploitation en salles commence…

dès l'obtention du visa d'exploitation

La vente et location de supports vidéographiques (DVD, Blu-ray), vidéo à la demande avec paiement à l'acte commence

après 4 mois

première fenêtre payante : télévision payante de cinéma ayant signé un accord avec les organisations du cinéma (Canal+, OCS)

après 8 mois

deuxième fenêtre payante : télévision payante de cinéma,
vidéo à la demande par abonnement : plateformes participant au financement du cinéma français

après 17 mois

première fenêtre gratuite : télévision en clair investissant dans le financement d'œuvres européennes (TF1, France Télévisions, M6...)

après 22 mois

deuxième fenêtre gratuite : télévision en clair n'ayant pas d'engagement d'investissement dans le financement d'œuvres européennes

après 30 mois

vidéo à la demande par abonnement : plateformes ayant signé un accord avec les organisations du cinéma

après 30 mois

vidéo à la demande par abonnement : plateformes ne participant en aucune manière au financement du cinéma français (Netflix, Disney+, Amazon Video)

après 36 mois

mise à disposition en vidéo à la demande gratuite

après 44 mois

Ces délais sont raccourcis (mais fixés précisément) si le film en cause réalise moins de 100.000 entrées après quatre semaines d'exploitation.

En synthèse

On voit comment l'apparition des nouveaux médias (dont certains sont déjà « anciens » comme la télévision) a complexifié et diversifié l'économie « classique » du cinéma. Ces nouveaux acteurs ont également modifié les équilibres au sein de cette économie en donnant un poids important aux télévisions et maintenant à certaines plateformes de diffusion via Internet. Mais tout aussi important, sinon même plus important est le rôle des pouvoirs publics en Europe mais aussi en Asie dans le soutien accordé par différentes voies et différents moyens à leur cinématographie nationale. Aux yeux des États, mais aussi d'une part importante de leurs opinions, le cinéma en effet n'est pas seulement une industrie mais également un art !

Si l'on reprend notre schéma précédent qui montrait le circuit de l'argent dans le modèle classique de l'économie du cinéma, on voit que deux acteurs majeurs sont apparus: d'une part, la télévision, ou plus exactement les télévisions, et quelques décennies plus tard tous les systèmes de reproduction et de diffusion (depuis les cassettes VHS jusqu'aux fichiers numériques visibles via le réseau Internet), et, d'autre part, les pouvoirs publics.

Télévisions et vidéos se situent dans un premier temps au bout de la chaîne, comme les derniers acteurs de la diffusion des films après les salles de cinéma. Mais leur importance économique les transformera rapidement — notamment à cause de mesures réglementaires — en agents de production ou de co-production: pour s'assurer l'exclusivité de certains films, ils participeront de façon plus ou moins importante au financement du cinéma, mais cette fois en amont de la chaîne.

Les États mais également les pouvoirs régionaux ou locaux interviendront également dans l'économie du cinéma (généralement de façon minoritaire) essentiellement au niveau (national ou régional) de la production de films, plus rarement au niveau de la distribution ou de l'exploitation. Seuls quelques pays comme la France ont une politique générale visant à soutenir les trois niveaux de la production, de la distribution et de l'exploitation.

Schéma économie du cinéma
Cliquez sur l'image pour obtenir une version agrandie en PDF

Si l'on reprend notre schéma précédent qui montrait le circuit de l'argent dans le modèle classique de l'économie du cinéma, on voit que deux acteurs majeurs sont apparus : d'une part, la télévision, ou plus exactement les télévisions, et quelques décennies plus tard tous les systèmes de reproduction et de diffusion (depuis les cassettes VHS jusqu'aux fichiers numériques visibles via le réseau Internet), et, d'autre part, les pouvoirs publics.
Télévisions et vidéos se situent dans un premier temps au bout de la chaîne, comme les derniers acteurs de la diffusion des films après les salles de cinéma. Mais leur importance économique les transformera rapidement — notamment à cause de mesures réglementaires — en agents de production ou de co-production : pour s'assurer l'exclusivité de certains films, ils participeront de façon plus ou moins importante au financement du cinéma, mais cette fois en amont de la chaîne.
Les États mais également les pouvoirs régionaux ou locaux interviendront également dans l'économie du cinéma (généralement de façon minoritaire) essentiellement au niveau (national ou régional) de la production de films, plus rarement au niveau de la distribution ou de l'exploitation. Seuls quelques pays comme la France ont une politique générale visant à soutenir les trois niveaux de la production, de la distribution et de l'exploitation.

Bibliographie

  • BENGHOZI Pierre-Jean et DELAGE Christian (sous la direction de), Une histoire économique du cinéma français (1895-1995), Paris, L'Harmattan, 1997.
  • CRETON Laurent (sous la direction de), Cinéma et stratégies : Économie des interdépendances, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2008.
  • CRETON Laurent, Économie du cinéma. Perspectives stratégiques. Paris, Nathan, 2014.
  • DREYFUS Stéphane et SCHWARTZ Arnaud, « Le distributeur, l'acteur méconnu du cinéma », La Croix, 18/01/2013.
  • FOREST Claude, « Penser l'économie du cinéma », Mise au point [En ligne], 1 | 2009, mis en ligne le 12 août 2013, consulté le 24 mars 2020.
  • GRAS Pierre, L'Économie du cinéma. Paris, Cahiers du cinéma, 2005.
  • HUREZ Stéphanie, « Laurent Creton, L'économie du cinéma », Questions de communication [En ligne], 5 | 2004, mis en ligne le 19 juillet 2013, consulté le 24 mars 2020.
  • Institut des comptes nationaux, Étude sur le fonctionnement du secteur de l'exploitation de salles de cinéma en Belgique. Observatoire des Prix. 13 octobre 2016. [En ligne]
  • MARC Nicolas, « Économie du cinéma », conférence à l'Université de tous les savoirs, 10 juillet 2004. [En ligne]
  • Ministère des Affaires étrangères et européennes, Les contrats audiovisuels et cinématographiques, Direction de la communication et de la presse, s.d. [En ligne]
  • PAQUET André, « Les agents de ventes internationales : les nouvelles Majors du cinéma d'auteur ». 24 images, 2010, (146), 38–39. [En ligne]
  • PÉNICAUT Nicole, « Pathé et Gaumont font salles obscures communes », Libération, 15 décembre 2000 .
  • Quaderni, numéro thématique : « Cinéma français et État : un modèle en question », 2004, n° 54. [En ligne]
  • Ziegels M.-D., Les droits d'auteur. École supérieure des arts de la Ville de Liège, 2016-17. [En ligne]

1. Plus exactement Ministre d'État chargé des Affaires culturelles de 1959 à1969. Cet essai écrit en 1939 a subi de multiples remaniements. On consultera à ce propos : François Albera et Jean-Paul Morel, « Esquisse d'une psychologie du cinéma », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 76 | 2015, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 24 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/1895/5020 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.5020

2. L'article en français de Wikipédia (consulté en mars 2020) sur l'économie du cinéma est ainsi un fourre-tout sans grande cohérence. On se reportera à la bibliographie en annexe de cette étude sur quelques analyses disponibles.

3. « Voici l'acteur le mieux payé au monde. Et de très loin. », La Libre, jeudi 23 août 2018 (consulté en mars 2020); « Classement Forbes 2019 : Top 10 Des Acteurs Les Mieux Payés Au Monde », Forbes, 22 août 2019, (consulté en mars 2020). On peut donc parler à ce propos d'information de type journalistique puisqu'elles sont largement décontextualisées. Le lecteur ne peut pas savoir ni comment ni pourquoi ces acteurs et actrices sont aussi largement payées.

4. Il existe par exemple en France une revue comme le Film français (http://www.lefilmfrancais.com)qui donne les chiffres des entrées de cinéma film par film et semaine par semaine, ce qui permet de mesurer la « carrière » d'un film, c'est-à-dire son succès plus ou moins grand, plus ou moins long. Aux États-Unis, Variety et The Hollywood Reporter sont également des revues de type professionnel qui se distinguent nettement de revues critiques comme Les Cahiers du Cinéma ou Première. Celles-ci interviennent lors de la sortie des films (pour en faire la présentation ou la critique) alors que ces revues professionnelles s'intéressent plutôt à ce qui arrive en amont ou « derrière les coulisses » du cinéma.

5. C'est le philosophe Walter Benjamin qui a sans doute le premier analysé ce nouveau mode de production du point de vue artistique, notamment dans son essai L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, rédigé en 1935 mais publié seulement de façon posthume en 1955 dans une version correcte.

6. Dans l'Économie des singularités (Paris, Gallimard, 2007), Lucien Karpik montre l'impact de ce nouveau modèle économique sur la production de biens matériels qui ne sont plus du tout interchangeables (comme des pommes de terre) mais dont le marché repose sur une « image » singulière : on n'achète pas une auto, mais une Porsche et même un modèle précis de Porsche ; on ne boit pas n'importe quel vin mais un cépage, un terroir, un millésime précis ; on ne s'habille pas pour avoir chaud ou se protéger de la pluie mais on arbore une marque prestigieuse de vêtements qui est censée être à la mode. Dans tous ces exemples, la production matérielle s'accompagne de la production « immatérielle » d'une marque, d'une image, d'une singularité qui va faire la valeur (et le prix) du bien vendu. Dans le marché qui s'institue ainsi, les produits invendus ne le sont pas à cause de leur prix trop élevé par rapport à leurs concurrents (selon la loi classique de l'offre et de la demande), mais à cause de leur mauvaise « image » (un prix très élevé peut d'ailleurs être considéré par des consommateurs comme un indice de qualité).

7. Il existe souvent même un niveau intermédiaire entre la production et la distribution, celui des vendeurs internationaux. Un producteur coréen par exemple ne va pas nécessairement prendre en charge lui même les ventes de son film sur un marché européen très fragmenté et diversifié. Il confiera alors cette tâche (contre rémunération) à un vendeur international qui essaiera de contacter un maximum de distributeurs nationaux susceptibles d'acheter le film en cause. Ces vendeurs internationaux peuvent être des agents indépendants mais ils sont parfois intégrés à de grosses maisons de production comme des départements spécifiques ou des filiales plus ou moins dépendantes. En général, les vendeurs internationaux ne sont pas liés à une seule maison et ils peuvent s'adresser à plusieurs maisons de production et avoir ainsi leur propre catalogue de films.

8. La dénomination Art et Essai fait l'objet d'une réglementation en France avec un dispositif de labellisation des films susceptibles d'être reconnus comme tels. Ce n'est pas le cas en Belgique même si des cinémas comme ceux des Grignoux se reconnaissent dans l'appellation française. On reviendra sur cette question dans une analyse ultérieure.

9. Un système similaire de minimum garanti peut exister entre des distributeurs et des salles de cinéma, qui s'engagent ainsi à payer un minimum de recettes (même si les entrées sont insuffisantes).

10. En principe, le réalisateur est considéré comme l'auteur du film alors que le scénariste, les graphistes d'un dessin animé, le compositeur d'une œuvre musicale originale (créée pour le film) sont considérés comme des coauteurs. Les accessoiristes, les décorateurs, le chef opérateur, le costumier et d'autres sont considérés comme des créateurs accessoires dont les droits sont restreints à leur propre création et ne portent pas sur le film lui-même.

11. Ce sont les photos que l'on voit à l'entrée des cinémas et qui sont également données à la presse (imprimée ou en ligne).

12. D'après Unifrance

13. Par exemple Wallonie Bruxelles Images pour la partie francophone de la Belgique ou Flanders Image pour la Communauté flamande.

14. D'après l'annuaire de Cinergie.

15. En France, le nombre de maisons de production doit être estimé. Wikipedia relève 269 maisons (dont certaines n'existent sans doute plus), tandis que l'Union des producteurs de cinéma (UPC) donne le nombre de 240 membres sans doute relativement actifs. On doit rapporter ce chiffre à celui des films de long métrage effectivement réalisés (films de fiction, films d'animation et documentaires), à savoir 240 films en 2019 (301 en tenant compte des co-productions avec l'étranger). Parmi les nombreuses firmes qui pourraient être citées, on relèvera par exemple Nord Ouest Films, CINEFRANCE, Europacorp, Vertigo Production, Les Films du Kiosque, Les Films du Lendemain, Archipel 35, BAC films, Le Pacte, etc. dont on retrouve les noms au générique de plusieurs films soit comme producteur principal soit comme co-producteurs.

16. CNC, Observatoire de la diffusion et de la fréquentation cinématographiques, janvier 2020, p. 45 et s.p.

17. Estimations du SPF économie, Institut des comptes nationaux, Le fonctionnement du secteur de l'exploitation de salles de cinéma en Belgique.

18. Ibid., p. 48. Ces grandes variations au niveau de la distribution s'expliquent par le succès très différent des films distribués par les uns et les autres. L'exploitation cinématographique est en revanche moins sensible à de telles variations puisque le succès différent des films s'équilibre dans les grands complexes et multiplexes.

19. Nolwenn Mingant, « Les majors d'Hollywood : des gardes-barrières centenaires », INA, La Revue des médias, 2013 . Aujourd'hui, aux États-Unis, l'exploitation cinématographique est dominée par de grands groupes indépendants des maisons de production, comme AMC Theatres (plus de 1 000 cinémas pour plus de 11.000 écrans : c'est ce groupe qui a « inventé » le modèle des multiplexes imité notamment par Kinepolis, sa faillite probable a été annoncée en mai 2020 au moment de la fermeture obligée des salles suite à la pandémie du Covid-19), Regal Cinemas (près de 550 cinémas avec plus de 7000 écrans), CineMark (345 cinémas, 4645 écrans). Ces grands groupes possèdent également des circuits de salles dans différents pays étrangers.

20. L'histoire de ces firmes est complexe, et Pathé ne possédait pas de salles de cinéma avant la Première Guerre mondiale mais avait des accords exclusifs avec des salles dites « Pathé » où les films de la firme étaient projetés en exclusivité. Par la suite, Pathé acquerra un parc des salles de plus en plus important. Mais active aussi bien dans l'innovation technologique que dans la production et la distribution de films, la firme connaîtra de multiples soubresauts (dont une faillite) et sera longtemps en concurrence avec Gaumont dont elle se rapprochera à partir des années 1970, ce qui permettra à leur conglomérat (Groupement d'Intérêt Économique) de posséder un parc de 250 salles environ. Cette position dominante — partagée bientôt avec un troisième acteur : UGC — sera mise à mal en 1982 par Jack Lang, ministre de la culture sous le gouvernement socialiste de François Mitterrand, puis fera l'objet d'une enquête du Conseil de la concurrence en 1991. L'alliance entre Pathé et Gaumont sera cependant renouvelée en 2001, disposant alors d'un parc de 700 salles en France mais aussi en Europe. En 2017, une nouvelle réorganisation verra la cession de toutes les salles de Gaumont à Pathé, Gaumont se concentrant sur la distribution de films. [Référence en ligne]

21. MK2 a cédé l'exploitation de l'un de ses complexes à Pathé (Beaugrenelle).

22. Aux cinémas exploités par Pathé il faut ajouter un certain nombre de cinémas possédés par Pathé mais exploités par d'autres (par exemple, Acinapolis à Namur ou Euroscoop en Flandre).

23. Ces firmes que l'on qualifie ici de façon sommaire d'intégrées sont souvent constituées d'entités juridiques différentes avec par exemple des filiales distinctes selon les pays.

24. Pour rappel, un blockbuster désigne généralement un film hollywoodien à très gros budget censé attirer, grâce notamment à une promotion mondiale ainsi que la présence d'acteurs prestigieux, un très large public.

25. Observatoire de la production cinématographique, Les coûts de production des films d'initiative française en 2017, CNC, 2018.

26. Cela apparaît notamment à travers la cérémonie des Oscars qui récompensent des techniciens spécialisés pour les meilleurs décors, la meilleure création de costumes, les meilleurs maquillages et coiffures, la meilleure photographie, le meilleur montage, le meilleur mixage de son, le meilleur montage de son, les meilleurs effets visuels ou encore la meilleure chanson originale. La cérémonie des Césars, apparue en 1976 en France, s'inspirait des Oscars et a repris certaines de ces catégories, mais ce sont les Américains qui les premiers ont mis l'accent sur la valeur propre des techniciens du cinéma, parfois extrêmement spécialisés (meilleurs maquillages et coiffures !). La politique des auteurs promue notamment par les Cahiers du Cinéma est sans doute à l'opposé de la vision américaine des choses, même si, dans les faits, il s'agit sans doute plus de différences d'accentuation que d'oppositions irréductibles.

27. Lucien Karpik, op. cit., p. 37

28. L'industrie du disque (aujourd'hui complètement bouleversée par le réseau Internet) offre un parapllèle intéressant à celle du cinéma : Antoine Hennion et Jean-Pierre Vignolle, L'Économie du disque en France. Paris, Ministère de la Culture - La Documentation Française (« Les industries culturelles »), 1978.

29. L'article en anglais de Wikipedia suffit à comprendre les interactions complexes et changeantes entre les grands studios et les « indépendants ».

30. Le paradoxe des Cahiers du cinéma (dans leur version « jaune ») et de la Nouvelle Vague est d'avoir désigné le « cinéma de qualité française » (qui était celui de la génération précédente) comme un repoussoir, tout en glorifiant un certain nombre d'auteurs américains ou travaillant avec les studios américains comme Howard Hawks, Alfred Hitchcock ou encore Fritz Lang (dont les films hollywoodiens considérés jusque-là comme secondaires sont alors fortement valorisés). Mais les cinéastes de la Nouvelle Vague, conscients de leur propre statut d'auteur, vont développer des formes cinématographiques très éloignées du cinéma américain, créant une nouvelle « tradition » auteuriste qu'on retrouve enseignée notamment à la Femis et qui différencie de manière générale la production française de la production américaine.

31. Aux États-Unis, les séries B étaient souvent louées au forfait car elles faisaient partie d'un double programme avec un film de série A pour lequel le paiement se faisait au nombre d'entrées. À cette époque, le spectateur payait une place de cinéma pour voir deux films successifs, le film de série B (souvent plus court) ouvrant la séance.

32. Le terme médias (avec ses variantes orthographiques), abréviation de l'anglais mass media, se popularise avec la diffusion de la télévision à la fin des années 1950 et surtout dans les années 1960 grâce notamment à l'ouvrage de Marshall McLuhan, Understanding Media: The Extensions of Man (McGraw-Hill, New-York), publié en 1964 (dont la traduction française paraît en 1968).

33. On pourrait comparer le développement du cinéma au 20e siècle à celui des grandes firmes informatiques surnommées GAFA à partir de la dernière décennie du siècle passé. Dans les deux cas, c'est un phénomène qui se développe très rapidement grâce à un succès populaire croissant, qui voit l'émergence de firmes multinationales très puissantes, et qui suscite de grandes inquiétudes pour des raisons économiques mais aussi culturelles, ce qui entraîne en réaction l'intervention souvent dispersée des différents États. On relèvera notamment le parallélisme des inquiétudes provoquées par ces deux phénomènes parmi les élites cultivées, concernant la diffusion d'images violentes et pornographiques, « l'abêtissement » ou « l'aliénation » des masses, la « manipulation » des esprits, le primat donné aux émotions sur la réflexion, etc.

34. Le code Hays ou Motion Picture Production Code, établi en 1930 et qui perdurera jusqu'en 1966, est en fait un code d'auto-censure appliqué par les studios hollywoodiens pour éviter des interdictions multiples et dispersées des films par différentes instances régionales de censure aux États-Unis. Ce code conçu par l'avocat William Hays est resté célèbre par son « puritanisme » interdisant ou contraignant très fortement toute représentation sinon évocation de la sexualité, de l'homosexualité, de la violence, de la toxicomanie, de la prostitution ainsi que de tout blasphème.

35. Les analystes du totalitarisme comme Hannah Arendt ont souligné le rôle central de la propagande utilisée par ces régimes pour susciter l'adhésion des « masses ». Les régimes démocratiques n'ont cependant pas échappé à une telle utilisation du cinéma, au moins à certaines périodes, même si leur intervention n'a sans doute pas été aussi directe que dans l'Allemagne nazie ou dans les régimes communistes : on se souvient notamment de la série de sept films Why We Fight commandés par le gouvernement américain et réalisés par Frank Capra pendant la Seconde Guerre mondiale pour justifier aux yeux de l'opinion publique américaine, majoritairement isolationniste, l'implication militaire des États-Unis dans la guerre, en particulier contre l'Allemagne nazie.

36. On a publié en 1993 déjà une analyse visant à éclairer cette domination mondiale du cinéma du cinéma américain. (Michel Condé, « Faut-il protéger les cinémas minoritaires ? » Journal des Grignoux, n° 43, oct.-nov. 1993, p. 2 & 19).

37. Ce point a été une des grosses difficultés lors des négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) en 1993 entre les États-Unis et l'Europe (la France en particulier) qui refusait que les industries culturelles soient soumises à ces accords de libre-échange. Finalement, le Parlement européen adoptera en 1994 une clause d'exception qui stipule que la culture n'est pas considérée comme incluse dans ces accords

38. Ce qui est le cas de la Chine par exemple qui n'a autorisé qu'une vingtaine de films étrangers par an sur ses écrans jusqu'en 2012, puis 34 après cette date.

39. D'après le site du CNC : https://www.cnc.fr/cinema/actualites/comment-fonctionne-lavance-sur-recettes_1105026

40. Claude Forest, « Penser l'économie du cinéma », Mise au point [En ligne], 1 | 2009, mis en ligne le 12 août 2013, consulté le 24 mars 2020 (http://journals.openedition.org/map/1258). L'auteur de l'article conclut de façon lucide : « À quelques exceptions conjoncturelles près (le succès d'un ou deux films nationaux dans un des pays, pour une année considérée) c'est uniquement la réaction du public à l'offre étatsunienne qui structure depuis plusieurs décennies cette fameuse "part de marché" dont les USA s'octroient la proportion majoritaire, et souvent plus des trois quarts selon les pays, notamment en Europe de l'Est. »

41. CNC, La Production cinématographique en 2019. Les études du CNC, mars 2020 : https://www.cnc.fr/documents/36995/1118512/La+production+cine?matographique+en+2019.pdf/0bc690ce-bae5-7fcd-e6bc-4bd56ecafc42

42. Axel Scoffier, « Pourquoi ne connaît-on pas le cinéma allemand ? », La Revue des Médias, INA, publié le 15 mai 2014, mis à jour le 21 février 2019 : https://larevuedesmedias.ina.fr/pourquoi-ne-connait-pas-le-cinema-allemand

43. Unifrance, Bilan 2017. Les films français à l'international. https://medias.unifrance.org/medias/111/0/196719/piece_jointe/bilan-2017-des-films-francais-a-l-international.pdf

44. À la même époque, la multiplication des chaînes privées de télévision sera un des facteurs importants de la crise traversée par le cinéma italien qui verra notamment disparaître les comédies populaires et les films de genre.

45. Observatoire europe?en de l'audiovisuel https://rm.coe.int/yearbook-keytrends-2019-2020-fr/16809ce58e

46. On trouvera une description des différents systèmes en vigueur dans Cabrera Blázquez F.J., Cappello M., Fontaine G., Talavera Milla J., Valais S., « La chronologie des médias : une question de temps », IRIS Plus, Observatoire européen de l'audiovisuel, Strasbourg, octobre 2019 https://rm.coe.int/la-chronologie-des-medias-une-question-de-temps/1680986359 Les Grignoux ont également publié une analyse de l'impact que pourrait avoir une plateforme comme Netflix sur la production et l'exploitation cinématographique en particulier des films d'art et essai : https://www.grignoux.be/dossiers/288/pdf/Chronologie.pdf

Journal des Grignoux

Cliquez ici pour retourner à l'index des études et analyses.


Tous les dossiers - Choisir un autre dossier