Medias
Journal & grilles Appli mobile Newsletters Galeries photos
Medias
Journal des Grignoux en PDF + archives Chargez notre appli mobile S’inscrire à nos newsletters Nos galeries photos
Fermer la page

Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée à
Corpus Christi
La Communion
Boze Cialo (titre original polonais)
un film de Jan Komasar
Pologne, 2019, 1h58
Nommé aux Oscars du Meilleur film étranger en 2020
Avec Bartosz Bielenia, Aleksandra Konieczna et Eliza Rycembel

Analyse au format pdf On trouvera ici une analyse du film Corpus Christi de Jan Komasar. Cette analyse aborde la question de l'imposture comme révélateur des rôles sociaux que nous endossons spontanément mais également des hypocrisies et des mensonges qui les accompagnent souvent.

Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdf.

Le film en quelques mots

Daniel, délinquant d’une vingtaine d’années, purge sa peine dans un centre de détention, un univers violent où il doit ses seuls moments de grâce au père Tomasz, l’aumônier du centre, qui l’a choisi comme assistant. C’est ainsi que naît en lui une vocation inattendue, toutefois irréalisable en vertu de son passé judiciaire. Contraint d’accepter, à sa sortie, un emploi dans un coin reculé de la campagne polonaise, il fait étape dans un petit village où il se présente comme un prêtre en pèlerinage. Pris au piège de sa propre imposture, il n’a alors d’autre choix que d’accepter la proposition du vicaire de le remplacer pour un temps au presbytère. Daniel usurpe ainsi l’identité du père Tomasz pour officier à l’église et s’occuper des paroissiens, profondément marqués par l’accident tragique qui a coûté la vie à six jeunes quelque mois plus tôt…

Mise en perspective

Avec plus de 90 % de catholiques, la Pologne représente un pays exceptionnellement homogène sur le plan religieux. Elle compte aussi parmi les rares États européens où la religion exerce une influence prépondérante sur la vie politique et sociale. Par ailleurs, les récentes élections présidentielles de juillet 2020 qui ont reconduit le Président conservateur Andrzej Duda ont entre autres permis de mettre en évidence la profonde fracture qui scinde aujourd’hui le pays avec, d’un côté une Pologne jeune, citadine, progressiste… et de l’autre, une Pologne rurale plus âgée et attachée aux traditions, majoritairement enracinée dans l’est du pays.

Photo du filmC’est donc dans ce contexte particulier que s’inscrit le film de Jan Komosa, dont l’action principale se déroule dans un petit village du sud-est de la Pologne. Avec l’arrivée impromptue de Daniel, ce sont deux conceptions de la religion — formation dogmatique vs foi authentique — qui vont s’affronter dans Corpus Christi autour de questions centrales : qu’est-ce que la moralité ? qu’est-ce que la foi ? le culte et ses rites sont-ils plus importants que les valeurs chrétiennes comme la vérité ou le pardon ? l’habit peut-il faire le moine ?…

Enfin, si Daniel et les paroissiens revendiquent un même attachement à Dieu et à la religion, ils partagent encore, même si c’est de manière cachée ou intériorisée, des travers identiques comme le mensonge ou la « mauvaise foi », amenant un nouveau questionnement sur les limites de la « faute » acceptable et les possibilités de rédemption. Ainsi, est-il légitime qu’un homme, responsable de la mort d’un autre homme et puni par la société civile pour cela, se voie refuser l’accès à l’église en dépit de sa foi et de sa motivation à en devenir l’un des représentants ? Autrement dit, cet homme se résume-t-il à son passé délinquant ? Son destin de criminel se trouve-t-il définitivement scellé ? Quelle évolution peut-on alors en attendre ? À travers la figure et le parcours de Daniel, ce sont toutes ces questions que pose avec beaucoup de justesse le film de Jan Komasa.

Crise des valeurs

En soulignant la défection des figures de l’autorité morale, Corpus Christi interroge les valeurs qui façonnent notre société. Si le vicaire de la paroisse entérine la mauvaise foi haineuse des paroissiens en refusant d’enterrer Stawek, considéré (à tort ?) comme un meurtrier, et cautionne implicitement la mise à l’écart de sa veuve et le harcèlement impitoyable dont elle est victime, les éducateurs du centre ferment quant à eux les yeux sur la grande violence qui anime les relations entre les détenus (coups et blessures, viols collectifs…). Ni l’un, ni l’autre ne jouent donc plus leur rôle, laissant la société sans véritable repère moral. Dans un tel contexte, il est significatif que la rédemption de Daniel et celle, plus tardive, des paroissiens interviennent précisément sur base d’une imposture, comme s’il n’y avait plus en quelque sorte d’autre voie pour accéder à une condition meilleure.

Quand le mensonge permet de restaurer l’autorité morale

Lorsque Daniel arrive au village, il entre dans l’église et y rencontre une jeune fille qui cherche à savoir d’où il vient. Elle ne le croit pas lorsqu’il affirme être prêtre mais change d’attitude lorsqu’il sort le col romain dérobé au prêtre Thomasz. La jeune fille abandonne aussitôt le ton familier de leurs échanges pour adopter une attitude pleine de déférence et le mettre en contact avec le vicaire de la paroisse. Si Daniel cherche à fuir dans un premier temps, il accepte finalement de remplacer le vicaire pour quelques jours. Photo du filmEntre homélies inspirées des sermons du père Thomasz ou puisées au plus profond de lui et séances de communion cathartique devant le petit mémorial dressé par les proches des victimes d’un terrible accident, le jeune homme déroute et impressionne. Sa plus grande réussite consistera à braver l’autorité du maire et à mener les villageois sur le chemin du pardon afin de donner une sépulture à l’homme considéré par tous comme responsable de la collision.

C’est donc grâce à une usurpation d’identité non préméditée que Daniel amène les villageois à dépasser la haine qui les anime pour admettre la nature accidentelle des faits. En replaçant au centre de son action des valeurs chrétiennes comme le pardon, la vérité, la charité, le partage, la tolérance, la justice…, Daniel incarne une nouvelle figure de l’autorité morale, avec de vraies répercussions sur la communauté paroissiale. D’abord vivement opposés aux funérailles, quelques fidèles proches des victimes finissent pourtant par rejoindre le cortège funèbre en route pour le cimetière.

Mais ce sera véritablement la messe d’adieu prévue après la cérémonie qui signera la réconciliation des paroissiens. Parmi les fidèles rassemblés en nombre dans la petite église, on repère le maire ainsi que Lidia, deux personnes jusque-là farouchement opposées à l’enterrement de Stawek, l’un pour garantir la paix sociale au mépris de l’enfermement psychologique douloureux qu’elle implique ; et l’autre pour avoir elle-même perdu un fils dans l’accident. En plus des nombreux bienfaits de Daniel — dont nous découvrons la trace à travers les mots de remerciement que le père Thomasz trouve fortuitement au presbytère —, il devient finalement le rédempteur de toute une communauté. On observe enfin que l’accomplissement inespéré d’une mission que le vicaire s’était montré incapable de réaliser coïncide significativement dans le film avec la révélation de l’imposture et l’arrestation de Daniel, une situation qui n’est pas sans évoquer la Passion du Christ et son issue fatale.

Quand la vérité scelle le destin criminel

Corpus Christi débute et se termine au centre de détention, avec une scène de grande violence. Un tel choix scénaristique induit ainsi l’idée d’une boucle qui se referme inexorablement. Plus précisément, la sanction sévère que la société inflige à Daniel indique qu’elle accorde une priorité exclusive au délit d’imposture, sans prendre aucunement en compte son action salutaire et bienveillante à l’égard des paroissiens. Photo du filmUne fois l’imposture révélée, Daniel est donc condamné à réintégrer le cycle de la violence qui le conduira sur le chemin d’un nouveau crime. Pour montrer cette fin tragique, Jan Komasa prend le parti d’un montage qui alterne des scènes se déroulant au centre avec quelques moments de la messe qui a lieu au village, où le vicaire a retrouvé sa place. C’est pour nous l’occasion d’observer que l’église s’est vidée mais aussi que l’action de Daniel a produit les effets escomptés : Ewa pénètre discrètement dans l’église et reste debout dans le fond jusqu’à ce que Lidia, maintenant libérée du poids de la haine, indique d’un signe de tête qu’elle accepte à nouveau la veuve au sein de la communauté paroissiale.

En juxtaposant ces deux épisodes découpés en plusieurs plans alternés, l’auteur souligne de manière très forte l’écart choquant entre ce que Daniel a réalisé pour le village et le sort qui lui est réservé. Mais cette fin pessimiste est heureusement compensée par un troisième épisode, lui aussi intégré en quelques plans à la séquence alternée : un sac de voyage à la main, la fille de Lidia monte dans une voiture, ce qui laisse penser qu’elle quitte définitivement le village désormais privé de son « guide spirituel » et retombé dans le carcan de l’Église.

La complexité du jugement moral

Les spectateurs sont les seuls témoins de la violence finale. En effet, comme au début du film, l’éducateur est amené à quitter le local où les jeunes délinquants se trouvent réunis, une occasion, peut-être même préméditée, que Bonus met aussitôt à profit pour s’en prendre à Daniel. Ensanglanté, ivre des coups reçus, Photo du filmDaniel entre alors dans un état second totalement incontrôlable et frappe à mort son rival. Dans la précipitation, les détenus se mettent d’accord pour évacuer Daniel et mettre le feu au local, effaçant ainsi les traces du crime. Dans la mesure où les détenus font le choix de dissimuler la vérité — est-ce pour protéger Daniel, ou simplement parce qu’ils n’assument pas leur passivité face à la gravité des événements ? —, personne ne pourra a posteriori comprendre ce qui s’est réellement passé, une situation qui impose naturellement un rapprochement avec l’accident survenu au village quelque temps plus tôt.

De la même façon que nous ne saurons jamais qui, des jeunes alcoolisés ou du mari suicidaire, est vraiment responsable de la collision, le film se termine sur une situation qui rendra impossible l’identification des responsabilités et des circonstances exactes de l’incendie. Nous seuls, à ce moment-là, savons que les responsabilités sont partagées : Bonus a déclenché la bagarre et lourdement frappé Daniel ; dans un élan de survie, Daniel a tué Bonus, et les détenus ont déclenché un incendie volontaire sans doute pour masquer leur manque de réaction tout au long de la scène, que cette passivité soit délibérée ou simplement le fruit de leur lâcheté. Et c’est finalement une grande leçon de sagesse et d’empathie qui se dégage en filigrane du film, qui nous invite à éviter les jugements hâtifs et à prendre en considération non seulement la nature des faits mais aussi les motivations et les intentions des uns et des autres.

Quelques pistes de réflexion

  • Nous ne maîtrisons pas de façon certaine les informations nécessaires pour interpréter ou juger certaines situations du film. Ainsi, serait-ce Bonus l’homme tant redouté de Daniel que Pinscher évoque dans le secret du confessionnal ? Qui, de Pinscher ou des villageois, a mis le feu à l’annexe du presbytère ? Qui est vraiment responsable de l’accident qui a coûté la vie à sept villageois ?… Et dans le contexte du film, quel sens donner à toutes ces incertitudes ?
  • Corpus Christi se caractérise par de longs plans fixes, avec notamment de nombreux plans d’ensemble en légère plongée sur le village figé au cœur des campagnes, et gros plans de visages qui laissent rarement filtrer l’émotion. Quel sens donnez-vous à cette manière de filmer ? Peut-on dire que le cadre exerce une contrainte permanente ? En quel sens ?
  • Des teintes dominantes bleuâtres ou verdâtres, des couleurs très froides mais aussi de nombreux clairs-obscurs amenés par une forte lumière blanchâtre… Quelle(s) dimension(s) ces caractéristiques visuelles originales apportent-elles au cadre du film ? à l’histoire racontée ? aux portraits des protagonistes ? Pensez à la peinture religieuse, qui use souvent de ce procédé pour rendre la dimension mystique, surnaturelle des scènes représentées.

Affiche du film

Cliquez ici pour retourner à l'index des analyses.


Tous les dossiers - Choisir un autre dossier