Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au thème
Quelles compétences sont nécessaires pour l'analyse de films ?
L'analyse proposée ici s'adresse aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder l'analyse de films avec un large public.
L'éducation aux médias fait sans doute pleinement partie de l'éducation permanente de citoyens actifs et responsables, mais la question se pose de savoir quelles sont les compétences générales que l'on vise à faire acquérir en ce domaine : autant l'on proclame la nécessité de former le public à la lecture de l'image et des médias audiovisuels, autant le flou est grand autour de la définition du spectateur « actif », « critique », « responsable » que l'on espère ainsi former. L'on essayera ici de tracer quelques pistes d'une réflexion sur les compétences recherchées à travers notamment l'analyse de films, qui est le domaine d'action privilégié du centre culturel Les Grignoux à travers notamment le dispositif d'Écran large sur tableau noir
Ce dispositif se caractérise notamment par la réalisation de dossiers pédagogiques spécifiques aux films proposés. Il s'agit là d'une démarche assez classique (qu'on retrouve dans d'autres dispositifs) mais qui se justifie par deux raisons essentielles.
Ce qui importe ici, c'est avant tout la démarche ou la méthodologie que l'on a essayé de développer dans ces dossiers. Depuis l'origine, nous sommes très conscients du fait que nous ne nous adressons pas à de futurs spécialistes du cinéma mais à l'ensemble du public, qu'il s'agisse des spectateurs de cinéma ou de ceux qui voient des films à travers d'autres médias comme la télévision ou Internet. Cela explique une certaine méfiance à l'égard de toute vulgarisation d'un savoir universitaire sur le cinéma et des méthodes d'analyse de films proposées par l'enseignement supérieur spécialisé : ce savoir, qui a évidemment sa pertinence pour des étudiants du supérieur, est en effet très partiel, souvent partial et quelquefois polémique. Transposé en direction d'un large public, il risque bien de déboucher sur une vulgarisation dogmatique et maladroite (comme on a pu le constater par le passé avec des transpositions scolaires de « théories » à la mode dans différents champs universitaires).
Notre démarche consiste précisément à essayer de définir ce que pourrait être une compétence en matière d'analyse de films pour un large public de spectateurs, jeunes ou moins jeunes, qui n'ont pas vocation ni à être ni à devenir des professionnels du cinéma mais qui sont aussi des consommateurs de cinéma (en salles, à la télévision ou sur Internet). Cela implique cependant de déterminer au préalable ce qu'est une analyse de film, en considérant l'éventail des analyses possibles depuis les plus sommaires comme celles qu'on trouve sur les forums Internet consacrés au cinéma, jusqu'au plus élaborées, issues du domaine universitaire.
On peut distinguer dans toute analyse filmique (considérée ici en tant que processus de compréhension [1]) trois grands niveaux :
Au niveau de l'observation, il y a une différence essentielle entre l'image et la langue qui est constituée, comme on le sait, de signes « discrets », discontinus comme les phonèmes qui permettent de distinguer sans ambiguïté par exemple le « port » du « bord ». L'image en revanche est essentiellement continue comme en témoignent des phénomènes comme le contraste de lumière ou la saturation des couleurs. Ainsi également, dans le domaine du cinéma, des conditions de projection médiocre (par exemple à la télévision) peuvent nous priver de 10, de 20 ou même de 30% de l'image originale, ce qui ne nous empêche pourtant pas d'avoir vu et éventuellement apprécié le film en question. On ne peut évidemment pas couper au hasard 30% des mots d'un roman sans faire subir au lecteur une perte essentielle.
Mais si l'image est continue, alors l'observation de l'image est potentiellement infinie : c'est ce qu'on constate d'ailleurs empiriquement dans les manuels d'analyse de films qui sont obligés d'énumérer un catalogue indéfini d'éléments à observer comme le cadrage, les positions de caméra, les mouvements de caméra, les effets de lumière et de couleur, le travail de montage, le jeu des acteurs, les éléments du décor, etc.
Toute analyse suppose donc en fait des choix, une sélection dans ce qui sera effectivement observé. Mais ces choix ne dépendront pas uniquement des caractéristiques de l'image (puisque précisément ces caractéristiques sont infinies) mais de critères de pertinence extérieurs à l'image elle-même. En situation d'analyse ou de réflexion avec un groupe de spectateurs, c'est évidemment l'animateur qui déterminera s'il convient d'observer plutôt les caractéristiques esthétiques ou les éléments thématiques ou d'autres aspects encore de l'image.
Il faut souligner deux caractéristiques importantes de l'interprétation filmique.
Dans ces conditions, l'on voit que l'animateur, l'enseignant ou le formateur ne peut pas occuper la position du « maître supposé savoir » et doit, à un moment ou l'autre, prendre en compte l'opinion des différents spectateurs.
Sans rentrer dans des débats philosophiques, l'on doit reconnaître que l'évaluation (qu'elle soit esthétique, politique ou morale) a un fondement irrémédiablement subjectif. Il est sans doute possible de porter un jugement de valeur objectif si l'on s'accorde sur des critères ou sur une échelle d'évaluation : ainsi, pour prendre un exemple usé, on peut montrer que l'œuvre cinématographique de Jean-Luc Godard est évidemment plus originale que celle d'un cinéaste de la « qualité française » comme Autant-Lara ou Delannoy. Mais on ne peut pas imposer aux spectateurs de préférer par principe l'originalité esthétique au plaisir de distraction, ou bien l'authenticité réaliste à la fascination spectaculaire.
Peut-on dès lors définir ce que devraient être les compétences en matière d'analyse filmique au terme de la scolarité obligatoire ? On comprend déjà qu'il ne s'agit pas de compétences comme être capable de distinguer un gros plan d'un plan moyen ou de dénommer avec précision un mouvement de caméra ni même de s'interroger sur la position exacte de la caméra Ce sont là des savoirs qui ont bien sûr une certaine pertinence mais qui ne relèvent pas d'une compétence qui serait indispensable à faire acquérir à des spectateurs informés et critiques.
En revanche, ce qui nous paraît important, c'est précisément la maîtrise théorique et surtout pratique de la distinction entre ces trois niveaux qui sont habituellement confondus. Ce qui nous semble pertinent d'un point de vue éducatif, c'est la capacité :
Une telle compétence nous paraît pédagogiquement importante notamment parce qu'il s'agit d'une compétence transversale qui doit notamment être mise en œuvre dans d'autres domaines que l'analyse de films. C'est évidemment une distinction classique, bien que souvent négligée, dans des disciplines comme l'histoire ou les sciences humaines.
Pour terminer, l'on donnera un exemple d'activité qui a été proposée dans plusieurs des dossiers que nous avons réalisés et qui vise à permettre l'acquisition d'un compétence d'analyse transposable à la vision d'autres films.
Il s'agit de proposer aux spectateurs une vingtaine de consignes d'observation avant la vision du film. Deux traits caractérisent ces consignes :
Après la projection du film, chaque participant est invité à faire part au reste du groupe du résultat de son observation.
Quelle est la pertinence de cette démarche qui ne suppose, comme on le voit, aucun outillage technique et qui s'appuie essentiellement sur la mémoire individuelle et collective du groupe ?
En se basant ainsi sur des conditions de vision aussi proches de celles que connaissent la majorité des spectateurs, l'on peut donc penser que l'expérience acquise lors de cet exercice sera transposée à d'autres films.
1. L'on doit négliger ici la mise en discours oral ou écrit qui accompagne nécessairement toute analyse.
2. La place manque pour montrer que les procédures mises en œuvre dans l'interprétation d'une image (par exemple une image fixe) ne sont pas propres au « monde de l'image » mais relèvent de nos capacités visuelles, de ce que Piaget appelle les schèmes sensori-moteurs.
Ce texte a fait l'objet d'une communication dans le cadre de la conférence internationale « l'Éducation aux médias pour tous » qui s'est tenue les 2 et 3 décembre 2010 à l'IHECS à Bruxelles à l'initiative du Conseil Supérieur de l'Éducation aux Médias.
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La réalisation de ces études et analyses a bénéficié du soutien du Ministère de la Communauté française
et en particulier de la Direction générale de la Culture
et du service de l'Education permanente.