Une animation proposée par les Grignoux et consacrée au film
Le Mystère de la chambre jaune
de Bruno Podalydès
France/Belgique, 2003, 1h58
L'animation proposée ci-dessous est destinée aux enseignants ou aux éducateurs qui verront le film Le Mystère de la chambre jaune avec un groupe de spectateurs, jeunes ou adultes. Son objectif est d'attirer leur attention sur des éléments qu'ils auraient peut-être tendance à négliger, puis de favoriser un échange collectif autour des observations différentes des uns et des autres.
On trouvera ci-dessous vingt-cinq consignes d'observation qui pourront être remises aux participants avant la projection du film le Mystère de la chambre jaune de Bruno Podalydès. Chaque participant recevra une seule consigne à laquelle il essaiera de répondre en prenant quelques notes sur un carnet pendant la projection.
Il ne s'agira pas ici de reconstituer avec précision le déroulement de l'une ou l'autre séquence, mais de faciliter le travail de remémoration de l'ensemble du groupe grâce à des observations individuelles plus précises. Après la projection, chaque participant sera invité à répondre à la consigne reçue : le rôle de l'enseignant ou de l'animateur sera essentiellement d'amener les spectateurs à interpréter les observations ainsi recueillies. Contrairement à ce qu'il est parfois affirmé, il n'y a pas de règle générale d'interprétation ni de codes cinématographiques, et toute interprétation est donc en partie hypothétique : il est donc normal que les interprétations puissent diverger, puissent également s'orienter dans des directions différentes.
En effet, trois grands types d'interprétation sont en principe possibles : on peut interpréter un élément en fonction du contexte filmique où il apparaît — le gros plan va souligner par exemple l'émotion du personnage, exprimée par ailleurs —; l'interprétation peut également s'orienter vers l'auteur du film qui, le plus souvent, n'apparaît pourtant pas en tant que tel à l'écran — dans ce cas, l'on se demandera par exemple pourquoi le cinéaste a préféré recourir à un plan-séquence plutôt qu'à un montage fragmenté, ce qui traduit sans doute une préférence ou un choix esthétique —; enfin, l'on pourra mettre en évidence l'effet supposé du film (ou d'un élement filmique) sur les spectateurs — le gros plan souligne l'émotion du personnage mais nous la fait également partager, à moins qu'il joue au contraire de façon ironique et distanciée par rapport aux personnages —.
Les réponses suggérées ici sont plutôt destinées à l'enseignant ou l'animateur : elles devraient lui permettre de diriger la discussion dans un sens constructif et éventuellement d'indiquer des pistes de réflexion qui auraient été négligées par les participants.
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Quelques éléments de réponseQuelques gros plans
Le gros plan n'a sans doute pas toujours la même valeur et peut donc être interprété de différentes manières. Dans le premier exemple, il sert essentiellement à mettre en évidence un objet anodin, un oeuf, soulignant sans doute ainsi l'amour de la bonne chère qui caractérisera tout au long du film le juge de Marquet. Les gros plans du deuxième exemple sont à première vue plus énigmatiques, mais on devine facilement qu'ils illustrent de manière expressive les propos de Rouletabille : des détails anodins prennent sous le regard du journaliste un relief singulier. En revanche, dans le troisième exemple, l'arrivée de Larsan en gros plan produit ce qu'on pourrait appeler une mini-surprise (puisque la mise au point était faite sur l'arrière-plan et les deux policiers à côté de la porte de la chambre jaune. Cette entrée (légèrement) inattendue de Larsan (par la droite de l'écran) sert vraisemblablement le dynamisme général du plan qui commence. Dans le quatrième exemple, on retrouve sans doute une fonction plus classique du gros plan, celle d'intensifier et de nous faire partager l'émotion des personnages à l'écran. Même si Darzac est un personnage légèrement ridicule (dans le film), c'est l'aspect dramatique qui est ici dominant. Avec les retrouvailles de Mathilde et de Ballmeyer, on plonge dans la passion, le drame, le trouble, l'érotisme même : les gros plans isolent les personnages, nous font partager leur passion violente et nous font oublier le monde environnant... Tous les spectateurs — notamment les plus jeunes — ne partageront cependant pas cette impression qui suppose une identification (au moins minimale) aux personnages. Pour ces spectateurs, le gros plan risque bien alors de paraître caricatural. Un procédé rareDe manière générale, l'on constate que les gros plans sont relativement peu nombreux et surtout que Bruno Podalydès privilégie des cadrages plus larges (plans américains, plans généraux, plans d'ensemble) où apparaissent plusieurs personnages. Mais cette observation devra en fait être confirmée par d'autres participants, notamment ceux chargés d'analyser le travail de mise en scène (consignes 2 et 15) : plutôt que de découper l'action (et de filmer par exemple un interlocuteur et puis l'autre), Podalydès préfère manifestement saisir un maximum de personnages dans le cadre avec des entrées et des sorties d'acteurs, des mouvements de caméra, parfois compliqués, pour suivre l'action, et des plans relativement larges. On signalera d'ailleurs à ce propos que le Mystère de la chambre jaune est tourné au format "scope", c'est-à-dire un format "large" de 2,35 : ce qui signifie que, si la hauteur de l'image projetée est de 1, sa largeur sera de 2,35. Le format le plus couramment utilisé dans le cinéma américain aujourd'hui est le "wide-screen" de 1,85 (hauteur de l'écran 1 ; largeur : 1,85), tandis que le format "standard" européen est plutôt de 1,65 (hauteur de l'écran 1 ; largeur : 1,65). L'utilisation du scope facilite évidemment la mise en place de plusieurs personnages dans le cadre comme on le voit bien dans l'exemple ci-dessus.
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Mise en scèneIl y a les pas qui reviennent et les pas qui repartent...Au début du film, Rouletabille avec Sainclair et Darzac suit dans la prairie les pas de l'assassin et il tombe sur le policier Frédéric Larsan. Première rencontre. Après quelques paroles, le policier se dirige vers l'arrière-plan sous les arbres tandis que Rouletabille se met à expliquer à Sainclair pourquoi il y a deux sortes de traces ("pas grossiers, etc."). L'attention des spectateurs se concentre sur l'avant-plan où se trouvent Rouletabille (à gauche), Sainclair et Darzac (à droite) : c'est à ce moment qu'intervient Larsan de l'arrière-plan d'où il commente les déductions de Rouletabille ("Très fort ! très fort"). Personnage et caméra sont précisément positionnés pour que Larsan se tienne pratiquement au centre de l'écran, dans l'ombre mais bien visible pourtant car les autres personnages ont eu soin de laisser cette zone dégagée pour la prise de vue. Ensuite, après avoir examiné les chaussures de Darzac, qui devient ainsi le suspect numéro un, Larsan s'entretient avec Rouletabille des traces de sang ("l'assassin a saigné du nez..."). Les deux interlocuteurs, Larsan et Rouletabille, se tiennent pratiquement face à face, mais loin de rester immobiles, ils tournent littéralement autour de Darzac, planté comme un piquet au centre de l'écran. La scène, pleine de paroles, est ainsi très dynamique tandis que l'immobilité de Darzac traduit son malaise : il est comme une proie que se disputent les deux interlocuteurs. Frédéric Larsan explique comment l'assassin a pu sortir de la chambre jaune...La caméra suit Frédéric Larsan qui s'approche de la porte de la chambre jaune. Là, tout en parlant, il fait entrer dans la chambre un policier qui jouera le rôle de l'assassin. Puis il saisit les différents personnages - le professeur, le père Jacques, les époux Bernier... - qui rentrent successivement dans le champ, puis en ressortent. À un moment de sa "démonstration", il ouvre la porte, et le policier se lève et apparaît en arrière-plan comme l'ombre de l'assassin. Finalement, la scène se concentre sur Larsan et le professeur qui se retrouve en position d'accusé. Celui-ci se tourne vers le juge de Marquet pour se justifier, tandis que Rouletabille entre dans le champ par la droite pour dire à Stangerson qu'il croit en son innocence. Toute cette scène est filmée en un seul plan avec de légers mouvements de caméra pour suivre l'action en cours. Entrées et sorties des personnages, grands gestes de Larsan, synchronisme exact des personnages... Même sans revoir la scène ni pouvoir reconstituer le détail de l'action, nous nous souvenons facilement de ce travail de mise en scène des acteurs. | ||||||
Le corps des acteursInterpréter la gestuelle d'un personnage comme Darzac est relativement facile, mais il est beaucoup plus difficile de la décrire avec précision. Nous gardons sans doute l'impression d'un personnage coincé, gêné, mal à l'aise... mais comment l'acteur Olivier Gourmet parvient-il à exprimer ces sentiments ? On remarquera par exemple qu'il se tient toujours fort droit, comme si sa colonne vertébrale était coincée; en outre, il garde presque toujours les bras collés au corps (quand il court, seuls les avant-bras semblent en mouvement); enfin, il garde très souvent la bouche fermée, les lèvres légèrement serrées (on ne le voit jamais respirer par la bouche), ce qui lui donne un air imperturbable, seulement interrompu par de brusques crises de larmes. De la même façon, l'on se souvient de l'attitude générale de Frédéric Larsan — sûr de lui, autoritaire, arrogant parfois —, du juge de Marquet — élégant, décontracté, toujours à l'aise malgré son incompétence — ou de Rouletabille — sec, nerveux, vif —, sans que l'on puisse cependant déterminer avec précision les gestes qui leur permettent d'exprimer ces différentes attitudes. Avec de jeunes spectateurs qui ne se destinent pas aux métiers du cinéma, on peut sans doute se contenter d'une impression générale sans grande précision. Mais on peut également leur demander d'imiter cette gestuelle en faisant par exemple quelques pas à la manière du juge de Marquet ou en jouant avec une canne comme Frédéric Larsan. | ||||||
Des gestes visibles...Les exemples sont innombrables. Relevons par exemple :
De tels gestes sont relativement faciles à repérer, et la plupart des spectateurs s'en souviennent facilement (si l'un d'eux notamment a été chargé de les observer), car ils ne sont pas immédiatement "fonctionnels" (pour aller d'un point à un autre, il faut marcher; pour manger, il faut utiliser des couvertts...) et ont généralement une fonction expressive, traduisant visiblement une émotion, un sentiment, une intention... Dans le cas du Mystère de la chambre jaune, on peut en outre estimer qu'ils sont volontairement accentués de manière légèrement (ou lourdement ?) parodique. Ce film peut donc être l'occasion pour les jeunes spectateurs d'observer une gestuelle qui passe généralement inaperçue mais dont on comprend pourtant l'importance pour donner notamment du dynamisme aux différentes séquences. | ||||||
Moments dramatiques ?Tous les spectateurs, jeunes ou moins jeunes, ne partageront pas cette impression, et certains resteront totalement insensibles à la dimension dramatique du Mystère de la chambre jaune. La distance ironique qu'adopte de façon générale le cinéaste, le décalage historique, la dimension très intellectuelle de l'enquête policière, l'âge des protagonistes, suscitent ainsi chez nombre de jeunes spectateurs de l'indifférence qui peut pour certains aller jusqu'au mépris. Néanmoins, d'autres se souviendront sans doute d'épisodes d'où se dégage une tension plus dramatique. Il s'agit le plus souvent d'un bref instant dont l'émotion s'efface rapidement à cause d'une nouvelle pointe d'ironie ou simplement de la survenue d'un autre événement. Ainsi, quand l'inspecteur Larsan procède à sa première reconstitution et qu'il accuse le professeur Stangerson d'avoir volontairement laissé s'échapper l'assassin de sa fille, le professeur, se tournant alors vers l'assistance et le juge de Marquet, se justifie et jure en particulier qu'il n'a en aucune manière favorisé la fuite de l'assassin : à ce moment, son trouble est évident et peut être facilement partagé, mais le juge de Marquet intervient en remarquant qu'il ne s'agissait pas du troisième point de son argumentation mais du quatrième... L'émotion d'un père injustement calomnié, son hébétude devant une accusation aussi monstrueuse s'évanouissent presque aussitôt à cause de cette remarque qui fonctionne comme une pointe comique libérant la scène de toute tension dramatique. On passe d'ailleurs immédiatement à autre chose... Le procédé est identique dans la dernière partie du film quand Rouletabille explique le mystère de la chambre jaune et se couche sur le lit en prenant la place de Mathilde dont il imagine le trouble cettes soirée-là. La caméra se rapproche du journaliste comme si nous allions plonger avec lui dans le passé, nous sommes presque prêts à entrer dans les rêves et le cauchemar de Mathilde que Rouletabille essaie de nous faire partager... quand un policier dans l'assistance intervient doctement : «Ah non, elle a dit l'inverse : "Au secours ! À l'assassin!"» . Le charme qui s'installait est évidemment rompu devant cette remarque sans pertinence aucune. La fin du film laisse de manière générale moins de place à l'ironie, que ce soit lors de l'évocation des "retrouvailles" de Mathilde et de Ballmeyer (avec la tentative d'étranglement) ou de la rencontre entre Rouletabille et Ballmeyer racontant l'histoire de sa passion pour la jeune Mathilde en Amérique. | ||||||
Étrangeté...L'étrangeté dans le Mystère de la chambre jaune de Bruno Podalydès résulte le plus souvent du climat de mystère — c'est un film policier — agrémenté en outre de quelques fausses pistes. De manière générale, il ne s'agit que de quelques "pointes" qui disparaissent rapidement mais qui contribuent vraisemblablement à ce mélange de tonalités diverses qui caractérise le film même si celui-ci est globalement dominé par une distance ironique. En voici quelques exemples qui pourront faire l'objet d'une discussion avec les jeunes spectateurs. À leur arrivée au château, Sainclair et Rouletabille croient découvrir l'assassin vêtu d'un casque de soudeur. Il ne s'agit que du père Jacques en train de bricoler. L'étrangeté de ce costume disparaît ainsi presque immédiatement puisqu'il s'explique par les activités du père Jacques ; mais un peu de réflexion suffit à comprendre le rôle de ce bref épisode, car le casque du soudeur va réapparaître beaucoup plus tard dans la séquence de la galerie quand l'assassin va s'en revêtir pour ne pas être reconnu : si nous n'avions pas vu le père Jacques avec le casque dans cette première séquence, nous pourrions nous demander d'où peut bien sortir cet étrange déguisement et ce qui a pu pousser l'assassin à utiliser un tel attirail ! La séquence initiale rend ainsi ce déguisement "vraisemblable". Mais la bizarrerie de cet accoutrement - qui a été voulu par Podalydès et qui n'est pas présent dans le roman original - ne disparaît pas entièrement : un tel déguisement (contrairement à une fausse barbe et à une perruque) donne une dimension inquiétante, maléfique, démoniaque même au personnage, renforcée en outre par le bruit du souffle, volontairement accentué dans la bande-son. Nombre de spectateurs évoquent à ce propos la figure du mal absolu dans la Guerre des étoiles (Star Wars) de George Lucas, Dark Vador ! Et l'on peut également s'interroger sur les agissements de l'assassin dans la chambre de Mathilde Stangerson : que fait-il exactement sous cet accoutrement bizarre et que veut-il vraiment à la jeune femme ? L'équilibre entre la vraisemblance et l'étrangeté est, on le voit bien, souvent fragile, comme en atteste également un personnage secondaire comme "l'Indien" dont la figure risque d'étonner le spectateur même si, à nouveau, le séjour du professeur Stangerson en Amérique pourrait expliquer facilement la présence de ce garde-chasse inhabituel : la manière de le présenter (il n'est d'abord qu'une ombre muette et menaçante entrevue à travers une fenêtre), la visite que Rouletabille et Sainclair effectuent dans sa "résidence" tapissée de têtes d'animaux empaillées, son langage où se mêlent anglais, français et espagnol, rendent cette figure mystérieuse même si tous ces traits peuvent finalement trouver une explication "rationnelle". L'impression première mais fugace est sans doute celle d'une "inquiétante étrangeté". Parfois il suffit d'un geste comme cette improbable reconstitution du juge de Marquet et de son greffier derrière le pavillon : Rouletabille et Sainclair découvrent là ces deux hommes qui semblent tout confus d'avoir été surpris dans une position "équivoque" puisque le greffier armé de l'os de mouton ensanglanté semblait menacer le juge renversé en arrière. Et certains spectateurs remarqueront peut-être à l'issue de cette scène le geste du greffier qui, au tournant du pavillon, redresse la cravate du juge qui, à son tour époussette l'épaule de son greffier... D'autres fois, ce sont des paroles qui peuvent surprendre comme cette réflexion de Rouletabille, le "raisonneur", à son ami Sainclair : "Tu sais que beaucoup de photographes sont des désespérés. Et toi ?" (ce à quoi Sainclair répond platement "Ah ben non"), réflexion immédiatement suivie de la remarque à propos du sommet du cigare qu'ils fument tous les deux : "Cette partie-là s'appelle le divin...", cigare dont on apprend aussitôt après (avec l'arrivée de Larsan) qu'il est de la marque "Roméo et Juliette" ! Même s'il s'agit bien d'une marque de cigares mexicains, l'ensemble de l'échange semble en complet décalage avec l'enquête que le reporter est en train de mener. Bien entendu, il s'agit plutôt de décalages minimes, qui sont rapidement oubliés mais qui ont été néanmoins perçus par la plupart des spectateurs qui s'en souviendront facilement si on leur rappelle l'épisode. | ||||||
Ironie et comiqueLa dimension ironique sinon comique du Mystère de la chambre jaune de Bruno Podalydès est sans doute bien perçue par tous les spectateurs. Qui pourrait oublier la scène de l'horloge dont essaie de sortir maladroitement le pauvre Sainclair après qu'elle se soit renversée sur lui ? Première séquenceMais, dès la première séquence du train, de multiples détails font percevoir aux spectateurs le point de vue volontairement distancié du cinéaste. Ainsi, un cadrage large nous permet de découvrir les quatre personnages (le juge et son greffier à l'avant-plan, Rouletabille et Sainclair à l'arrière-plan) en train de lire le même journal et surtout d'en tourner les pages au même moment ! Dans toute cette séquence, il y a en outre un jeu constant de la voix off qui lit le texte du journal en interagissant avec les personnages à l'écran de façon comique. Elle répète par exemple mot pour mot ce que vient de dire ou ce que va de dire un des personnages de l'histoire racontée ("Au secours ! à l'assassin !"). Ou bien elle répond aux questions que se pose l'un des lecteurs du journal comme si tous deux appartenaient au même monde : "Par où s'est enfui l'assassin ? demande le journaliste ; — Par la cheminée ? suggère le greffier dans le train ; — Pas de cheminée !" répond la voix off [1]. CaricatureCertains personnages sont d'ailleurs immédiatement caricaturaux. C'est le cas en particulier du juge de Marquet qui insiste à plusieurs reprises sur le fait que son nom s'écrit en deux parties, ou bien qui reproche de manière tout à fait injuste à son greffier d'avoir eu l'idée de traverser à pied toute la prairie menant de la gare au château, ou encore qui se préoccupe plus du dîner qu'il pourrait faire que de l'enquête qu'il doit mener. Mais c'est également le cas de Darzac, l'amoureux contrit qui pique de soudaines crises de larmes ou même de Mathilde Stangerson victime éplorée et végétarienne... Le langage utilisé, précieux et raffiné avec néanmoins plusieurs ruptures de ton (les "Salope " répétées de Bernier, ou encore les propos rimés du père Jacques "Je suis tout à l'envers, je soude de travers !"), de nombreux gestes (Darzac tout raide qui bascule en avant quand Rouletabille lui lance la fameuse phrase "Le presbytère n'a rien perdu de son charme..."), des gags (l'auto à propulsion solaire qui s'arrête quand passe un nuage), certains objets (comme les inventions farfelues du professeur Stangerson, notamment l'affreux coucou hurleur), des cadrages et des effets de mise en scène (par exemple, ce plan au début du film où Darzac, Sainclair et Rouletabille traversent une prairie en une file indienne bien parallèle au plan de l'écran), tous ces éléments et bien d'autres, de nature très différente, concourent ainsi au même effet de distance ironique. Le personnage commente le film...On remarquera enfin plusieurs commentaires de personnages qui semblent exprimer les réflexions que pourrait se faire le spectateur et qui contribuent à ce jeu de distanciation ironique : c'est le cas notamment lorsqu'à la fin du film, tous les personnages se dirigent vers le laboratoire du professeur Stangerson sous la conduite de Rouletabille, et que l'un deux s'exclame "Mais arrêtez avec ce bon bout de la raison; c'est agaçant à la fin!", ce que confirme un autre "Oui, c'est assez pénible!". De la même manière mais de façon moins visible, Sainclair remarque dans la chambre du château qu'il partage avec Rouletabille le portrait d'un personnage dont l'attitude rengorgée lui semble quelque peu ridicule : or il y a beaucoup de personnages dans le film, dont Darzac, dont Sainclair lui-même, qui ont une gestuelle par moments très caricaturale. Le commentaire de Sainclair pourrait ainsi s'appliquer à la plupart des personnages qui l'entourent ! Et qui ne se souvient du commentaire du juge de Marquet quand Rouletabille a expliqué le mystère de la chambre jaune : "Oui, ben, je suis un peu déçu" ! N'est-ce pas le commentaire que certains spectateurs pourraient faire en découvrant le mystère de la chambre jaune : tout ça n'était qu'un rêve... 1. Le statut de la voix off est en fait indéterminé : cette voix lit l'article du journal, mais rien n'indique à qui elle appartient : au journaliste qui a écrit l'article ? à un des personnages dans le train dont elle constituerait en quelque sorte la voix intérieure ? En tout cas, elle n'appartient pas au "même monde" que celui du train, et nous percevons comme une infraction comique cet espèce de dialogue entre la voix off et un des protagoniste à l'écran. | ||||||
Enfance ?Cette remarque de Bruno Podalydès selon laquelle le Mystère de la chambre jaune serait un film sur l'enfance, se situe au niveau de l'interprétation générale de son film : comme toute interprétation, elle est a priori hypothétique et doit être confirmée par des éléments d'observation qui la rendront plus ou moins vraisemblable. Des traits d'enfanceLes spectateurs citent facilement des traits du film que l'on caractériser d'"enfantins". Il s'agit par exemple du costume de Rouletabille avec son pantalon trop court qui rappelle facilement le personnage de Tintin. De nombreuses références à cette célèbre série de bandes dessinées sautent d'ailleurs aux yeux des spectateurs : il y a notamment les policiers aux chapeaux boules qui imitent les Dupond et Dupont, le professeur Stangerson dont les recherches paraissent aussi farfelues que celles du professeur Tournesol, le château avec son laboratoire qui ressemble à Moulinsart, Rouletabille qui, par son métier de journaliste, par sa jeunesse et son côté légèrement "décalé", évoque effectivement Tintin... D'autres éléments sont également souvent cités par les spectateurs comme relevant d'un imaginaire enfantin, par exemple la manière de raisonner de Rouletabille dont les certitudes paraissent bien éloignées du scepticisme de l'âge adulte, ou bien la place faite à ces jouets avec lesquels s'amusent d'ailleurs de nombreux personnages, ou encore des gestes ou attitudes de personnages comme Rouletabille qui se met à "danser" en répétant "Je le battrai, je le battrai, le grand Fred; aussi forts soient-ils, je les battrai tous !", ou la personnalité même de Rouletabille qui semble incarner le rêve de toute puissance des enfants, capable d'en remontrer aux adultes les plus avertis en usant de procédés pratiquement magiques (les phrases mystérieuses, le voyage inexplicable en Amérique, etc.)... Cette ambiance teintée de "magie" est d'ailleurs souvent perçue par les adultes comme une caractéristique de l'enfance très éloignée du "prosaïsme" de l'âge adulte qui ne croit plus au "merveilleux", à "l'incroyable", à "l'extraordinaire" caractéristiques de toute cette histoire. L'éloignement historique, mais également géographique (dans un lieu improbable comme ce château à l'abri du monde réel), le climat estival qui rappelle à beaucoup des vacances passées à la campagne concourent également à la même impression, celle d'être dans un de ces univers imaginaires que s'inventent les enfants dans leurs jeux. Sur l'enfance ?Mais tous ces traits permettent-ils de parler réellement d'un film sur l'enfance ? La discussion reste sans doute à ce propos plus ouverte. Il serait en particulier difficile d'expliciter le contenu exact de ce thème dans le Mystère de la chambre jaune : que nous dit précisément le film de l'enfance ? comment décrit-il l'enfance ? que nous montre-t-il ou que nous suggère-t-il de spécifique sur l'enfance ? À toutes ces questions, il paraît bien difficile d'apporter des réponses probantes. Si des lectures psychanalytiques sont relativement faciles (Rouletabille, l'enfant célibataire, observe comme un voyeur "la scène primitive" de l'accouplement monstrueux de ses parents...), la pertinence de telles analyses n'est pas reconnue par tous, et, en outre, ce type d'analyses peut trouver à s'appliquer à n'importe quel film. L'interprétation proposée par le cinéaste lui-même peut donc laisser sceptique certains spectateurs, même si l'on peut effectivement repérer à travers le film des traits d'un univers "enfantin". | ||||||
RépétitionsRouletabille, on s'en souvient, parle à tout bout de champ du "bon bout de la raison..." C'est lui aussi qui lance des petites phrases qui font leur effet comme "Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat" ou bien "Maintenant il va falloir manger du saignant", phrases qui vont être reprises par différents personnages et dont le sens va rester en suspens jusqu'à leur éclaircissement par Rouletabille lui-même. Ces répétitions sont le plus souvent liées à l'intrigue policière, et, de ce fait, les répétitions de phrases sont souvent intégrées dans la reprise d'une scène entière, par exemple celle des jardins de l'Élysée où Robert Darzac déclare "Me faudra-t-il donc pour vous commettre un crime ?". La scène est d'abord racontée par Rouletabille à Sainclair au milieu du film, à un moment où elle reste incompréhensible, puis elle est à nouveau racontée par Rouletabille à la fin du film avec l'explication complète de la liaision entre Mathilde et Ballmeyer. La répétition de mêmes scènes s'accompagne cependant dans certains cas de variations subtiles d'interlocuteurs qui reprennent à leur compte la même phrase. C'est ainsi que les paroles de Mathilde "Au secours ! À l'assassin !" seront reprises dans l'article du journaliste qui sera lu à haute voix (même s'il s'agit d'une voix off) dans le train, puis par Rouletabille lors de sa reconstitution du déroulement du crime, mais également par le greffier qui va corriger l'ordre de la phrase dite par Rouletabille ("Ah non elle a dit l'inverse : Au secours, à l'assassin, et puis, à l'aide") avant qu'on ne nous montre à l'image (dans un retour en arrière) Mathilde criant effectivement : "Au secours !à l'assassin !.. À l'aide !". La phrase est donc répétée au moins quatre fois, mais par des personnages différents. À propos de ces répétitions (dont certaines sont d'ailleurs déjà présentes dans le roman), l'on peut donc sans doute parler d'une espèce de jeu intellectuel et ironique : le langage est ici au cœur de l'action, à la fois précieux, énigmatique et constamment transformé. Mais tous les spectateurs n'apprécieront sans doute pas de la même manière ces jeux de langage... | ||||||
PréciositéPar exemple :
La comparaison avec le roman montre que nombre de dialogues en sont directement extraits et que ce style "précieux" est déjà présent dans l'oeuvre originale où l'on peut lire par exemple que Rouletabille s'exclame dans la chambre jaune : "En vérité ! c'est un très grand et très beau et très curieux mystère !..." Il y a cependant une grande différence entre l'écrit et l'oral, et le réalisateur Bruno Podalydès aurait pu transformer ces dialogues, comme cela se pratique couramment au cinéma : il s'agit donc de sa part d'un véritable choix de conserver ce langage raffiné et même de le souligner par la diction parfaitement articulée des acteurs. | ||||||
Vulgarités ?Par exemple :
Les ruptures de ton sont relativement rares et souvent peu marquées : le mot "sottises" n'apparaît comme vulgaire (?) que parce qu'il suit la phrase grandiloquente de Darzac. Semblablement, les termes "andouille" ou "bonne bouille" ne nous font (légèrerement) sourire que parce qu'ils tranchent avec le langage raffiné ampoulé d ela plupart des personnages. Ce sont évidemment les grosmots de Bernier qui constituent les infractions les plus évidentes. Ce ruptures de ton, plus ou moins accentuées, concourent sans doute de manière générale à la dimension ironique du film. La préciosité du langage n'est pas ici une convention que nous devons admettre (comme c'est le cas chez Marivaux par exemple), mais est volontiers caricaturale (notamment chez Mathilde), ce que révèlent, par contraste, les quelques infractions à ce ton précieux. | ||||||
Références picturalesL'ambiance ensoleillée du film, les nombreuses scènes en extérieur dans le parc du château, l'époque ancienne font facilement penser à la période impressionniste où les peintres ont privilégié ce genre de scènes champêtres baignées de soleil. Certains plans larges, quand par exemple Darzac, Sainclair et Rouletabille, traversent la prairie en file indienne soulignent l'aspect plastique du cadrage (même si sans doute tous les spectateurs ne sont pas sensibles à cet aspect). La forte luminosité permet en outre d'obtenir des couleurs très pures, fortement saturées (alors que des couleurs désaturées tendent vers le gris), même en intérieur, notamment dans la chambre jaune dont la couleur sans doute inhabituelle dans un tel appartement est soulignée par la prise de vues. Par contraste, la chambre de Mathilde faiblement éclairée semble dominée par une sombre couleur lie-de-vin présente notamment sur le couvre-lit. L'attitude "mourante" de Mathilde évoquera même pour certains l'ambiance de tableaux romantiques comme Le Cauchemar de Füssli (1782) Dans la même perspective, on peut voir dans certains détails d'autres allusions picturales. Par exemple le gros plan, lors de la première reconstitution, sur les chaussures de l'assassin repêchées dans l'eau ... ... peut faire penser au célèbre tableau de Van Gogh, intitulé "la Nature morte aux chaussures" (1886 : il y a plusieurs versions sur ce thème).
Néanmoins, ces allusions, cette ambiance, cette luminosité restent pris dans le mouvement général du film, et la plupart des spectateurs n'ont sans doute pas l'impression de contempler un "tableau" mais bien de regarder un film... L'appréciation — un film de peintre — ne sera donc sans doute pas partagée par tous. | ||||||
Drôle d'époque !Il est difficile de situer avec précision l'époque du film. Le style de l'auto solaire du professeur Stangerson semble en tout cas postérieure à la fin du 19e siècle, époque où se situe le roman, et elle paraît plutôt dater de la fin des années 1910 ou du début des années 20. Mais c'est surtout le costume féminin, dont les évolutions sont souvent très marquées, qui permet de situer le film avec précision : la robe de Mathilde Stangerson, comme sa coiffure à la "garçonne", est typique des années 20 — les années folles — et ne peut pas être confondue avec les robes longues de la "belle époque" où se situe le roman. D'autres détails permettent de confirmer cette date : il s'agit essentiellement des remarques de Ballmeyer sur son équipée en Amérique. Il cite notamment parmi les personnalités rencontrées à ce moment les frères Wright, inventeurs de l'aviation en 1903, mais également des artistes comme le photographe Alfred Stieglitz qui fut actif à partir des années 1890 jusqu'en 1940, les peintres John Marin (1870-1953), Hartley (vraisemblablement Mardsen Hartley, 1877-1943, qui fut notamment exposé dans la galerie d'art que Stieglitz possédait à New York), Dove ("un couillon, celui-là", dit Ballmeyer : sans doute Arthur G. Dove, 1880-1946, lui aussi soutenu par Stieglitz), c'est-à-dire autant d'artistes d'avant-garde qui émergent au début du 20e siècle et dont l'activité s'étend sur toute la première moitié de ce siècle. Mais Ballmeyer a rencontré tous ces personnages au plus tôt en 1903 (date du premier vol des frères Wright) quand lui-même et Mathilde étaient encore jeunes, âgés sans doute alors d'une vingtaine d'années, alors que "le mystère de la chambre jaune" survient bien des années plus tard, au moins après la Première Guerre mondiale, vraisemblablement dans les années 20. Toutes ces déductions peuvent paraître secondaires, mais il est incontestable que le cinéaste a volontairement déplacé dans les années 20 une action qui se déroulait dans l'œuvre romanesque originale à la fin du 19e siècle (les personnalités citées dans le film n'apparaissent évidemment pas dans le roman). On peut donc se demander quelles sont les raisons de ce choix d'une époque plus récente. En l'absence de déclaration du cinéaste, toute interprétation à ce sujet est hypothétique, mais l'on peut sans doute avancer une raison "négative" : situer l'action à la fin du 19e siècle aurait sans doute contraint Bruno Podalydès à marquer de façon beaucoup plus nette la distance historique qui nous sépare de la "belle époque" avec ses robes à crinoline, ses longs cheveux remontés en chignons volumineux et ses chapeaux hauts-de-forme. Les années 20 sont sans doute moins "marquées" (de notre point de vue), et, si nous percevons bien que l'action mise en scène ne se situe pas dans notre présent, l'époque semble appartenir à un passé assez vague, indéterminé, presque "intemporel". Il a ainsi évité de faire un film "à costumes" qui aurait pu paraître trop éloigné de nous. | ||||||
Costumes ?De manière générale, les costumes, notamment masculins, sont assez neutres, même si le générique nous apprend que "Pierre Arditi est habillé par Dormeuil" (une célèbre maison de couture parisienne aujourd'hui implantée dans le monde entier). Mais, si tous les personnages masculins portent (sauf des personnages "populaires" comme le Père Jacques, le garde-chasse ou le concierge Bernier) un costume trois-pièces, gris, bleu ou noir, fort classique, Rouletabille fait exception avec son veston noir, son pantalon beige et sa cravate rouge (on remarquera que Sainclair est quant à lui habillé d'un costume beige mais uniforme). En outre, un gros plan, lors de ses explications sur la fuite de l'assassin, souligne à notre attention son pantalon trop court et ses chaussures bicolores, brunes et blanches. Le personnage est donc désigné comme légèrement "excentrique", décalé par rapport aux autres personnages. Bien entendu, d'autres caractéristiques, notamment de comportement, confirment cette interprétation. Mais une observation plus fine fait apparaître l'un ou l'autre détail plus ou moins saugrenu comme par exemple les chapeaux boules que portent les policiers subordonnés de Larsan. S'il s'agit d'un accessoire vestimentaire daté, il est impossible, dans ce cas-ci, de ne pas penser aux célèbres Dupond et Dupont des aventures de Tintin. L'allusion facilement perçue est très vraisemblablement ironique. Également ironique sans doute la plume d'aigrette qu'arbore de façon légèrement ridicule Mathilde Stangerson au bal de l'Élysée. Ici, c'est surtout le caractère daté de l'accessoire qui nous fait sans doute sourire. Le casque de soudeur, que porte le père Jacques, est sans doute fonctionnel, mais, lorsqu'il réapparaît sur la tête de "l'assassin", il se transforme en déguisement un peu saugrenu ou du moins inatrendu : il s'agit là d'une invention du cinéaste (ou de ses accessoiristes) puisque, dans le roman, l'assassin porte une perruque et une fausse barbe. Ce déguisement lui donne sans doute un aspect de robot, de mécanique, qui peut rappler l'apparence effrayante de Dark Vador dans la Guerre des étoiles. | ||||||
Plans longs...Seule une observation attentive au cours de la projection permet de se souvenir de la présence (ou de l'absence ?) d'un plan-séquence. On remarquera qu'il est d'ailleur souvent difficile de distinguer un plan relativement long d'un plan-séquence (qui est censé correspondre à la totalité d'une séquence). Parmi les plans relativement longs qui ont exigé un important travail d emise en scène, l'on peut citer par exemple
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