Une analyse musicale
réalisée par Brigitte Boëdec et consacré au film
Amen.
de Constantin Costa-Gavras
France, 2002, 2h10
musique originale : Armand Amar
Il est constitué d'un «ostinato** rythmique» haletant, aux cordes, [nous voyons un
personnage de dos, il entre dans l'immeuble de la S.D.N à Genève]
Ce personnage est longuement accompagné par cet ostinato qui crée d'emblée un climat
inquiétant, un sentiment de poursuite et d'urgence : nous allons apprendre que le temps presse ( = il ne faut plus perdre de temps)
L'homme jette des tracts sur le bureau des conférenciers / la musique cesse à ce moment précis.
Il sort un pistolet de son veston, se suicide /
le bruit des rumeurs de l'assemblée
remplit alors l'espace sonore et remplace la musique.
Il s'agissait d'un jeune juif, Lux, venu dénoncer aux instances internationales, dès 1936,
les sévices subis par les juifs en Allemagne.
La mémoire auditive du spectateur est sollicitée :
À la fin du film, Riccardo sortira, de la même manière une étoile jaune de sa veste de
jésuite, créant la même
rumeur et signant, lui aussi, son arrêt de mort pour dénoncer les mêmes
exactions.
* Un leitmotiv est un thème musical associé à une idée, à un personnage, il apparaît toujours en même temps que lui, parfois il l'évoque ou le précède, Wagner a beaucoup utilisé le principe du leitmotiv dans ses opéras mais on le trouve déjà chez Berlioz avec le thème de « l'idée fixe », dans la Symphonie Fantastique.
** Un «ostinato» désigne un motif musical qui se répète de manière obstinée : dans le cas présent, ce motif est rythmiquement répétitif aux cordes, il est haletant parce qu'il n'y a aucune pause (aucune possibilité de reprendre son souffle). Un ostinato peut être un thème, il est, en général assez court et sa spécificité est ce caractère répétitif qui donne le sentiment qu'il tourne en rond. Il peut être mélodique ou rythmique.
1. Cet ostinato haletant aux cordes, est très récurent pendant toute la durée du film : on peut donc l'appeler «leitmotiv» : il apparaîtra désormais, à chaque fois que nous verrons les wagons, ouverts ou fermés.
2. La 2ème apparition du leitmotiv coïncide très exactement avec la révélation faite à Gerstein :
il a été témoin qu'un processus d'extermination massive se met en place [il est lui-même dans
un train qui croise ce train aux wagons ouverts.]
Ce leitmotiv sera désormais associé aux images de wagons, parfois ouverts, parfois fermés, parfois le jour, sous la neige...
3. Une autre signification, plus pointue est attachée à ce thème : nous l'entendons de manière systématique à chaque fois qu'une tentative (de Gerstein puis de Riccardo) pour faire cesser ces convois de la mort se solde par un échec.
[Riccardo arrive à destination dans un camp de la mort] Nous avons des images de wagons
mais cette fois ci, le leitmotiv est absent : toutes les tentatives ont échoué, les voix se sont tues,
la musique se tait elle aussi.
Riccardo (comme Lux au début du film) a peut être cessé de croire en la parole de l'homme : «amen» ainsi soit-t-il.
Cette absence de musique est à mettre en parallèle avec le début du film, le silence a pris toute la place, il ne reste plus que la mort massive : silence absolu.
Elle apparaît trois fois et, dès sa première apparition, elle crée une très nette différence d'ambiance avec ce que nous venons de vivre et d'entendre : la mort de Lux. L'ostinato était inquiétant, ce nouveau thème est guilleret, une ambiance de fête règne dans une Allemagne qui triomphe (les cuivres) : défilés militaires dans l'allégresse.
La musique joue ici un rôle fonctionnel : elle rythme les années qui passent.
Ce thème de fanfare subit une lugubre transformation : [image des soldats qui frappent en cadence avec leurs fusils, dans le camion qui les conduit au front] /la musique de la victoire et ses flonflons naïfs ont disparu de l'espace sonore, il ne reste plus que ces pauvres percussions d'une population qui, malgré les signes évidents de la défaite, tente coûte que coûte de « croire en sa musique ».
( 3ème apparition musicale du film)
Ce thème musical n'est pas anodin : Costa-Gavras s'autorise une caricature grotesque.
Il s'agit du thème de l'évêque [traversant Berlin, à pied, mais en grandes pompes et d'une allure exagérément allegro] il va se plaindre officiellement et de manière rude au tribunal pour les exactions commises par les nazis.
La musique est ici paradoxale : il s'agit d'un divertissement pianistique.
L'intérêt de cette séquence musicale est double :
Il y a bien d'autres thèmes musicaux dans ce film, ils font partie des décors, au même titre que les images, les mouvements de caméras et campent des contextes socio-culturels. Les musiques permettent ainsi de faire l'économie d'explications, ce rôle de la musique est fonctionnel, structurant et fait appel à des connaissances que nous avons en commun (on peut parler d'une culture musicale collective )
L'analyse musicale d'un film est une piste qui permet de construire une argumentation dans l'interprétation, elle n'est certes pas la seule piste, elle apporte néanmoins une possibilité de recul.
Une critique cependant concernant la musique dans ce film : on peut regretter un manque de sobriété, le leitmotiv (qui est, de surcroît, un ostinato) est trop présent; ses répétitions sont assénées trop souvent et alourdissent l'ensemble.