S’inspirant librement d’une histoire vraie aux résonances universelles, Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet) rend hommage, avec brio, à un architecte dont le travail et les convictions radicales d’artiste se sont heurtés à la complexité du réel et à la realpolitik
1983, François Mitterrand décide de lancer un concours d'architecture international pour le projet phare de sa présidence : la Grande Arche de la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe. À la surprise générale, Otto von Spreckelsen, architecte danois, remporte le concours. Du jour au lendemain, cet homme de 53 ans, inconnu en France, débarque à Paris où il est propulsé à la tête de ce chantier pharaonique…
En mélangeant l’ironie, le tragique et la tendresse, ce film original et fort aborde le rapport au travail et à l’intégrité, tout en dressant le portrait des arcanes du monde politique et des luttes d’influence secrètes. Cela se déroule dans les années 1980 à Paris et cette dimension historico-sociologique est admirablement rendue à l’écran, la reconstitution recourant à un sens convaincant de l’épure.
Cependant, ce qui s’exprime dans cette histoire peut entrer en résonance avec n’importe quelle époque et n’importe quel univers créatif. Le film est en cela politique quand il montre combien l’indépendance d’un artiste est difficile à protéger, combien il n’est pas simple d’espérer aller au bout de ses fulgurances les plus inventives et les plus radicales quand on sait le rôle que joue l’argent dans l’art.
Pour mettre de la nuance et ne pas faire de son personnage un martyr à glorifier aveuglément, le film montre à quel point la puissance d’une vision personnelle a besoin de la force du collectif. Qu’à un moment de l’histoire entre en scène un ministre de droite qui n’aura pas les mêmes égards pour le budget du projet de l’architecte raconte aussi quelque chose de la mainmise du capitalisme sur l’art et la fragile liberté dans la création.
Passionnant, jamais rébarbatif dans sa description fine et technique du travail de l’architecte qui mêle des questionnements d’ordre esthétique et social, le film de Stéphane Demoustier célèbre un génie invisibilisé, un artiste fébrile, différent, un poète prêt à mourir pour ses idées. Créer est un travail douloureux.
Nicolas Bruyelle, les Grignoux