Un an après Quand vient l’automne, François Ozon signe l’adaptation du célèbre roman d’Albert Camus, L’Étranger. Dans un noir et blanc sensuel et lumineux, il retrace l’itinéraire de Meursault, anti-héros mutique et nihiliste, dont l’apparente absence d’émotions questionne profondément notre conscience morale
Alger, 1938. Meursault, un jeune homme d’une trentaine d’années, modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain, il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il reprend sa vie de tous les jours. Mais son voisin, Raymond Sintès, vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…
Roman à grande dimension philosophique, L’Étranger a la réputation d’être une œuvre inadaptable. Pourtant, François Ozon, l’un des cinéastes les plus prolifiques du cinéma français, parvient à transcender l’héritage du livre dans un film aussi trouble qu’énigmatique.
En reprenant dès le début du film des archives télévisées des années 1940 présentant la ville d’Alger sous occupation française, Ozon dresse le contexte de l’action en y ajoutant d’emblée un regard post-colonial, palier significatif supplémentaire absolument nécessaire aujourd’hui pour aborder le crime originel de Meursault : avoir tué un Arabe. Peu questionnée à l’époque, la dimension raciste du meurtre trouve ici un écho inédit, sans pour autant détourner le film de son axe central : le détachement radical du protagoniste face au monde. Meursault, ce personnage mythique, monstre d’indifférence, peut-être d’orgueil, est une pure énigme, un bloc d’opacité. Il symbolise une forme d’absurde qui appelle la métaphysique. Il parle peu, paraît insensible, absent au monde. Ozon n’en fait pas pour autant un être abstrait. Il parvient au contraire à le rendre éminemment sensuel, terrien, à travers la performance remarquable de Benjamin Voisin. À la fois indolent et ferme, animal et charnel dans sa manière de sommeiller au soleil, de fumer clope sur clope, de boire du café, ni désespéré ni heureux, observateur et attentiste, Meursault n’espère rien de la vie, qu’il est le premier à trouver absurde. Et qu’il dévore par moments – il ne mange pas, il bâfre.
Le pari réussi d’Ozon est de rendre fascinant cet étranger à tout, criminel par son meurtre, criminel aussi vis-à-vis de l’ordre établi. Au-delà du bien et du mal, Meursault refuse le mensonge, le théâtre social, la comédie humaine, l’amour.
Anti-héros insaisissable, Meursault nous renvoie sans cesse au sens profond de l’existence. Et c’est justement cette radicalité qui fait de lui l’un des personnages les plus romanesques.