Tournée en à peine quinze jours, mise en scène de manière millimétrée par un Fritz Lang au sommet de son art, cette vision pessimiste et violente des États-Unis et de leurs idéaux annonce les polars des sixties
Fritz Lang considérait Règlement de comptes comme le meilleur film de sa période américaine. Et n’hésitait pas à le comparer à M le maudit. La rapidité du tournage montre la maîtrise complète du cinéaste néo-hollywoodien. La force du scénario réside dans le maintien constant du suspense, alors même qu’il n’y a aucune inconnue dans l’enquête. Les suspects sont désignés d’avance. Le spectateur en sait toujours un peu plus long que Bannion (Glenn Ford, le ténébreux), ce sergent que le suicide d’un policier conduit à la poursuite du parrain de la ville, Mike Lagana… Mais jamais on ne peut deviner dans quelle direction l’intrigue va se diriger.
Règlement de comptes est un film sur la frontière, entre probité et corruption, entre devoir et vengeance. « Il faut savoir accepter les mauvais côtés comme les bons », constate Debby (Gloria Grahame, la magnifique), petite amie de l’homme de main de Lagana. Fritz Lang dresse le portrait d’un homme qui, justement, refuse cette frontière et l’hypocrisie qui l’entoure. La ligne de séparation est physique, matérialisée dans le plan. Ici, tout se mélange. La police, la politique, la justice sont aux ordres de Lagana. Même Bannion, après sa démission, hésite. Ira-t-il jusqu’à employer les mêmes méthodes que ceux qu’il pourchasse ? Simplicité magistrale de ce voyage moral au cœur de l’âme humaine qui avait conduit Truffaut, bouleversé, à écrire cette sentence définitive à propos du film : « Il faut aimer Fritz Lang. »