Après le succès retentissant de La Nuit du 12, enquête policière sur fond de violences faites aux femmes, Dominik Moll s’immerge à nouveau dans le genre du polar. À travers l’enquête d’une flic de l’IGPN — la police des polices — sur un cas de violence policière, le cinéaste signe un film éclairé et percutant sur les fractures sociales qui divisent notre société. En compétition officielle au Festival de Cannes
L’ancrage du film est bien réel : nous sommes en 2018, les manifestations citoyennes des Gilets jaunes prennent une ampleur inattendue et sont sévèrement réprimées par les forces de l’ordre. De ce déferlement de violences policières, le journaliste David Dufresne avait tiré un documentaire saisissant, Un pays qui se tient sage (2020), qui interrogeait la légitimité de l’usage de cette violence par l’État. En proposant d’aborder ce même sujet à travers le point de vue d’une enquêtrice de l’IGPN, Dominik Moll offre un regard inédit sur ces dérives qui cristallisent un grand nombre d’enjeux de société, ainsi que le glissement insidieux de nos institutions vers un État policier.
Stéphanie (toujours impressionnante Léa Drucker) a intégré la police par vocation. Anciennement aux stups, elle a fini par postuler à l’IGPN par facilité, car les horaires se conciliaient davantage avec l’organisation familiale. Le regard qu’elle porte sur la police, dont elle incarne elle-même l’un des rouages, est fondé sur la croyance ferme que celle-ci existe pour protéger le peuple. C’est cette croyance, et la manière dont celle-ci structure sa vision du monde, qui va progressivement être mise à mal tout au long de son enquête.
Le dossier en question est celui de Guillaume Girard, jeune garçon de 20 ans monté à Paris pour protester contre le délitement des services publics et retrouvé inconscient à l’angle de deux rues, le crâne fracturé par un tir de flash-ball. Stéphanie et son équipe sont appelés à investiguer pour déterminer quel policier a fait usage de son arme, si le tir était justifié et réalisé dans les normes légales de la balistique. Une enquête minutieuse et exigeante impliquant un grand nombre de vidéos de surveillance à analyser, de témoignages à collecter et à comparer, de procès-verbaux à rédiger et de faits à reconstituer.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est la précision de cette enquête, méthodique et pointilleuse. Un jargon procédurier pourtant transcendé par l’ampleur de la mise en scène qui parvient à rendre ce langage technique tout à fait cinématographique. Parfait contre-pied aux enquêtes criminelles sensationnelles formatées par la télévision, Dossier 137 suit une ligne nette et précise qui n’en demeure pas moins impressionnante dans sa narration. Multipliant les points de vue (ceux des policiers impliqués, de la hiérarchie de l’IGPN, des plaignants, des témoins mais aussi des proches de Stéphanie), le scénario étoffe progressivement la complexité de ce dossier 137 dont les enjeux dépassent l’enquête en question et débordent sur l’état de notre monde actuel et de nos démocraties vacillantes.
À quoi sert la police aujourd’hui ? Qui défend-elle ? Qui protège-t-elle ? Telles sont les questions qui nous traversent à la vision du film. Une réflexion largement bienvenue à l’heure où le ministre de la Défense belge milite pour l’utilisation d’armes à air comprimé à l’encontre des citoyens manifestants, considérés à ses yeux comme des émeutiers…
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux
Rencontre avec OSVP Liège (Outils solidaires contre les violences policières), Rémy Farge de la Ligue des droits humains et le collectif qui a suivi et réalisé un contre-récit sur le procès des émeutes de la place Saint-Lambert en 2021
Places prochainement en vente en ligne et aux caisses de nos cinémas