La parole
On constate facilement que Million Dollar Baby est un film où la parole joue un rôle essentiel. C'est le cas bien sûr des interventions de la voix off, celle de Scrap qui accompagne une grande partie du film. Cette voix off se fait cependant facilement oublier, même si elle apporte à plusieurs reprises des informations essentielles. C'est ainsi notamment qu'à la fin du film, l'on comprendra que Scrap (qui parle en voix off) s'adresse en fait à la fille de Frankie. De façon générale, la voix sourde de Scrap donne une tonalité mélancolique au film par la gravité de ses propos sur la nature même de la boxe
Par ailleurs, à l'observation, on remarque que la parole est un moteur essentiel dans pratiquement toutes les séquences : les personnages s'affrontent, les personnages s'esquivent, les personnages évoluent, mais tout cela passe essentiellement par la parole.
Un exemple parmi bien d'autres : à la salle de boxe, Shawrelle "attaque" Maggie en s'en prenant à son physique et à ses seins peu développés, mais la jeune femme "l'envoie au tapis" par une réplique humoristique où elle rappelle que lors de son dernier combat, qu'il s'est retrouvé cloué au sol "comme si la toile avait des nichoons". Si des gestes et des attitudes accompagnent les paroles, le "combat" est on le voit purement verbal (ce qui peut presque paraître paradoxal dans un film sur la boxe). Ces répliques et bien d'autres révèlent combien Million Dollar Baby est un film "écrit", qui a nécessité un important travail de rédaction, notamment pour donner un aspect spontané ou "naturel" à ces dialogues qui fusent comme des tirs de mitraillette.
La seule action que l'on peut qualifier de décisive réside sans doute dans le dernier combat de Maggie où son adversaire, par sa traîtrise, brise le cours de sa vie. Dans toutes les autres séquences, le moteur de l'action réside dans les paroles échangées entre les personnages.
Pour terminer à ce sujet, voici donc, pour le plaisir du spectateur, les principales réflexions de Scrap sur la boxe :
- Les gens adorent la violence. Ils ralentissent quand il y a des accidents. Ce sont eux aussi qui aiment la boxe. Ils n’ont aucune idée de ce que c’est. La boxe tourne autour du respect. Gagner du respect pour soi-même et le prendre à son adversaire.
- Frankie disait que boxer n’était pas naturel, que tout fonctionnait à l’envers. Parfois la meilleure manœuvre consiste à reculer. Mais si vous reculez trop, vous ne pouvez pas boxer.
- Selon certains, un boxeur doit avant tout posséder la foi. Frankie a dit : « Montrez-moi un boxeur qui n’a que ça et je saurai qu’il va se faire démolir. »
- S’il y a de la magie dans la boxe, c’est la magie de combattre au-delà de ses propres limites, au-delà des côtes cassées et des rétines qui se décollent... La magie de tout risquer pour un rêve qu’on est seul à voir.
- La boxe est contre-nature. Tout y va à l’envers. Pour aller à gauche, tu ne fais pas un pas à gauche. Tu appuies sur l’orteil droit. Pour aller à droite, tu appuies sur l’orteil gauche. Au lieu de fuir la douleur comme quelqu’un de sensé, tu t’y enfonces.
- On montre comment se tenir debout, les jambes sous les épaules. Pour faire un boxeur, il faut gratter tout le vernis. On ne se repose qu’une fois mort. Il ne suffit pas de dire de tout oublier. Il faut qu’ils oublient jusque dans leurs os. Les fatiguer jusqu’à ce qu’ils n’entendent plus que ta voix, qu’ils n’écoutent que toi et rien d’autre. Savoir déséquilibrer l’autre en gardant l’équilibre. Comment lancer le mouvement par l’orteil. Et comment plier les genoux quand tu envoies un jab. Comment se battre en reculant pour que l’autre te poursuive pas. Et puis tout leur remontrer. Encore et encore. Jusqu’à ce qu’ils aient ça dans le sang.
- Le corps en sait plus que le boxeur. Il se protège. Un cou a une torsion limitée. Juste un poil de plus et le corps dit : « Je prends le contrôle, tu ne sais pas ce que tu fais ». « Reste allongé, repose-toi, on en reparlera quand tu reviendras à toi ». C’est le mécanisme du KO.
- Les boxeurs sont des têtes de cochon. Ils pensent en savoir plus que vous. En fait, même quand ils ont tort, même si ça les mène à leur perte, si on les en prive, c’est plus des boxeurs.
- Certaines blessures sont trop profondes ou trop près de l’os. On a beau faire, ça continue à saigner.
- C’est la règle toujours se protéger. On ne suit jamais ses propres conseils.
- Et la réplique de Frankie : "Girlie, touch ain’t enough".
© Les Grignoux - Michel Condé, 2006