La rencontre bouleversante entre un homme amnésique et une femme qui aurait préféré l’être… Avec Memory, Michel Franco signe un drame à fleur de peau dont l’intensité grandit progressivement en nous au-delà même du générique.
Prix d’interprétation pour l’acteur Peter Sarsgaard au Festival de Venise 2023
Sylvia mène une vie simple, structurée par sa fille, son travail et ses réunions des Alcooliques Anonymes. Pourtant, ses retrouvailles avec Saul bouleversent leurs existences, réveillant des souvenirs douloureux que chacun avait enfouis jusque-là.
Michel Franco, cinéaste mexicain à qui l’on doit Sundown et New Order (sortis tous deux en 2022), nous a habitués à des univers froids, distanciés, aux scénarios toujours surprenants mais où l’émotion peinait parfois à percer. C’est donc assez étonnant de découvrir Memory, drame sensible, reposant sur des non-dits, des chagrins enfouis que l’on devine sans qu’ils soient exposés.
Sylvia (magnifique Jessica Chastain) fait partie de ces personnes habitées par une tragédie intime et qui tentent de mener une vie normale malgré tout. Mais qui, une fois rentrées dans leur appartement, s’y barricadent jusqu’au lendemain, empêchant même leurs enfants d’en sortir. Saul (le tout aussi touchant Peter Sarsgaard), lui, est atteint de démence et a perdu la mémoire. Il a de la prestance, un regard profond qui révèle l’expérience d’une vie riche, une grande vivacité d’esprit, ainsi qu’une insondable mélancolie. Pourtant, quand il sort, il peut ne pas retrouver son chemin et se mettre à errer, absent à lui-même, dans les rues de New York. C’est ainsi qu’un soir, après une réunion d’anciens élèves, il décide de suivre Sylvia et s’endort sur le trottoir face à son immeuble… Entre eux se nouera une relation d’abord imprécise. Sylvia, aide-soignante de formation, sera engagée pour prendre soin de Saul. Mais peu à peu, c’est lui qui, grâce à sa mémoire blanche, sa douceur spontanée, finira par prendre soin d’elle et l’amener vers une résilience jusque-là impossible…
Quel bonheur, quelle catharsis immense d’observer ces deux superbes acteurs endossés les habits de ces protagonistes dont l’empathie, l’affection qu’on leur porte, reposent essentiellement sur ce que l’on déchiffre de leur histoire respective sans en avoir une nette certitude.
En plus d’une très belle histoire d’amour, Memory est aussi une immense histoire de tragédie familiale. Le scénario nous invite aussi dans l’intimité des relations que Sylvia et Saul entretiennent avec leur frère et sœur, ainsi que neveux et nièces. Là où, comme dans chaque famille, s’immiscent les drames et les secrets qui, même bien ensevelis, palpitent encore dans les vaisseaux des cœurs de chacun
(parfois même sans en avoir conscience), pour resurgir, parfois – comme c’est le cas ici –, dans un climax révélateur, et mémorable.
ALICIA DEL PUPPO, Les Grignoux