Découvert à Cannes où il aurait mérité figurer en compétition, le film des frères Larrieu (Peindre ou faire l’amour) aborde la paternité, les relations humaines et le temps qui passe avec simplicité et générosité, au cœur de magnifiques décors montagnards
Aymeric retrouve Florence, une ancienne collègue de travail, au hasard d’une soirée à Saint-Claude dans le Haut-Jura. Elle est enceinte de six mois et célibataire. Quand Jim nait, Aymeric est là. Ils passent de belles années ensemble, jusqu'au jour où Christophe, le père naturel de Jim, débarque... Cela pourrait être le début d’un mélo, c’est aussi le début d’une odyssée de la paternité…
En adaptant le roman de Pierric Bailly, les frères Larrieu signent peut-être leur film le plus émouvant, le dernier en date d’une carrière déjà longue et parfaite dont la tonalité, légèrement excentrique et si délicatement poétique, la situe en porte-à-faux de la production française d’auteur classique.
Le récit embrasse une longue période, près d’un quart de siècle, que les cinéastes appréhendent sans découper leur récit en segments hétérogènes, sans forcer la dramaturgie. Ils le font à travers un usage adroit de la musique et de l’ellipse qui fait tout glisser sereinement, sans secousse, emportant les événements dans le flux du temps. Puis, ce recours à la voix off et cette volonté de révéler la part romanesque que tout destin cache en lui renvoient aux romans d’apprentissage classiques, tout comme au cinéma de François Truffaut.
Cette approche donne au film une couleur et une épaisseur singulières qui l’inscrit, de façon presque paradoxale, à la fois dans et hors du temps. Très régulièrement dans leur œuvre, les cinéastes ont traité du thème de la famille, souvent plus recomposée que traditionnelle comme ici, de ces liens qui ne sont pas forcément de sang, de cette vie à plusieurs chaleureuse et pleine de promesses.
A chaque fois, ils s’entourent de magnifiques comédiennes et comédiens pour lesquels on ressent beaucoup d’empathie, qui incarnent des personnages formant un groupe dans lequel personne ne prend le dessus sur l’autre, où il n’y a fondamentalement pas de conflits.
Devenu père de substitution par hasard, Aymeric prend les choses comme elles viennent, sans jamais réagir trop fort à ce qui lui arrive. Il incarne cette masculinité fragile et timide qui va si bien à Karim Leklou, un comédien à la présence magnétique. Aymeric, son personnage, possède ce regard mélancolique plein de fêlures et de générosité propre à ces héros qui, sans faire de vague, n’ont d’autre ambition que d’être en phase avec eux-mêmes et les autres. Aymeric aborde le chemin de l’existence sans se poser de questions, porté par son destin. A travers lui, le film traite mélancoliquement du temps qui passe et de la paternité partagée, sans recourir aux codes du mélo. Le cinéma des Larrieu se focalise sur les relations humaines, sans faire passer un message, plutôt des sensations. On s’installe dans leur film comme si l’on rejoignait un groupe d’amis pour passer du bon temps, sans chercher à maîtriser le déroulement de la soirée.
Quand des personnages (ré)apparaissent au cours de l’histoire, ils ne portent pas en eux le poids du pathos. Ils font en sorte que l’histoire surprenne en prenant une autre tonalité (plus sensible encore). Elle nous emporte alors, sur la pointe des pieds, vers des rencontres et des retrouvailles apaisées. Filmées sans esbrouffe, ces trajectoires de vie s’inscrivent dans de merveilleux paysages ruraux et montagnards au gré des saisons, une manière de donner un rôle fondamental aux territoires et à l’humeur du temps. Dans le cinéma des frères Larrieu, les maisons et les paysages donnent envie d’aller y passer du bon temps et d’apprendre de ces personnages qui n’ont pas leur pareil pour avancer dans l’existence.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux