Immersion affolante dans le psychisme d’un schizophrène, voici le plus « jeune » des Classiques du Churchill à ce jour, mais certainement pas le moindre. Cinéart, notre distributeur chéri, a eu la bonne idée de ressortir une copie restaurée de ce film majeur dans la filmographie de Lynch
Quand David Lynch signe Lost highway en 1997, cela fait cinq ans qu’il n’a pas fait de film (Twin peaks : fire walks with me date de 1992) et sept ans qu’il a connu son dernier vrai succès au cinéma (Sailor & Lula, Palme d’or en 1990), soit une double éternité à l’aune du temps accéléré de l’actualité cinéma. Mais dans l’intervalle entre ces deux derniers films, Lynch a aussi créé Twin peaks, objet télévisuel séminal qui a inauguré l’ère sériephile et qui reste la série télé la plus singulière et hors normes de l’histoire.
Lost highway est un film noir étrange où les personnages se dédoublent, où la réalité semble fonctionner sur plusieurs niveaux, où le temps se tord et se boucle sur lui-même tel une spirale einsteino-hitchcockienne. Le film est un tour de force mélangeant imagerie de film noir, figures de freaks inquiétants et invention narrative quasi-exprimentale. Comme dans tous les Lynch, la musique est un élément-clé de sa mise en scène. Son complice habituel, Angelo Badalamenti, a concocté une BO plus angoissante qu’à son habitude, et son travail est complété par le rock extrêmement sombre et flippant de Nine Inch Nails et de Rammstein. La séquence d’ouverture sur une autoroute de nuit est scandée par le superbe et torve I’m deranged de David Bowie. Chef-d’œuvre de Lynch, Lost highway amène à un certain degré de perfection les inventions hallucinées de Blue velvet ou de Sailor & Lula. Et faisant mentir son titre (signifiant l’autoroute de nulle part), il annonce un autre chef-d’œuvre : quatre ans plus tard, Mulholland drive enfoncera le clou noir, rêveur, cauchemardesque et poétique planté par Lost highway.