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Quand on est le petit-fils de Liv Ullman et Ingmar Bergman, on a le cinéma dans le sang. Thriller psychologique angoissant, radioscopie d’adultes en crise et réflexion métaphysique sur la notion de vérité, Armand est surtout un précis de mise en scène qui impressionne par sa maîtrise et sa virtuosité
Lorsqu'un incident se produit à l'école, les parents des jeunes Armand et Jon sont convoqués par la direction. Tout le monde a du mal à expliquer ce qui s’est réellement passé : les récits des enfants s’opposent, les points de vue s’affrontent, jusqu’à faire trembler les certitudes des adultes…
Le plus épatant sans doute est que Halfdan Ullmann Tøndel ne s’emprisonne jamais dans une forme gratuitement spectaculaire. De bout en bout, les personnages demeurent la matière première et vivante du film d’un cinéaste qui aime piquer là où ça fait mal.
Il s’engouffre dans les zones d’ombre des relations humaines pour en extraire le fiel de la violence, de la fragilité et de la souffrance. Ici, la vérité bute contre le mur de l’inexplicable et est source d’incompréhensions permanentes, de rebondissements psychologiques que l’on dirait extraits d’une histoire fantastique.
L’atmosphère inquiétante, presque gothique, que distille cette école aux longs couloirs vides et sombres, filmée comme un château hanté, participe de cette confusion entre le réel et l’onirique. Tous les partis pris esthétiques du réalisateur (cadrage fixe, temps étiré, son feutré) nourrissent cette angoisse, pesante, qui traverse une histoire très bien écrite, dont les fils se délieront petit à petit. Rien n’y est jamais platement révélé. Tout est sous-entendu, et fait pour que l’on soit mal à l’aise, tétanisé et perturbé. Il y a l’alarme de l’école qui, régulièrement, se déclenche par inadvertance et symbolise un corps enseignant démuni, au bord de la rupture. Ou bien cette psychologue victime de saignements de nez soudains alors qu’elle apporte des informations importantes aux parents. Pensons encore à cette séquence où la maman d’Armand enclenche un fou rire nerveux et interminable, sans doute l’un des plus longs de l’histoire du cinéma, qui pétrifie autant qu’il fait… rire.
Caméra d’or à Cannes l’an dernier, Armand est un formidable huis clos anxiogène qui laisse les enfants quasiment hors champ pour se focaliser sur des adultes en crise et leur incapacité à concevoir les relations autrement que dans la dureté et la confrontation. Par la grâce de la performance, magistrale, des comédiennes et comédiens (notamment Renate Reinsve, primée à Cannes en 2021 pour son rôle dans Julie en 12 chapitres), l’on entend aussi résonner ces battements de cœur au bord de la rupture, dans ces nombreuses scènes de confessions intimes et de relâchement mental. Armand raconte l’importance d’aller au-delà des apparences avant de tirer des conclusions hâtives. Que gardent les enfants en eux des souffrances profondes de leurs parents, et inversement ? Cette double question hante le film jusqu’à son final à couper le souffle, d’une puissance cinématographique à tomber par terre.
Nicolas Bruyelle, les Grignoux
