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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Le Procès du siècle
(Denial)

de Mick Jackson
États-Unis/Grande-Bretagne, 2017, 1h50

Ce dossier pédagogique consacré au film le Procès du siècle propose deux grandes pistes pour exploiter la vision de ce film avec un public de spectateurs, jeunes ou moins jeunes, qui ne sont pas des historiens de profession et n'ont qu'une connaissance sommaire de la destruction des Juifs d'Europe par les nazis.

Dans la première partie, l'on propose de soumettre aux spectateurs un questionnaire sur l'histoire de la destruction des Juifs par les nazis. À travers des questions précises, il s'agira de faire prendre conscience aux participants qu'ils connaissent sans doute assez mal l'ensemble de ce processus et du contexte politique où il s'est déroulé. Or c'est précisément grâce à cette méconnaissance que les négationnistes parviennent à semer le doute dans les esprits.

Dans la seconde partie, l'on reviendra sur le film et sur les conclusions qu'on peut en tirer. Il s'agit évidemment d'une reconstitution d'un procès en diffamation dont l'existence des chambres à gaz n'était pas l'objet premier, même si les défenseurs de Deborah Lipstadt ont dû apporter documents, preuves et arguments sur cette question. Il est donc important de faire à ce propos des distinctions importantes entre la vérité cinématographique, la vérité judiciaire et la vérité historique. On s'attardera plus particulièrement sur ce dernier point: comment en effet les historiens établissent-ils la vérité des faits ? Comment peuvent-ils échapper à une forme de scepticisme ou de relativisme généralisé ? Quel est en définitive le travail des historiens ?

L'extrait proposé ci-dessous est tiré de cette seconde partie.

Qu'est-ce que ça prouve?

Le Procès du siècle pose la question de la preuve: qu'est-ce qui prouve que les chambres à gaz ont existé à Auschwitz? et ailleurs? Qu'est-ce qui prouve que le génocide a bien eu lieu? Qu'est-ce qui prouve que les plus hautes autorités nazies ont décidé d'exterminer l'ensemble des populations juives d'Europe occupée?

Mais, à l'issue de la projection, peut-on dire que la preuve est faite?[1] La réponse doit être nuancée et implique sans doute de faire certaines distinctions.

Proposons aux participants de distinguer le film, la décision judiciaire, la vérité historique. Suscitons la réflexion à ce propos avec les questions suivantes:

  • Le film: que montre, que dit, que raconte le film? Peut-on parler de preuve? de vérité? ou seulement d'illustration?
  • La décision judiciaire: que dit exactement cette décision? Cette décision est-elle une preuve? Pourquoi y a-t-il eu une incertitude sur l'issue de ce procès? Qu'est-ce que le procès a montré quant à l'existence des chambres à gaz? Quel a été le rôle des médias dans ce procès? Y a-t-il eu un ou plusieurs moments décisifs dans ce procès? Pourquoi?
  • La vérité historique: quel fut le rôle des historiens dans ce procès? Les historiens montrent-ils des réalités, étudient-ils des questions différentes de celles du monde judiciaire? Quelles sortes de preuves apportent-ils sur le génocide juif? Est-ce que pour les historiens, il n'y a désormais plus rien à dire ou à étudier sur Auschwitz? Pourquoi peut-on dire les «négationnistes» de la Shoah ne sont pas de véritables historiens?

Commentaires

Il est important que les participants prennent le temps de la réflexion personnelle et qu'ils échangent à propos des questions et des distinctions qui viennent d'être faites. Il n'est pas du tout sûr en revanche qu'ils soient capables d'y répondre de manière pertinente. En effet, les réponses exigent des connaissances spécifiques qui ne sont pas acquises par tout le monde: la vérité judiciaire a en effet ses propres normes — par exemple, le doute doit toujours bénéficier à l'accusé — et ses propres critères — par exemple l'intentionnalité est constitutive des fautes qualifiées de dolosives en droit civil —[2]; l'histoire quant à elle a une méthode, des procédures qui lui sont spécifiques et qui exigent une initiation et un apprentissage. Bien entendu, vérité judiciaire et vérité historique ne sont pas totalement différentes de la vérité au sens commun, mais la seule réflexion ne permet pas de comprendre ce qui les différencie.

On trouvera donc ici quelques commentaires qui pourront être lus et éventuellement discutés par les participants. L'on comprendra facilement que les commentaires les plus importants [non reproduits sur cette page web] concernent le travail des historiens et la manière dont ils établissent la vérité, même si, dans une perspective d'éducation aux médias, l'analyse de la reconstitution cinématographique est certainement intéressante pour les spectateurs, jeunes ou moins jeunes.


1. L'auteur de ce dossier n'a aucun doute quant à l'existence des chambres à gaz à Auschwitz et dans les autres centres d'extermination. Mais enseignants et animateurs peuvent être confrontés au scepticisme ou à l'incrédulité de personnes qui, sans être des négationnistes, peuvent être sensibles aux «arguments» de ces derniers (qui cherchent bien sûr à créer le doute sans cependant apporter de véritable connaissance historique: ils sont bien sûr incapables de dire par exemple ce que sont devenus les 24 mille Juifs déportés de Belgique et qui ne sont jamais revenus). La question de la preuve se pose donc, même si le film Le Procès du siècle y apporte déjà des éléments de réponse.

2. On n'a cité ici que des exemples simples et bien connus de normes et critères judiciaires. Mais les réalités judiciaires sont évidemment plus complexes, et même les normes apparemment les plus simples donnent lieu à des interprétations différentes et parfois conflictuelles entre juristes.

Photo du film

La vérité au cinéma?

Le Procès du siècle est évidemment une reconstitution (et non un documentaire) avec un important travail de mise en scène sous la responsabilité d'un réalisateur dirigeant une équipe technique et des acteurs qui sont tout à fait conscients de jouer un rôle qui n'est pas celui qu'ils ont dans leur vie quotidienne: Rachel Weisz, qu'on a déjà vue au cinéma (notamment dans The Constant Gardener de Fernando Meirelles en 2005 et dans Jason Bourne: l'héritage de Tony Gilroy en 2012) ne prétend pas bien sûr être une historienne connue sous le nom de Deborah Lipstadt, et personne n'affirmera que Timothy Spall, l'acteur britannique qui incarne le personnage du négationniste David Irving, ne croit pas personnellement à l'existence des chambres à gaz à Auschwitz…

Le film n'est cependant pas non plus une pure fiction comme un film fantastique ou de science-fiction et s'appuie sur une série d'événements et de personnages authentiques: mais quel crédit peut-on accorder à cette reconstitution? et pourquoi peut-on lui accorder du crédit?

En fait, les spectateurs doivent s'appuyer sur des informations extérieures pour juger de la vraisemblance de cette reconstitution et de la confiance qu'ils peuvent donner à ses auteurs (réalisateur ou scénariste). Ainsi, tout le monde a entendu parler du nazisme, de Hitler et d'Auschwitz, et, même si l'on ne connaît pas le plan du camp d'Auschwitz, on doit pouvoir vérifier qu'il y a effectivement une grande distance entre les crématoires et les baraquements des gardes SS, comme l'affirme l'avocat de Lipstadt dans le film (il s'agit en fait de la partie du camp nommée généralement Birkenau dont un plan révèle qu'effectivement les logements des gardes étaient à l'opposé des crématoires). Et si, avant la vision du film, l'on ne connaissait pas le nom de Deborah Lipstadt, l'on pensera certainement qu'il s'agit bien d'une historienne américaine, spécialiste du négationnisme, et qu'elle a dû se défendre, via ses avocats, devant la justice britannique suite au procès intenté par un dénommé David Irving dont le nom nous était peut-être également inconnu. Nous jugeons que tous ces faits sont vraisemblables sur base de nos connaissances historiques générales. En revanche, d'autres faits mis en scène dans le film peuvent relever de l'imagination des auteurs du film: Deborah Lipstadt faisait-elle du jogging la nuit dans les rues de Londres pendant le déroulement du procès? Nous n'en savons rien, mais ça n'a évidemment pas beaucoup d'importance. En revanche, il est plus difficile de juger si certaines parties du film ont réellement été tournées dans les ruines du camp d'Auschwitz, ou s'il s'agit d'un décor reconstitué (ou partiellement reconstitué), ou s'il s'agit même d'un montage numérique (avec un mélange d'acteurs agissant sur un fond vert et d'images authentiques replacées en arrière-plan). La question n'est sans doute pas très importante d'un point de vue historique (mais intéressera les techniciens du cinéma), car, encore une fois, nous disposons de suffisamment de documents (et de plans) qui nous permettent de juger que la reconstitution cinématographique est sur ce point également vraisemblable.

Mais la vraisemblance ne suffit pas: nous devons également accorder une certaine confiance aux auteurs du film dont nous estimons qu'ils nous rapportent les faits de manière sincère et authentique: même si nous n'avons pas assisté au procès, nous estimons que le réalisateur et le scénariste ne peuvent pas avoir menti sur l'issue du procès (David Irving a bien été condamné) ni sur son déroulement général, ni sur les différentes interventions des spécialistes apportant les preuves dont ils disposent (par exemple sur le grillage protégeant l'œilleton des chambres à gaz). Bien entendu, aucune confiance n'est absolue et une telle confiance repose notamment sur le fait qu'un film comme le Procès du siècle fait l'objet d'une large diffusion publique: nous supposons donc que des journalistes, des historiens, des critiques protesteraient si ce film rapportait des faits manifestement faux. Nous-mêmes, grâce à Internet, nous pouvons facilement retrouver des articles d'information sur le procès qui a effectivement opposé Deborah Lipstadt et David Irving et qui s'est conclu par la condamnation du négationniste. Nous accordons enfin une certaine confiance à l'institution judiciaire, britannique ou autre, ce qui nous permet de conclure que cette condamnation était bien fondée en justice.

La vérité au cinéma ne s'évalue donc pas de façon interne en se basant uniquement sur ce que nous voyons et entendons au cours de la projection mais repose sur des connaissances extérieures qui nous permettent de juger de la vraisemblance des faits mis en scène; mais elle dépend également de la confiance que nous accordons aux auteurs du film que nous pensons être sincères et dont le travail de reconstitution doit être fidèle aux fait rapportés. Plus largement, cette confiance est celle que nous accordons (bien sûr de façon partielle) à des institutions comme la Justice, les universités (où travaillent généralement les historiens), la presse, les critiques…

Photo du film

La vérité judiciaire

Qu'a dit la Justice britannique? A-t-elle dit que les chambres à gaz ont bien existé à Auschwitz-Birkenau? C'est sans doute ce que la plupart des spectateurs du film le Procès du siècle concluront, et ils n'auront pas tort sur le fond, mais la décision de la Cour britannique a cependant une portée différente.

L'on peut à ce propos se baser sur les souvenirs que les spectateurs ont gardés du film.

Le point de départ du procès est une plainte de David Irving contre Deborah Lipstadt et son éditeur (Penguin Books) qui l'auraient diffamé dans l'ouvrage Deniyng the Holocaust («Les Négationnistes de l'Holocauste», non traduit cependant en français), la diffamation étant la publication de fausses affirmations qui nuisent à la réputation d'un individu (ou d'un groupe, d'une firme etc.). David Irving le souligne au début du procès: c'est sa réputation qui est en jeu puisque les affirmations de Deborah Lipstadt lui ont fait perdre tout crédit auprès des éditeurs et des cercles savants. Mais, comme c'est également expliqué dans le film, la loi anglaise sur la diffamation imposait aux accusés de prouver que leurs affirmations décrivant David Irving comme un négationniste (qui aurait délibérément déformé la représentation de faits d'évidence pour les rendre conformes à son point de vue idéologique) étaient bien vraies, autrement dit que David Irving avait menti.

Ce qui était en jeu dans le procès, ce n'est pas d'abord de savoir si les chambres à gaz avaient existé à Auschwitz mais si David Irving avait dans ses écrits déformé les faits, c'est-à-dire avait menti. Bien entendu, puisqu'il niait l'existence de chambres à gaz à Auschwitz, les défenseurs de Deborah Lipstadt ont dû notamment apporter des preuves de l'existence de ces chambres à gaz, mais ce n'était qu'un moyen pour démontrer que David Irving n'avait pas été diffamé et que les affirmations de Deborah Lipstadt à son propos — à savoir qu'il était un négationniste et un falsificateur — étaient exactes.

Bien que ce soit dit souvent de façon elliptique ou incidente dans le film, les défenseurs de Lipstadt ont dû prouver notamment que:

  • David Irving était un partisan de Hitler et qu'il avait dans ce but déformé les preuves et manipulé les documents;
  • il était un des porte-parole les plus dangereux du négationnisme, niant à plusieurs reprises que les nazis se sont engagés dans une politique délibérée d'extermination des Juifs, et prétendant que les chambres à gaz à Auschwitz étaient un mensonge des Juifs;
  • pour soutenir ses affirmations, Irving a nié les évidences, cité de façon erronée ses sources, falsifié des statistiques;
  • il s'est également allié à des membres de différents groupes extrémistes et antisémites;
  • il a emporté sans autorisation des microfiches du Journal de Goebbels au risque de les détériorer;
  • il n'avait aucune crédibilité en tant qu'historien.[1]

Le jugement de la cour britannique portait ainsi d'abord sur le fait que David Irving était un falsificateur, dans un texte (de 333 pages!) où le juge affirmait notamment: «Ma conclusion est que les différentes sortes de preuves "convergent" dans le sens suggéré par les Défenseurs [de Deborah Lipstadt]. Ayant considéré les différents arguments avancés par Irving pour mettre à mal l'effet convergent des évidences rassemblées par les Défenseurs, ma conclusion est qu'aucun historien objectif et impartial ne peut avoir de doute sur le fait qu'il y avait des chambres à gaz à Auschwitz et qu'elles ont été utilisées à grande échelle pour tuer des centaines de milliers de Juifs. […] Il s'ensuit que ma conclusion est que la négation par Irving de ces affirmations est contraire à l'évidence.» Il ajoutait que «l'allégation selon laquelle Irving est raciste est également établie».

L'obligation pour les défenseurs de prouver que David Irving mentait en niant l'existence des chambres à gaz a donc obligé le juge à prendre position sur la véracité de ce fait historique, ce qui n'est en général pas du ressort de la Justice, mais, comme le procès «David Irving v Penguin Books and Deborah Lipstadt» est d'abord et avant tout le procès d'un négationniste, le juge a été amené, comme on le voit, à s'exprimer sur ce point.

1. Ces six points sont détaillés dans la version anglaise de Wikipedia (consulté en juin 2017). Le juge a estimé que les défenseurs de Deborah Lipstadt n'avaient pas démontré la véracité de deux points, à savoir que David Irving aurait abîmé les microfiches du Journal de Goebbels et qu'il aurait suspendu un portrait de Hitler au-dessus de son bureau, mais il a estimé qu'il s'agissait de points extrêmement mineurs ne pouvant nuire à eux seuls à la réputation de David Irving.

Photo du film

Comment établir la vérité en histoire?

[Les commentaires sur le travail des historiens sont disponibles dans le dossier imprimé et sont suivis de deux exemples de documents historiques et de leur interprétation.]

Affiche du film


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